Mauritanie : la parole est à la défense… des Noirs

L’opposition est aphone ? Les mouvements négro-mauritaniens en profitent pour faire entendre leur voix et porter sur la place publique les questions du « racisme d’État » et de l’esclavage.

De g. à dr. Kaaw Touré, Samba Thiam (président) et Ibrahima Mifo Sow (vice-président), des Flam. © Laurent Prieur pour J.A.

De g. à dr. Kaaw Touré, Samba Thiam (président) et Ibrahima Mifo Sow (vice-président), des Flam. © Laurent Prieur pour J.A.

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Publié le 9 septembre 2015 Lecture : 3 minutes.

Un an après la réélection de Mohamed Ould Abdelaziz, la conjoncture économique est difficile et le climat social tendu. © Patrice Terraz/Signatures
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Mauritanie : en noir et blanc

Un an après la réélection de Mohamed Ould Abdelaziz, la conjoncture économique est difficile et le climat social tendu. De quoi remettre en lumière la diversité, les contradictions et les faiblesses du pays aux mille poètes.

Sommaire

«La classe politique traditionnelle est devenue léthargique, c’est pourquoi les questions identitaires soulevées par les mouvements négro-mauritaniens sont revenues au premier plan. » Pour Kaaw Touré, porte-parole des Forces progressistes du changement (FPC), difficile de s’en plaindre. Issues des mythiques Forces de libération africaines de Mauritanie (Flam), un mouvement créé en 1983 et longtemps demeuré clandestin, les FPC entendent bien profiter de l’espace laissé vacant par une opposition mauritanienne abonnée aux boycotts électoraux pour faire progresser sa lutte contre « le racisme d’État et l’esclavage » dans une Mauritanie qu’elles estiment accaparée par l’une de ses communautés (les Maures blancs, ou Beïdanes) au détriment des populations noires (Halpulaar, Haratines, Soninkés et Wolofs), qui constituent pourtant la majorité de sa population.

Les Flam ont donné naissance à une formation politique, les Forces progressistes du changement

En 2013, au terme d’un long exil, les principaux responsables des Flam optaient pour un retour concerté avec le régime de Mohamed Ould Abdelaziz. Un an plus tard, un congrès de l’organisation entérinait la mutation de ce mouvement radical en parti politique. Au passage, soucieux de signifier explicitement ce changement d’ère, l’état-major des Flam rebaptisait l’organisation Forces progressistes du changement, au grand dam d’une partie de ses militants qui y vit une trahison et fit scission.

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Depuis le congrès fondateur d’août 2014, cette division intestine aura toutefois été compensée par un agenda politique largement marqué par les mots d’ordre portés depuis plus de trente ans par le mouvement emblématique de la cause négro-mauritanienne. « La mise en retrait des partis traditionnels maures et le dynamisme des ONG de défense des droits de l’homme ont profité à des mouvements comme l’IRA [Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste, lire ci-dessous] ou Touche pas à ma nationalité », analyse depuis Paris Ibrahima Diallo, le porte-parole des Flam (qui n’a pas rejoint le FPC).

Discours contestataires

De fait, au cours des derniers mois, tandis que le Forum national pour la démocratie et l’unité (FNDU), la coalition regroupant les principaux partis de l’opposition dite radicale, boudait toute confrontation avec le régime d’Aziz, la société civile et la nébuleuse politique négro-mauritaniennes multipliaient les prises de position et les manifestations contre « le système beïdane », contestant tour à tour une campagne d’enrôlement jugée discriminatoire envers les Noirs, la persistance de l’esclavage malgré un arsenal répressif de plus en plus étoffé, le harcèlement policier contre les communautés subsahariennes immigrées ou encore l’incarcération du militant antiesclavage Biram Ould Dah Ould Abeid et de deux de ses camarades.

Selon Ibrahima Diallo, « les populations noires sont de plus en plus demandeuses de ces discours contestataires et attendent l’apparition du bon leader politique pour les porter ». Traditionnellement considéré comme le candidat naturel des Haratines, le septuagénaire Messaoud Ould Boulkheir, aujourd’hui en perte de vitesse, sera-til supplanté par la nouvelle génération militante incarnée par Biram ?

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Interdits et compromis

Encore faudrait-il que l’existence des formations politiques négro-mauritaniennes soit officialisée, car, début août, les responsables des FPC ont eu la désagréable surprise de découvrir que le ministère de l’Intérieur avait refusé d’entériner la création de leur parti. « En substance, on nous reproche d’avoir violé certaines dispositions légales et constitutionnelles qui prohibent la formation de partis sur une base ethnique et l’atteinte à l’unité de l’État mauritanien. » En d’autres termes, les FPC seraient constituées quasi exclusivement de Négro-Mauritaniens (halpulaars, pour l’essentiel), et son projet d’autonomie des régions serait perçu comme une velléité sécessionniste.

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En 2013, l’IRA s’était heurtée au même type de refus au moment de créer sa branche politique. Face à des revendications identitaires susceptibles d’indisposer une nomenklatura essentiellement beïdane (de la classe politique à l’armée en passant par les milieux d’affaires), le stratège Mohamed Ould Abdelaziz a en effet opté pour souffler le chaud et le froid. D’un côté, il facilite la candidature de Biram Ould Dah Ould Abeid à la présidentielle de 2014 ; de l’autre, il laisse la justice procéder à une condamnation hautement politique de son récent challenger. D’un côté, il autorise les ex-Flam à revenir exercer leur activité à Nouakchott ; de l’autre, il met leur nouveau parti hors la loi… avec au passage une pirouette dont il a le secret : reprocher aux principaux pourfendeurs de la ségrégation anti-Noirs d’être les véritables promoteurs du racisme en Mauritanie.

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