Aérien : le retour en force de l’État chez Kenya Airways

Nairobi a entamé un vaste plan de restructuration financière de sa compagnie aérienne nationale, Kenya Airways, lourdement endettée. Il prévoit notamment de remonter au capital du transporteur et de faciliter de nouvelles levées de fonds.

Kenya Airways s’est séparé de ses Boeing 777 (photo) pour des modèles plus économiques © Mark Harkin by Wikimédia Commons

Kenya Airways s’est séparé de ses Boeing 777 (photo) pour des modèles plus économiques © Mark Harkin by Wikimédia Commons

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© Vincent Fournier pour JA Rémy Darras © Francois Grivelet pour JA

Publié le 26 juin 2017 Lecture : 6 minutes.

Après quatre années de grandes difficultés, Kenya Airways va-t-il enfin voir son horizon s’éclaircir ? Les étoiles semblent bien alignées pour que la compagnie aérienne kényane, l’une des principales du continent, qui, depuis 2012, n’a cessé d’essuyer des pertes record, retrouve progressivement une meilleure santé financière.

Il y a d’abord la nette amélioration de ses résultats durant son dernier exercice. Le transporteur est-africain a en effet publié au titre de son année 2016-2017, close le 31 mars, des chiffres bien meilleurs que ceux d’il y a un an, avec notamment un bénéfice opérationnel de 897 millions de shillings (8 millions d’euros), contre un déficit de 4,1 milliards de shillings pour l’année 2015-2016, et des pertes avant impôts ramenées de 26,1 milliards à 10,2 milliards de shillings en un an.

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Appui du gouvernement

Une belle remontée à attribuer à la hausse du nombre de passagers, la compagnie ayant enregistré 4,5 millions de voyageurs en douze mois – un record qui a permis de faire passer le taux de remplissage de 68 % à 72 %, dans un contexte marqué par le retour des touristes au Kenya.

Ensuite, c’est surtout le revirement du gouvernement kényan, qui s’est décidé à apporter un appui massif à sa compagnie nationale, qui va peser dans la balance. Quand, au mois de mai, Mbuvi Ngunze, qui dirigeait alors Kenya Airways depuis décembre 2014 – il a cédé fin mai son fauteuil au Polonais Sebastian Mikosz –, soutenait que « le redressement [était] en cours », c’est bien à cette grande restructuration entamée début juin par l’État qu’il faisait allusion. Une restructuration que le désormais ex-DG de la compagnie va continuer à piloter dans les mois à venir.

Conversion des dettes et des créances

Concrètement, le gouvernement offre des garanties d’un montant de 745 millions de dollars (663,5 millions d’euros) aux créanciers de la compagnie, endettée à hauteur de 1,45 milliard de dollars et dont les besoins en fonds propres sont colossaux (428 millions de dollars en 2016-2017).

Ces garanties vont notamment permettre de couvrir un emprunt de 525 millions de dollars souscrit auprès de la banque américaine d’export-import (US Exim Bank) à travers trois grandes banques internationales : les américaines JP Morgan et Citibank et la britannique Barclays Bank.

Les parts du Trésor public passeraient de 29,8 % à plus de 40 % du capital de Kenya Airways

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Le gouvernement kényan, dont le plan de restructuration vient d’être validé par le Parlement, a par ailleurs obtenu de onze banques locales parmi lesquelles Equity Bank, Kenya Commercial Bank ou encore Ecobank qu’elles forment un véhicule spécial pour convertir la plus grande partie de leurs créances (225 millions de dollars) en fonds propres.

En signant cet accord, Nairobi s’engage à rembourser une partie des prêts aux banques – 75 millions de dollars, selon le Financial Times – si le cours de l’action ne s’améliore pas d’ici à 2027. Et en cas de faillite de la compagnie, il promet de leur rembourser l’intégralité de l’argent qu’ils ont prêté au transporteur.

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En contrepartie, les banques locales s’engagent à poursuivre leur soutien financier à Kenya Airways. Enfin, l’État kényan prévoit lui-même de convertir en actions les 243 millions de dollars de prêts qu’il a consentis à la compagnie aérienne ces dernières années.

Hub régional des transports

Principale conséquence de cet important plan de refinancement : le retour en force de l’État au capital du transporteur. Selon les calculs du cabinet local d’analyse Genghis Capital, les différentes conversions de dettes en actions prévues devraient faire du groupe des onze banques kényanes un nouvel actionnaire à hauteur de 33,7 %, tandis que les parts du Trésor public passeraient de 29,8 % à plus de 40 % du capital de Kenya Airways, une première depuis deux décennies.

« Nous souhaitons garantir l’avenir de la compagnie aérienne et nous assurer qu’elle ait suffisamment de liquidités pour rester opérationnelle », a expliqué le ministre des Finances, Henry Rotich.

