Algérie : Chafia Mentalecheta, une députée qui ne lâche rien

Elle aurait pu être élue en France, mais s’est heurtée au plafond de verre. Depuis 2012, elle siège au Parlement algérien, où elle ferraille avec la bureaucratie.

Chafia Mentalecheta réclame le retrait de l’article 51 du projet de nouvelle constitution en Algérie. © Bachir Belhadj pour J.A.

Chafia Mentalecheta réclame le retrait de l’article 51 du projet de nouvelle constitution en Algérie. © Bachir Belhadj pour J.A.

Publié le 12 août 2015 Lecture : 4 minutes.

Chafia Mentalecheta a à peine atterri à l’aéroport d’Orly que la voilà partie rejoindre les « chibanis du faubourg Saint-Antoine » dans un troquet du 13e arrondissement de Paris, à quelques mètres du lieu où ces retraités maghrébins ont été relogés. Quand ils ont été expulsés par les CRS de leur hôtel insalubre en février dernier, Chafia a fait des pieds et des mains pour leur venir en aide. « En même temps, c’est mon boulot », dit-elle, pour minimiser son engagement. Elle n’a pas tout à fait tort, elle qui a été élue en 2012 députée chargée des Algériens installés dans le nord de la France. « Elle fait beaucoup plus que son mandat, j’ai rarement vu quelqu’un comme elle. Elle ne sait pas dire non », confirme son ami de longue date Akli Mellouli, maire adjoint (PS) à Bonneuil-sur-Marne (94).

Une enfance à Blida

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Pour tenter d’en savoir plus, il faut se rendre à Blida, en Algérie, à une cinquantaine de kilomètres au sud-ouest de la capitale, où elle a grandi. Car si elle est née à Clermont-Ferrand en 1958, en pleine guerre d’Algérie, ses parents, mère française et père algérien, ont quitté la France très tôt, alors qu’elle n’avait que 2 ans.

« Pendant la conquête de l’Algérie en 1830, les troupes françaises ont eu du mal à s’emparer de Blida. Il leur a fallu neuf années pour venir à bout de la rébellion », précise-telle fièrement. La cinquième ville du pays devient alors une garnison, les Français y construiront par la suite de nombreuses casernes militaires.

Moins d’un siècle et demi plus tard, pendant la guerre d’Algérie, Blida remet son costume de rebelle. Comme tous ses frères et cousins, le père de Chafia rejoint le Front de libération nationale (FLN). « Je suis née dans une famille de révolutionnaires. Parfois, je me dis que j’aurais bien aimé être une adulte à cette époque pour pouvoir participer à la libération de l’Algérie, avoue-telle. Mais comme je n’étais qu’une enfant, je n’ai pas eu d’autre choix que de faire la révolution à ma manière. »

Pour aller plus haut au PS elle sent bien que « ça coince », alors elle décide de quitter le navire direction Algérie.

Arrivée à Paris, elle s’inscrit au PS

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Ce sera donc en France, le pays de sa mère, où elle débarque à l’âge de 27 ans après avoir abandonné des études de médecine. À Clermont-Ferrand, elle s’inscrit en fac de psychologie. Très vite, l’Algérie lui manque. Elle se rapproche alors de la section locale de l’Amicale des Algériens. « Parce que je ne supportais pas d’être en France, explique-telle. Il faisait froid. J’avais toujours mon billet d’avion retour sur moi. » En 1986, elle quitte Clermont et ses 140 000 habitants pour la petite bourgade de Brioude et ses 6 000 âmes en Haute-Loire, se marie l’année suivante, a trois enfants.

Inscrite dès son arrivée au Parti socialiste local, l’histoire d’amour avec le parti de François Mitterrand durera vingt ans et se terminera par un divorce. « C’est dur d’être une Arabe au Parti socialiste, alors quand tu es une Arabe qui ouvre sa gueule et qui soutient Michel Rocard, je ne vous en parle pas », précise-telle, le sourire aux lèvres. Très vite, elle comprend que les idées défendues par le PS, empreintes « de fraternité et d’égalité », ne sont en fait que « des concepts ».

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« En février 2006, quand Georges Frêche traitait les harkis de “sous-hommes”, on allait manifester à chaque conseil national pour demander son exclusion », raconte Chafia. En vain. « Et puis il y a eu cette histoire, en février 2005, quand des députés socialistes ont voté le texte de loi qui rappelait le rôle positif de la France pendant la colonisation, continue, dépitée, la députée. C’est à cet instant que j’ai vu que le PS avait beau défendre l’égalité, il n’était pas prêt à lâcher ses barons. » En 2007, le divorce est consommé.

Postes subalternes au PS

Pourtant, Chafia Mentalecheta était promise à une belle carrière politique au sein du PS, elle qui fut tour à tour secrétaire de section, membre du conseil fédéral, membre du conseil national, déléguée nationale à la lutte contre les discriminations et représentante du Parlement européen à l’Observatoire des phénomènes racistes et xénophobes. Des postes qui restent cependant « subalternes » pour elle. Parce que pour aller plus haut au PS, elle sent bien que « ça coince ».

Lasse de mener le combat à « l’intérieur », elle quitte le navire, direction l’Algérie, où elle compte bien mener sa révolution. Depuis trois ans, elle siège au Parlement, à Alger, où elle avoue avoir du mal avec les « méthodes algériennes de gouvernance », où il lui arrive parfois de demander jusqu’à « 50 audiences pour n’obtenir finalement aucune réponse ». Récemment, elle a écrit un rapport de plusieurs pages, qu’elle a transmis au Premier ministre algérien, dans lequel elle pointait les défaillances des consulats (et proposait des solutions) pour l’accueil des ressortissants algériens venus demander leur passeport biométrique. « C’était un tel bordel qu’aujourd’hui les Algériens l’ont rebaptisé ‘passeport kilométrique’», plaisante-t-elle. Six mois plus tard, Chafia Mentalecheta n’a toujours pas de nouvelles. « Mais je n’ai pas dit mon dernier mot », promet-elle, souriante mais déterminée.

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