Insécurité alimentaire en Afrique : trois ONG demandent aux bailleurs de ne plus financer les agropoles

À la veille du G20 Africa Partnership, les 12 et 13 juin à Berlin, Action contre la Faim, le CCFD-Terre Solidaire et Oxfam France ont publié, mercredi 7 juin, un rapport sur les pôles de croissance agricoles. Pour ces ONG il s’agit là de « solutions miracles pour lutter contre la faim », qui aggraveraient l’insécurité alimentaire des populations africaines.

Site écotouristique du Bagrépôle, dans le Boulgou (région du Centre-Est). © RENAUD VAN DER MEEREN/EDJ

Site écotouristique du Bagrépôle, dans le Boulgou (région du Centre-Est). © RENAUD VAN DER MEEREN/EDJ

Publié le 8 juin 2017 Lecture : 3 minutes.

Intitulé « Agriculture africaine : l’impasse des pôles de croissance agricoles », un rapport co-écrit par les ONG Action contre la Faim, CCFD-Terre Solidaire et Oxfam France remet en question les pôles de croissance agricole. Ceux-ci sont promus, entre autres, par la Banque mondiale, la Banque Africaine de Développement, la plateforme Grow Africa et la Nouvelle Alliance pour la Sécurité Alimentaire et la Nutrition (Nasan), comme une solution pour lutter contre l’insécurité alimentaire et la malnutrition.

Ces pôle de croissance agricoles, ou agropoles, sont développés sur des terres à fort potentiel agricole. Le concept repose sur la concentration, dans une zone circonscrite, d’infrastructures et de facilités réglementaires, législatives, douanières et fiscales pour encourager les investissements privés et favoriser des partenariats entre acteurs public et privés.

Le concept de l'agropole © Capture d’écran du rapport d’Action contre la Faim, ccfd-terre solidaire et Oxfam France

Le concept de l'agropole © Capture d’écran du rapport d’Action contre la Faim, ccfd-terre solidaire et Oxfam France

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Ces agropoles se généralisent sur le continent africain depuis 2005. On en recense à Madagascar, en Tanzanie, au Mozambique, au Burkina Faso et, plus récemment au Mali, au Togo, au Cameroun, en Sierra Leone, en Côte d’Ivoire et en Éthiopie.

Or, « il n’existe à ce jour aucune analyse du coût-bénéfice de ces mesures incitatives pour les États, ni d’analyse de l’effet d’aubaine ou d’incitation réelle pour les investisseurs ». peut-on lire dans le rapport des ONG, qui rappelle que 23% de la population en Afrique Subsaharienne souffre toujours de la faim.

Des « paradis fiscaux agricoles »

« Avec des régimes douaniers et fiscaux particulièrement avantageux, destinés à attirer les investisseurs privés, ces pôles de croissances ont vocation à devenir de véritables paradis fiscaux agricoles », dénonce Maureen Jorand du CCFD-Terre Solidaire. « Ces avantages créent à court terme une concurrence déloyale entre multinationales et petits producteurs. À moyen terme, ce sont autant de ressources qui échappent aux États africains, minant leur capacité à investir eux-mêmes, dans l’agriculture pour nourrir leurs populations ».

« Les pôles de croissance agricoles privilégient une prise en charge des coûts par l’ensemble des citoyens contre une privatisation des bénéfices au profit de quelques grandes firmes » peut-on encore lire dans le rapport.

Les pôles de croissance agricoles entretiennent une mécompréhension des enjeux de sécurité alimentaire et nutritionnelle

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Au delà du problème de répartition des richesses, « les pôles de croissance agricoles entretiennent une mécompréhension des enjeux de sécurité alimentaire et nutritionnelle », analyse Clara Jamart, d’Oxfam France. « Sans évaluation possible de leurs impacts environnementaux et sociaux, ils continueront d’aggraver dans les prochaines années la vulnérabilité des populations d’Afrique subsaharienne », prévient-elle.

Peggy Pascal, chargée de plaidoyer sécurité alimentaire chez Action contre la Faim, déplore pour sa part que « l’approche par les pôles de croissance agricole ne [soit] basée que sur l’urgence de produire plus, d’investir toujours davantage et de moderniser à tout prix ». « Pourtant, ce n’est pas en produisant plus que nous réglerons le problème de la faim, et surtout pas en écartant les petits agriculteurs locaux ! », croit-elle savoir.

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Les exploitations familiales pénalisées

Le rapport dénonce encore la réduction de la lutte contre la faim « à un défi d’augmentation de la production et des rendements agricoles, relayant à un second plan d’autres aspects comme l’impact des changements climatiques sur les rendements agricoles, les risques de tensions et d’instabilité des prix agricoles, et les risques de conflits dus à la compétition sur l’utilisation des ressources naturelles à des fins énergétiques, industrielles et alimentaires, qui font peser sur les populations les plus vulnérables un défi majeur en termes d’accès à l’alimentation ».

Les organisations paysannes ne soutiennent pas la solution des agropoles

Pour les ONG à l’origine du document,  les organisations paysannes ne soutiennent pas la solution des agropoles « qui favorise les investissements des entreprises nationales et multinationales au détriment de ceux des exploitations familiales ».

Privilégier une autre approche

Les trois ONG appellent donc les États du G20 et les bailleurs, comme l’Agence Française de Développement, à cesser de financer les activités liées aux agropoles en Afrique. Elles recommandent de privilégier une autre approche, axée sur « le besoin de financement des [exploitations] familiales et le renforcement de leur accès aux ressources naturelles ».

Une approche soutenue par le Comité pour la Sécurité Alimentaire mondiale, mais aussi par des institutions internationales telles que le Fonds International pour le Développement Agricole, la Banque mondiale et l’organisation des Nations unies pour l’Agriculture et l’Alimentation (FAO). Les trois ONG s’étonnent d’ailleurs de voir la Banque Mondiale et le FAO soutenir cette approche, parallèlement aux agropoles.

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