Alors qu’il était jusqu’ici réticent à restructurer le capital de la compagnie, l’État s’y est finalement résolu. « Les autorités ont compris que, pour permettre au Kenya de conserver et de renforcer son statut de hub régional des transports, elles n’avaient d’autre choix que de renflouer leur compagnie nationale », a expliqué au Financial Times Aly-Khan Satchu, un conseiller en investissement.

Et ce d’autant plus qu’Ethiopian Airlines, compagnie entièrement publique dont le hub se trouve à moins d’une heure de vol de Nairobi, affiche une solide santé financière et se développe vite à travers le continent. Mais, d’après Henry Rotich, la restructuration en cours de Kenya Airways demandera « des concessions à toutes les parties prenantes ».

La participation d’Air France – KLM ?

En effet, se pose la question de ce qui va advenir des autres actionnaires, parmi lesquels le franco-néerlandais Air France-KLM (26,73 % des parts actuellement), mais aussi des 78 000 petits porteurs. D’après l’étude de Genghis Capital, réalisée sur la base d’un prix de l’action estimée à 6,80 shillings, les parts de ces derniers seront fortement diluées, passant à l’issue de la restructuration de 43,2 % du capital à 6,7 %. Quant à la participation du groupe franco-néerlandais, elle n’est pas encore résolue.

Selon Genghis Capital, la restructuration menée par le Kenya ramènerait ses parts à 18,7 %, malgré les 100 millions de dollars que KLM projetterait d’injecter dans la compagnie africaine.

Une contribution d’ailleurs étonnante, car si KLM parvient à être une compagnie profitable (son bénéfice d’exploitation s’est envolé de 384 millions en 2016 pour atteindre 681 millions d’euros), l’équilibre de son allié Air France s’est trouvé particulièrement menacé ces dernières années par l’offensive des compagnies low cost long-courrier et par les transporteurs du Golfe, et son bénéfice opérationnel a chuté de 54 millions d’euros entre 2015 et 2016.

L’escale de Nairobi permet à Air France de rayonner principalement dans l’est du continent et constitue sa principale passerelle entre l’Afrique et l’Asie.

Sollicité par Jeune Afrique, à Paris et à Amsterdam, Air France-KLM n’a souhaité ni confirmer ces éléments ni commenter la restructuration en cours. Le groupe affirmait être toujours en discussions.

Au siège de la compagnie franco-néerlandaise, on tient toutefois à réaffirmer le maintien de « la collaboration étroite avec Kenya Airways, basée sur un joint-venture portant sur les vols directs entre l’Afrique de l’Est et l’Europe de l’Ouest ».

Car si Air France peut s’appuyer sur le hub d’Air Côte d’Ivoire à Abidjan pour couvrir l’Afrique de l’Ouest, l’escale de Nairobi lui permet en effet de rayonner sur un réseau de 25 autres destinations africaines, principalement dans l’est du continent, et constitue sa principale passerelle entre l’Afrique et l’Asie.

Retrouver l’efficience opérationnelle, un impératif

Certes, le contexte local peu favorable, marqué par des tensions sociopolitiques et des attentats terroristes, a lourdement pénalisé le transporteur kényan, qui avait entamé en 2012 une politique d’expansion agressive. Mais l’entreprise a aussi perdu son efficience opérationnelle d’antan. Et la restructuration entamée par le gouvernement ne produira pas les effets escomptés si cette dernière n’est pas retrouvée.

C’est dans ce but que des mesures visant à réaliser des économies ont été mises en œuvre depuis 2015, dont la réduction de 15 % de la masse salariale, avec le départ de 600 employés, mais aussi la réduction du coût de détention de la flotte.

Cette dernière a été ramenée de 45 appareils en avril 2015 à une trentaine aujourd’hui. Les Boeing 777 ont été remplacés par des 787 Dreamliner, que Kenya Airways a été le premier à exploiter sur le continent, plus petits et plus économiques.

Les spécialistes, parmi lesquels Cheick Tidiane Camara, patron du cabinet Ectar, à Paris, estiment que la compagnie est-africaine devrait en outre revoir son système de tarification. Elle pourrait aussi s’appuyer sur son partenaire Air France-KLM, qui dispose des outils d’optimisation du remplissage des avions et des revenus les plus sophistiqués du monde.

Enfin, la compagnie, qui dessert 51 destinations sur le continent, doit continuer, à l’instar de son rival Ethiopian Airlines, à renforcer sa présence, notamment en Afrique centrale et en Afrique de l’Ouest. Dans cette région, elle pourrait s’allier à Air Côte d’Ivoire, qui compte également Air France à son capital.

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