Lu Shaye fait la leçon à Paris

Le « Monsieur Afrique » de la diplomatie chinoise ne mâche pas ses mots pour répondre aux critiques occidentales. Notre ami (et collaborateur de La revue) Jean-Louis Gouraud raconte.

Lu Shaye, le monsieur Afrique de la diplomatie chinoise. © D.R.

Lu Shaye, le monsieur Afrique de la diplomatie chinoise. © D.R.

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Publié le 28 juin 2011 Lecture : 3 minutes.

Le personnage est extrêmement offensif. Invité, le 15 juin, à s’exprimer sur la nature des relations entre la Chine et l’Afrique devant un petit aréopage d’économistes et politologues réunis par l’Institut français des relations internationales (Ifri), Lu Shaye y est allé au pas de charge. L’ancien ambassadeur de la République populaire de Chine au Sénégal, qui occupe désormais le poste éminent de directeur général du département Afrique au ministère chinois des Affaires étrangères, était à Paris pour sa première visite en tant que haut responsable de la politique chinoise de coopération avec l’Afrique.

Comme s’il avait été sommé de se justifier, Lu Shaye s’est lancé d’emblée dans une plaidoirie, parfois un peu agressive, mais parfaitement maîtrisée, consistant, en gros, à rejeter en bloc les critiques formulées par l’Occident en général (en bon diplomate, il s’est abstenu de désigner un pays en particulier) à l’encontre de la politique africaine de la Chine.

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Non-ingérence. « L’Occident, a-t-il fait observer, nous reproche souvent l’un des principes absolus de notre diplomatie : la non-ingérence dans les affaires intérieures des États avec lesquels nous coopérons. “C’est laisser faire des régimes corrompus et, donc, soutenir des dictatures”, nous dit-on. L’Occident, de son côté, n’a-t-il jamais soutenu des régimes autoritaires ? Les exemples récents de la Tunisie et de l’Égypte devraient faire réfléchir. La Chine coopère avec des pays, des peuples, des États (et non avec des régimes), mais nous ne nous privons jamais de manifester notre désaccord avec des dirigeants qui nous paraissent s’égarer. Comme ce fut le cas hier avec Robert Mugabe au Zimbabwe, et aujourd’hui avec Omar el-Béchir au Soudan ou Mouammar Kadhafi en Libye. » Avant de poursuivre : « Nous pensons que Mouammar Kadhafi a perdu le soutien populaire parce qu’il n’a pas su faire profiter son peuple du développement économique et social dont il avait pourtant les moyens. Mais nous pensons que la solution à ce problème ne peut pas et ne doit pas venir de l’extérieur. C’est aux Libyens eux-mêmes de le régler. Au besoin avec l’aide de l’Union africaine, dont nous soutiendrons toutes les initiatives. »

Deuxième angle d’attaque de Lu Shaye : démontrer que la Chine, pays en développement, est mieux placée que les pays déjà développés pour comprendre les besoins et les mentalités des pays du Sud. « L’Occident n’a pas de leçons à nous donner, enchaîne-t-il. Ayant eu à subir si longtemps l’oppression occidentale, la Chine est plus à même de ressentir ce que les Africains ressentent aujourd’hui. »

Sans commentaire. S’interrogeant sur les raisons de l’affolement des Occidentaux devant l’augmentation, en effet vertigineuse, des investissements chinois en Afrique, Lu Shaye rétorque : « Rien n’empêche – et en tout cas pas nous – l’Occident d’en faire autant ! » Il se fait fort, également, de répondre à ceux qui aiment ressasser que si la Chine est devenue, en quelques années, le premier partenaire commercial de l’Afrique, ce serait dû à ses ­importations massives de matières premières, en particulier de pétrole. « Premièrement, ces importations massives ont permis de faire grimper les prix, ce qui est plutôt une bonne chose pour les producteurs. Deuxièmement, le pétrole ne représente que 60 % de nos importations depuis l’Afrique – alors qu’il représente 80 % des importations africaines des États-Unis… »

Partenaires particuliers

La Chine mène l’essentiel de ses actions sur le continent à travers un organisme public créé en 2000, le Forum sur la coopération sino-africaine, dont Lu Shaye est secrétaire général. Selon le rapport de la banque d’investissement Renaissance Capital (publié en avril), les investissements directs de la Chine en Afrique sont passés de 490 millions de dollars en 2003 à 9,33 milliards de dollars en 2009, et, en 2010, les échanges Chine-Afrique (importations et exportations) ont atteint 129 milliards de dollars, soit dix fois plus qu’en 2000, la Chine devenant le premier partenaire commercial de l’Afrique devant les États-Unis et la France.

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Et le diplomate de conclure que, contrairement à certaines insinuations, son pays « est loin d’exercer une sorte de monopole : 10 % seulement des exportations africaines vont en Chine ». Où vont les 90 % restants ? Par courtoisie ou par ignorance, aucun des experts réunis par l’Ifri ne cherche à tenter de répondre à la question.

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Il faut dire que l’auditoire ne faisait guère le poids face à la délégation chinoise, presque aussi nombreuse que lui. Selon la bonne tradition communiste, en effet, avec une ponctualité parfaite, Lu Shaye était arrivé sur les lieux de la conférence entouré d’une brochette de conseillers, experts et interprètes. Bien que s’exprimant parfaitement en français, il a prononcé son allocution en chinois, quitte à corriger lui-même, lorsque c’était nécessaire, la version de ses traducteurs.

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