Natalité africaine : le démographe burkinabè Jean-François Kobiané répond à Emmanuel Macron

En marge du sommet du G20 à Hambourg, un journaliste ivoirien a interrogé le président Emmanuel Macron sur les moyens alloués par les pays riches pour « sauver l’Afrique »…

Des bébés en Afrique du Sud. © Denis Farrell/AP/SIPA

Des bébés en Afrique du Sud. © Denis Farrell/AP/SIPA

Publié le 14 juillet 2017 Lecture : 5 minutes.

Le chef de l’État français lui a répondu qu’il ne servait à rien « de dépenser des milliards d’euros » dans « des pays qui ont encore sept à huit enfants par femme ». Une déclaration jugée « raciste » et « condescendante » par de nombreux observateurs sur le continent. Mais le président français a-t-il eu tort en pointant du doigt la démographie galopante du continent dans le problème de la lutte contre la pauvreté ? Nous avons posé la question à Jean-François Kobiané, démographe à l’université de Ouagadougou, au Burkina Faso, et directeur de l’Institut supérieur des sciences des populations (ISSP).

Jeune Afrique : Que vous inspire la déclaration du président Macron au sujet de la démographie du continent ?

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Jean-François Kobiané : J’ai suivi avec intérêt son interview, et j’ai trouvé très juste ses propos sur la gouvernance, l’éducation et la santé en Afrique. Mais sa mention de la démographie du continent est caricaturale et je ne partage pas l’idée que, si on investit des milliards d’euros, nous n’obtiendrons aucun résultat. Je m’explique : la croissance démographique est une variable qui interagit avec l’économie et le social (notamment la santé et l’éducation). Elle peut s’avérer bénéfique pour l’économie africaine, à condition de s’accompagner justement d’importants investissements dans l’éducation et d’un marché de l’emploi dynamique. C’est ce qu’on appelle le « dividende démographique ».

Pour réussir son « dividende démographique », il faut investir massivement dans l’éducation des jeunes

En Afrique, si le taux de fécondité poursuit sa diminution, nous nous retrouverons d’ici une ou deux décennies dans une situation où il y aura davantage de personnes actives (les 20-64 ans) que de personnes dépendantes. C’est une opportunité, car les actifs pourront davantage investir dans l’éducation de leurs enfants, être davantage productifs et pouvoir épargner. Autant de facteurs de croissance, dans lesquels il faut investir massivement.

À l’inverse, on peut très bien observer un « dividende démographique » qui n’a pas réussi. C’est le cas de certains pays du Maghreb où l’on a enregistré une baisse importante de la fécondité accompagnée d’une hausse de l’éducation des jeunes. Mais ces derniers se sont retrouvés massivement sans emploi, à cause d’un marché du travail peu dynamique. Un phénomène qui est en partie à l’origine du Printemps arabe.  

Jean-François Kobiané, démographe burkinabè de l'université de Ouagadougou. © DR

Jean-François Kobiané, démographe burkinabè de l'université de Ouagadougou. © DR

Jeune Afrique : Mais pour réussir son « dividende démographique », il faut que le taux de fécondité recule. Or il stagne à un niveau particulièrement élevé en Afrique (4,7 enfants par femme), alors qu’il recule partout dans le monde. Comment s’explique cette situation ?

Regardez d’abord les autres continents. En Asie, la transition démographique s’est déroulée très rapidement, avec une baisse importante du taux de fécondité. Mais ce processus a été particulièrement long en Europe, sur des décennies ou voire un siècle. Preuve que les situations varient énormément selon le contexte.

Les familles africaines peinent encore aujourd’hui à internaliser la baisse spectaculaire de la mortalité infantile

En l’espace de cinquante ans, l’Afrique a connu d’importantes transformations, avec une baisse notable de la mortalité et une hausse de l’espérance de vie. Dans les années 1960, celle-ci était seulement de 42 ans. Elle est estimée à 62 ans actuellement. Mais la natalité ne suit pas la même tendance. Autrefois, les mères faisaient de nombreux enfants pour améliorer les chances que certains survivent jusqu’à l’âge adulte. Mais les familles et leurs communautés peinent encore aujourd’hui à internaliser la baisse spectaculaire de la mortalité infantile. D’où le rythme de croissance très élevée de la population, que nous connaissons dans de nombreux pays au sud du Sahara.

L’évolution suit tout de même son cours, mais à un rythme lent. Dans les années 1960-65, le nombre d’enfants par femme était de 6-7. Aujourd’hui, il est tombé à moins de 5. Sans parler des zones urbaines où ils se situent autour de 3 à 4.

Jeune Afrique : L’éducation joue-t-elle aussi un rôle important dans cette transition démographique ?

Il existe un lien avéré entre l’éducation et la croissance démographique. Imaginez une jeune fille issue d’un milieu rural, qui termine ses études primaires à l’âge de 11 ou 12 ans dans un pays d’Afrique subsaharienne. Elle n’a souvent aucune chance de poursuivre jusqu’au secondaire. Quelles sont ses perspectives ? Le mariage et faire rapidement des enfants. Si elle poursuivait ses études, elle pourrait au contraire se projeter davantage dans la vie et retarder l’âge d’entrée en mariage et la naissance de son premier enfant.

L’éducation joue aussi particulièrement sur le recours à la contraception. Il faut bien entendu que les femmes aient accès aux moyens contraceptifs. C’était le sens de la conférence « Planification familiale et développement en Afrique de l’Ouest : L’urgence d’agir » tenue à Ouagadougou en 2011 ou du sommet de Londres sur la planification familiale en 2012. Mais il faut également qu’il y ait une demande durable. Pour cela, l’accroissement substantiel du niveau d’éducation des femmes est primordial.

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Jeune Afrique : Observe-t-on des disparités démographiques marquées à l’intérieur du continent ?

On pourrait dire en quelques mots que l’Afrique de l’Ouest et du Centre se caractérisent par une fécondité très élevée (entre 5 et 7 enfants par femme), suivis de l’Afrique australe et de l’Est avec des niveaux intermédiaires (entre 3 et 5), et enfin le Maghreb qui se singularise par une fécondité proche de celle des pays occidentaux.

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Les différences en Afrique subsaharienne épousent en partie les contours des deux anciens empires coloniaux français et britannique. La France avait imposé au sein de ses colonies la loi de 1920, qui interdit toute forme de contraception. Cette législation est restée en vigueur jusque dans les années 1980 dans la plupart des pays, où il n’était pas question de politique anti-nataliste. C’est le cas du Burkina Faso et d’autres pays, qui ont dû attendre la Conférence internationale sur la population à Mexico en 1984 pour comprendre l’importance de cet aspect démographique. Le Kenya, ancienne colonie britannique, s’y est intéressé dès les années 1960.

On ressent encore certaines séquelles laissées par le colonisateur

Même chose en matière d’éducation, où l’on observe des différences notables. La France avait davantage pour ambition de former des commis, qui puissent servir de petites mains pour l’administration coloniale. L’enseignement y était plus limité que dans les colonies britanniques. Même si les différents pays ont voulu rattraper leur retard au moment des indépendances, on ressent encore certaines séquelles laissées par le colonisateur.

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