Benjamin Stora : « L’essentiel sera la qualité du discours » de Hollande en Algérie

L’historien spécialiste du Maghreb, Benjamin Stora, attend beaucoup du voyage en Algérie du président français, François Hollande, qui doit s’exprimer devant le Parlement, le 20 décembre.

L’historien spécialiste du Maghreb, Benjamin Stora © V.Fournier/J.A.

L’historien spécialiste du Maghreb, Benjamin Stora © V.Fournier/J.A.

Renaud de Rochebrune

Publié le 20 décembre 2012 Lecture : 4 minutes.

Jeune Afrique : Peut-on espérer, avec cette visite, un nouveau départ pour les relations entre les deux pays ?

BENJAMIN STORA : Certainement. Ces relations ne peuvent de toute façon que s’améliorer. Tout simplement parce qu’elles sont gelées depuis de nombreuses années. Depuis le vote de l’Assemblée en France sur les « aspects positifs de la colonisation » en 2005 et les nombreux gestes en faveur d’une « nostalgérie », en direction de ceux qui regrettent encore l’Algérie française, sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Et on ne voit pas qui aurait intérêt aujourd’hui des deux côtés de la Méditerranée à empêcher la visite de Hollande de bien se passer.

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Les relations personnelles entre les deux chefs d’État peuvent-elles faire la différence ?

Peut-être, mais il ne faut pas oublier que les deux ont une grande différence d’âge – Hollande était un enfant pendant la guerre d’Algérie. Ils n’appartiennent pas à la même génération, n’ont pas les mêmes repères. On peut cependant remarquer que leur rencontre à Alger en 2006 s’était très bien passée. Bouteflika avait reçu pendant plusieurs heures le futur président français alors que rien ne laissait alors penser qu’il occuperait un jour ce poste.

Pourquoi les deux pays n’arrivent-ils pas à surmonter les blessures du passé ?

Ils n’ont pas le même rapport à l’Histoire. La France, en perdant le contrôle d’un territoire qui était considéré comme une partie du pays, s’est retrouvée amputée. Elle a vu son nationalisme s’affaiblir. Alors que l’Algérie, en accédant à l’indépendance, a vu son nationalisme s’affermir. Sans doute, pour aider à dépasser cela, faudrait-il construire un projet qui dépasse les nationalismes, qui se déploie dans le cadre méditerranéen et européen. Ce serait une bonne chose que l’Europe s’intéresse plus à l’Algérie.

L’Histoire se trouve prisonnière des idéologies politiques du moment. Mais on ne peut pas mettre sur le même plan le colonisateur et celui qui a été colonisé !

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Les revendications ou les actes peu amicaux de part et d’autre sont-ils légitimes ou relèvent-ils de la surenchère pour des raisons de politique intérieure ?

Il est légitime, du côté des Algériens, qu’on veuille que la France reconnaisse les exactions du temps de la colonisation. Il est normal que les blessures restent vives. Mais l’utilisation permanente de l’Histoire à des fins de légitimation politique entraîne évidemment des surenchères. Pour la France, on peut comprendre aussi certaines blessures nées du départ d’Algérie des pieds-noirs, des harkis. Mais elles sont instrumentalisées par l’extrême droite, cultivant une mémoire de revanche, tournée en fait contre les immigrés. L’Histoire, ainsi, se trouve prisonnière des idéologies politiques du moment. On ne peut pas, cela étant dit, parler symétriquement de la situation dans les deux pays. On ne peut pas mettre sur le même plan le colonisateur et celui qui a été colonisé !

Le mot de repentance n’existe pas dans le vocabulaire politique algérien. Ce sont les Français qui l’ont d’une certaine manière inventé.

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La repentance de la France, justement, est-elle un passage obligé un jour ou l’autre pour que les deux pays apurent le passé ?

Mais ce ne sont pas les Algériens qui ont employé ce mot, qui n’existe pas dans leur vocabulaire politique. Ce sont les Français qui l’ont d’une certaine façon inventé, même si, ensuite, quelques Algériens l’ont repris. Au départ, il est apparu à la suite de débats en France dans les années 1990-2000 autour du régime de Vichy – la reconnaissance de la responsabilité de l’État pour la rafle du Vél d’Hiv -, de la réhabilitation des soldats mutins de la Première Guerre mondiale par le gouvernement Jospin ou de la loi sur l’esclavage réclamée et obtenue par Christiane Taubira. Il a été également employé par ceux, à l’extrême droite, qui ont mené une contre-offensive idéologique face à ces gestes, disant que « la repentance, ça suffit ». Sur cela s’est greffé le débat sur la colonisation et la mémoire concernant l’Algérie. Ce n’est donc pas à proprement parler une revendication algérienne. Les anciens combattants algériens parlent d’excuses – pour les exactions, la dépossession des terres, etc. -, pas de repentance.

Les politiques doivent-ils laisser la place aux historiens pour parler du passé ?

C’est tout le contraire. Les historiens travaillent depuis très longtemps sur cette histoire, que ce soit du côté français ou du côté algérien. Faut-il citer Charles-André Julien, Jacques Berque, Charles-Robert Ageron, René Gallissot, Mohammed Harbi, Mahfoud Kaddache et tant d’autres ? C’est aux politiques de prendre leurs responsabilités aujourd’hui.

Faut-il tout simplement laisser du temps au temps, attendre que la biologie fasse son effet ?

Bien sûr que non. Un demi-siècle, c’est déjà très long. Plus on attend, plus il y a des ressentiments qui s’expriment. Lorsqu’il y a une mauvaise transmission de l’Histoire entre les générations, les fantasmes et les visions stéréotypées s’installent. Quand il y a des traumatismes, on ne peut pas jouer sur l’oubli, croire que le temps arrangera les choses.

Quel serait, selon vous, le mot ou le geste de François Hollande qui pourrait tout changer ?

Il faut observer que l’Algérie, avant ce voyage, n’a rien réclamé. La question de la mémoire n’a pas été mise en avant comme un préalable. Mais un très bon discours, tenant compte de ce qu’on a dit, serait bienvenu et pourrait toucher les Algériens. Le président français pourrait également effectuer une visite dans un cimetière de grandes personnalités françaises et algériennes qui symbolisent les rapports entre les deux pays, d’Abdelkader à Ferhat Abbas d’un côté, de Jacques Chevallier et les « libéraux » du temps de la guerre à Maurice Audin ou même Albert Camus de l’autre. Mais l’essentiel, ce sera la qualité du discours.

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Propos recueillis par Renaud de Rochebrune

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