Deon Meyer : « Notre démocratie n’a que 18 ans, c’est une adolescente impétueuse ! »

Dans son dernier polar, « À la trace », Deon Meyer poursuit son exploration de la société sud-africaine. L’auteur à succès, joue avec la structure traditionnelle du roman policier, en mélangeant subtilement les genres.

Deon Meyer, lors de son dernier séjour parisien, le 3 février. © Camille Millerand pour J.A

Deon Meyer, lors de son dernier séjour parisien, le 3 février. © Camille Millerand pour J.A

NICOLAS-MICHEL_2024

Publié le 2 mars 2012 Lecture : 6 minutes.

Une mère de famille qui plaque mari et enfant pour se retrouver employée des services de renseignements sud-africains, un garde du corps embauché pour surveiller le transport de deux rhinocéros capturés au Zimbabwe, un flic reconverti en détective privé enquêtant sur la disparition mystérieuse d’un homme bien sous tous rapports, des destins qui s’entrecroisent… À la trace, le nouveau roman de Deon Meyer, mélange habilement les genres et offre une image assez nette des réalités sud-­africaines. Bien qu’il s’en défende, l’auteur de Lemmer, l’invisible explore à sa manière les mutations de son pays. Terrorisme international, politique, trafics frontaliers, braconnage, violence des gangs, chômage, machisme, corruption, l’ancien journaliste devenu auteur à succès aborde tous les sujets sans pour autant verser dans la démonstration.

Jeune Afrique : À la trace, c’est trois romans pour le prix d’un ! Est-ce parce que vous n’aviez pas suffisamment d’espace pour décrire la société sud-africaine ?

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Deon Meyer : Je n’écris pas pour décrire l’Afrique du Sud. Ce que je souhaite, c’est raconter des histoires distrayantes. Si je voulais décrire mon pays, je n’écrirais pas des romans. Le genre que j’explore ne me permet d’aborder qu’une infime partie de la société, sa face sombre, et rarement de donner une image panoramique complète.

Sans parler d’intention, qu’est-ce qui vous a guidé ?

Chaque livre est un voyage exploratoire, et ce que je souhaitais examiner avec ce livre, c’est la manière dont les vies des uns et des autres s’entrecroisent et comment un événement peut influencer l’existence de ceux qui n’en ont même pas entendu parler. Avec À la trace, je voulais défier la structure traditionnelle du roman policier afin de déterminer jusqu’à quel point je pouvais expérimenter sans perdre le lecteur.

Vous citez un nombre considérable de sources. Vous vous documentez beaucoup ?

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La fiction doit être crédible et faire sens. Si un policier lit mon livre, je veux qu’il se dise : « Oui, c’est comme cela que cela se passe. » Sinon, je perds toute crédibilité comme auteur.

À la trace est très sombre… Pourtant, les statistiques montrent une baisse de la violence en Afrique du Sud.

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Absolument. Je le constate tous les jours. La police a subi de profondes transformations et son efficacité s’est accrue. Mais comme dans tout pays, si l’action des forces de l’ordre peut influer sur la prévention du crime, il y a d’autres facteurs, économiques, sociaux et politiques qui jouent. Dans tous ces domaines, nous avons constaté d’incroyables améliorations en Afrique du Sud.

L’un de vos personnages, ancien policier, devient détective privé. Vous semblez craindre cette privatisation de la police.

Je n’en ai pas peur, mais je n’aime pas cette tendance. Elle signifie que seuls les riches ont accès aux services. En outre, elle suscite toute une floraison de profiteurs alarmistes qui y voient l’occasion de monnayer les craintes des gens face au crime. Tout le monde doit avoir un accès identique à la sécurité et à la justice.

N’est-ce pas une conséquence de la discrimination positive ?

Pas tant que ça. Certains policiers ont quitté leur corps parce qu’ils n’étaient pas d’accord avec son évolution… Mais beaucoup se sont rendu compte qu’il serait désormais difficile d’obtenir une promotion et qu’il valait mieux pour eux rejoindre le secteur privé. Ils l’ont fait, et cela a été très bon pour l’économie.

C’est vrai dans d’autres secteurs ?

Oui, même dans de grandes entreprises privées, beaucoup de Blancs ont compris qu’ils auraient plus d’opportunités s’ils montaient leur propre affaire, et il y a eu une explosion du nombre de PME.

Votre livre a été écrit avant la mort de Ben Laden, et vous évoquez la possibilité que le patron d’Al-Qaïda ait été soigné en Afrique du Sud. Que ­pensez-vous de l’opération Geronimo, menée par les Américains ?

C’était brillant. Oussama Ben Laden était un assassin et un terroriste. Il représentait tout ce que je déteste. J’ai été immensément satisfait que justice soit rendue de cette manière.

Zuma est un excellent stratège politique. Il a bien préparé le terrain pour s’assurer un second mandat.

