Art contemporain : bienvenue à Afrodisney !
Invités à travailler sur le personnage de Mickey Mouse, neuf artistes béninois se sont confrontés à l’indémodable rongeur. Entre critique du capitalisme sauvage et détournement jubilatoire.
Une date : 1907. Cette année-là, Pablo Picasso peint Les Demoiselles d’Avignon. La création de ce tableau, qui représente cinq prostituées, est aujourd’hui considérée comme l’acte fondateur du cubisme. En fait, c’est une vraie révolution : l’artiste génial s’est inspiré de la plastique des masques africains pour construire les visages des cinq femmes !
Et ce n’est là qu’un début : la découverte, par les artistes occidentaux, de la richesse de l’art tribal africain sera pour eux incroyablement féconde. Le peintre Amedeo Modigliani, le sculpteur Constantin Brancusi compteront parmi les artistes majeurs profondément influencés par les statuettes et masques venus d’Afrique.
Cent sept ans plus tard, la galerie Vallois, à Paris, ose avec humour un jubilatoire renversement de l’histoire. Elle a ainsi demandé à neuf artistes béninois de travailler sur le personnage de Mickey Mouse, créé en 1928 par Walt Disney. "L’idée est venue l’année dernière, lors d’une discussion avec les sculpteurs que nous avions invités à exposer, explique le directeur de la galerie, Cédric Rabeyrolles Destailleur. Nous avons évoqué l’oeuvre d’un artiste russe, Alexander Kosolapov, et de fil en aiguille nous avons proposé aux artistes de travailler sur cette figure iconique du monde contemporain qu’est Mickey."
Kosolapov représente par exemple le couple Mickey-Minnie levant la faucille et le marteau ou dans diverses positions du Kamasutra.
Avec un sens consommé de la provocation et un goût assumé pour le choc des cultures, Kosolapov représente la fameuse souris anthropomorphe tenant la main de Lénine et celle de Jésus-Christ, mais aussi le couple Mickey-Minnie levant la faucille et le marteau ou dans diverses positions du Kamasutra.
Aussi symbolique que Coca-Cola
Au Bénin, comme un peu partout dans le monde, Mickey Mouse appartient essentiellement au domaine de l’enfance. Les plasticiens Marius Dansou, Benjamin Déguénon, Euloge Glèlè, Richard Korblah, Romuald Mevo Guezo, Niko, Gérard Quenum, Rémy Samuz et Dominique Zinkpè ont accepté de confronter leur art au petit rongeur devenu aussi symbolique que, disons, McDonald’s et Coca-Cola.
"C’était terrible parce que ça n’entrait pas dans ma culture, affirme Gérard Quenum dans le catalogue de l’exposition. […] Quand j’ai appris que c’était d’origine américaine, j’ai associé Mickey aux multinationales, à la mondialisation, au capitalisme." Le résultat ? Une sculpture simple et parlante, Mickey gros, composé à partir d’une petite tête en plastique de la souris fixée sur une énorme calebasse. Tout est dit…
Même engagement du côté de Dominique Zinkpè, qui, avec son Jeu de Mickey, représente "le capitalisme américain qui marche sur le monde". Ses souris, grossièrement sculptées dans un bois bicolore et encravatées aux couleurs du drapeau des États-Unis, se déplacent entre des têtes de mort…
Statuette vaudou de Mickey
D’autres oeuvres, comme celles de Marius Dansou composées avec des fers à béton, sont plus abstraites ou, comme celles d’Euloge Glèlè et de Richard Korblah, plus proches de la tradition béninoise. Avec Mickey roi, Glèlè offre une terre cuite affublée d’un sourire de cauris quand, avec Énergie, Korblah crée une sorte de statuette vaudoue bien moins enfantine et bien moins aseptisée que celle du père Disney…
Mises en vente par la galerie, les prix varient entre 1 500 et 7 000 euros, avec une moyenne tournant autour de 3 000 euros. Sans doute cette exposition "Mickey au Bénin" qui se tient jusqu’au 4 octobre ne marquera-t-elle pas comme Les Demoiselles d’Avignon l’histoire de l’art, mais elle apporte sans nul doute un vent d’air frais et une touche d’humour à un monde qui en manque parfois cruellement.
"Mickey au Bénin", jusqu’au 4 octobre, à la galerie Vallois Sculptures, 35 rue de la Seine, à Paris.
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