Deon Meyer, écrivain

Comment en êtes-vous venu à imaginer sa présence sur le territoire sud-africain ?

C’est venu d’une combinaison de rumeurs et d’affirmations issues de contacts privilégiés que j’entretiens auprès des services secrets sud-­africains et selon lesquelles Ben Laden aurait pu venir en Afrique du Sud pour y recevoir un traitement médical. Cela avait un sens, pour moi, parce qu’il existe une communauté musulmane sud-africaine – dont une petite faction extrémiste est pro-Al-Qaïda -, et parce que le pays est très éloigné des points chauds où la CIA pouvait le chercher.

Il y a deux ans, vous étiez très optimiste vis-à-vis du président Zuma. L’êtes-vous toujours autant ?

Je pense qu’il a fait beaucoup de bonnes choses… et quelques moins bonnes choses. J’aurais aimé qu’il en fasse plus, j’aurais aimé qu’il soit plus efficace, mais quand j’observe Nicolas Sarkozy ou Barack Obama, je constate que c’est un peu partout pareil.

Pouvez-vous être plus précis ?

La manière dont il s’attaque au problème de la corruption m’impressionne, comme la manière dont il s’est assuré que l’économie poursuive sa croissance… C’est un excellent stratège politique. Il a bien préparé le terrain pour s’assurer un second mandat. Son gouvernement a beaucoup fait pour combattre la pauvreté, améliorer le quotidien des Sud-Africains, encourager les investissements étrangers. Même la façon dont il a abordé le problème Julius Malema a été brillante. Mais je peux aussi critiquer le fait qu’il ait souvent été un peu trop prompt à nommer des gens en qui il a confiance… et pas assez à en virer d’autres. Il est aussi parfois un peu lent à réagir en période de crise.

Le Congrès national africain (ANC) vient de fêter ses 100 ans. Évolue-t-il ?

Oui, mais doucement. Peut-être trop doucement. Il aurait fallu faire mieux et plus vite pour transformer ce mouvement de libération en parti politique.

Le nom d’un successeur émerge-t-il ?

Non. C’est une des choses que l’ANC aurait dû mieux faire : identifier les véritables talents plus tôt et les mettre en avant.

On évoque l’émergence des tenderpreneurs, ces membres de l’ANC qui veulent profiter de leur statut…

Il y a certes eu un accroissement de la corruption, mais aussi une augmentation des efforts pour s’en débarrasser. C’est un processus inévitable, logique, lié à notre histoire spécifique. Notre démocratie n’a que 18 ans, elle est encore adolescente et donc très impétueuse !

Certains envisagent des mesures de discrimination positive en faveur des langues africaines, sans doute aux dépens de l’afrikaans.

C’est bien. Toutes les langues doivent être traitées de manière égale. L’afrikaans bénéficie actuellement de beaucoup d’argent pour sa promotion. Il n’a pas besoin du soutien du gouvernement pour survivre. Je suis favorable à un soutien fort en faveur des langues africaines, bien qu’au fond je ne pense pas qu’un gouvernement puisse sauver ou détruire une langue : c’est à ceux qui la parlent de le faire.

Vous écrivez un nouveau roman ?

J’en ai déjà fini un qui a été publié en afrikaans l’année dernière, 7 Dae, mettant en jeu le capitaine Benny Griessel. C’est une enquête policière très conventionnelle. Sinon, je suis en train d’écrire un roman qui s’appelle Fever. C’est quelque chose d’entièrement nouveau pour moi, mais je n’en dirai pas plus.

Du sang neuf

Grand lecteur dévorant les oeuvres des romanciers Michael Connelly et Ian Rankin ou de l’historien Antony Beevor, Deon Meyer conseille le travail de son jeune compatriote Sifiso Mzobe. Auteur d’un roman noir, Young Blood, publié par Kwela Books et salué par le Sunday Times Literary Award, Mzobe est et a vécu dans le township d’Umlazi, à Durban. Son roman se nourrit d’infinis détails puisés dans le quotidien du bidonville. Sifiso Mzobe, 32 ans, travaille actuellement comme journaliste dans une publication communautaire.
©Young Blood de Sifiso Mzobe, Kwela Books, 256 pages

Comment se passe la journée de travail de Deon Meyer ?

C’est très ennuyeux. Je commence à écrire à 5 h 30, je travaille jusqu’à 7 heures. Je prends le petit déjeuner avec deux de mes enfants qui sont encore à la maison, puis je lis les journaux, et j’écris de nouveau jusqu’à 13 heures. Ensuite, je mange et je vais prendre des cours de tango ! Les après-midi sont consacrés aux e-mails, aux rendez-vous, aux appels téléphoniques, jusqu’au dîner en famille. Le soir, je travaille un peu, je lis. Vous voyez, c’est très ennuyeux…

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Propos recueillis par Nicolas Michel

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