Bibi Junior, l’autre Bourguiba

Disparu le 28 décembre dernier, dix ans après son illustre père, il servit son pays avec panache sans jamais se comporter en « fils de » et laisse le souvenir d’un homme d’une intégrité morale peu commune.

Bourguiba père et fils à Salsomaggiore, en Italie, en juillet 1959 © Studio Kahia

Bourguiba père et fils à Salsomaggiore, en Italie, en juillet 1959 © Studio Kahia

Publié le 19 janvier 2010 Lecture : 4 minutes.

Habib Bourguiba Jr., qui s’est éteint le 28 décembre, à l’âge de 82 ans, paisiblement, entouré de tous les siens, était un homme de caractère et de principes. Il s’est trouvé, dès sa prime jeunesse, à la croisée de trois cultures. En l’absence de son père – partagé entre les voyages, la prison et l’exil – et par la sage volonté de Mathilde, sa mère française, il fut, depuis son enfance, complètement immergé dans la société tunisienne. Ce sentiment d’appartenance était renforcé par les études primaires et secondaires qu’il fit dans le meilleur établissement de Tunisie, le Collège Sadiki, où il devait se familiariser, de manière approfondie, avec la culture arabe et islamique. Il devait surtout y apprendre cette langue arabe que seuls les maîtres de grande mémoire, Abdelwahab Bakir et Mahmoud Messadi, savaient tenir à égale distance de la facture classique et d’une modernité de bon aloi.

Mais « Sadiki » – à l’égal des lycées de France les plus réputés – dispensait aussi un enseignement français de valeur qui permettait aux jeunes Tunisiens d’acquérir une solide culture française. Sur les conseils de son père – qui, où qu’il fût, maintenait avec lui des relations épistolaires –, il s’intéressa à la langue anglaise. À Paris, il poursuivit des études de droit – comme son père, et peut-être sur sa recommandation. Mais il s’ouvrit, en même temps, à la culture anglo-saxonne. Il fut ainsi, à l’orée de l’indépendance, un des rares Tunisiens à parler couramment l’anglais et à pouvoir lire la presse de langue anglaise. Il pourra aussi, dans certaines circonstances, servir d’interprète à son père.

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Un diplomate hors pair

Cette orientation multiculturelle et le sens inné de la communication qu’il tenait de son illustre géniteur devaient décider du choix de sa carrière : il sera diplomate. À tous les postes où il fut nommé, il se montra brillant et dynamique. En peu de temps, il pouvait se faire des amis parmi les membres du gouvernement et dans le Parlement. C’est ainsi que le couple Bourguiba Jr. se lia d’amitié avec le couple Kennedy du temps où John était sénateur. Aussi le président Habib Bourguiba fut-il le premier chef d’État étranger à être invité à la Maison Blanche par JFK. 

Les relations de Bourguiba Jr. s’étendaient aux cercles des hommes d’affaires, aux artistes et aux cinéastes, ainsi qu’au milieu de la presse. Il était toujours le diplomate arabe le plus prisé, le plus écouté. Son nom l’y aidait, bien sûr. Mais ses qualités personnelles lui permettaient d’entretenir et de faire fructifier ses relations : son humour, très anglo-saxon, sa vivacité d’esprit et son enjouement faisaient merveille dans les soirées diplomatiques, souvent compassées.

C’est grâce aux relations personnelles de Bourguiba Jr. que la Tunisie a pu accueillir, à l’occasion de manifestations culturelles, des vedettes internationales comme Shirley MacLaine, Peter Ustinov ou Miriam Makeba.

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Amitiés fort utiles

Nommé à la tête des Affaires étrangères au milieu des années 1960, il donna à ce ministère une impulsion qui lui permit une plus large liberté d’initiative, mais aussi une plus grande efficience dans les relations économiques et commerciales, à une époque où, en Tunisie, le maître mot était le développement. En tant que membre du gouvernement, il tenait à respecter scrupuleusement les devoirs de sa fonction et les règles de gestion administrative. On ne lui connaissait ni passe-droits ni privilèges. Il ne se comportait jamais en « fils du président ». Ne refusant jamais, par bonté foncière, de rendre service, il avait pour principe de tendre la main à un ami ou à un collègue se trouvant dans une mauvaise passe.

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Quand brusquement éclata la malheureuse affaire des coopératives, à la fin de septembre 1969, et que bien des langues se délièrent qui, auparavant, ne trouvaient rien à redire, il fut l’un des rares à observer une attitude de réserve totale – qu’il dut payer, du reste, de son poste de ministre de la Justice. Si ses relations avec son père étaient, somme toute, confiantes, elles connaissaient une sourde tension – qui parfois les déréglait. En raison, sans doute, d’un excès de sévérité de la part du grand homme. Pourtant, « Bibi », comme l’appellent ses familiers, fut un ambassadeur parmi les meilleurs ; il dirigea de main de maître le ministère des Affaires étrangères et donna à son pays des amitiés fort utiles. 

« Conscience malheureuse »

Peut-être par éthique, comme fils du président, s’imposait-il, dans son comportement, une retenue qui réduisait sa marge de liberté comme homme politique. Mais ce n’est pas le courage qui lui manquait. Il considérait même que le seul privilège que lui donnait la naissance était de pouvoir dire au « président » certaines vérités qui ne parvenaient pas jusqu’à ses oreilles. C’est cet excès de réserve, pourtant contraire à son caractère habituel, qui le poussera, plus tard, à prendre du champ, lorsqu’il aura réalisé que, à cause d’un mal tenace, aggravé par le grand âge, son père n’a plus l’énergie du combattant qu’il fut avant l’indépendance, et que l’éminent bâtisseur de la nouvelle Tunisie est à bout de souffle. Avec de multiples souffrances intérieures, toujours réprimées et qui lui donnaient une « conscience malheureuse », il vécut, pourtant, dans une dignité exemplaire. Après le 7 novembre 1987, il gardera le silence.

En partant – dix ans après son père –, soutenu de l’affection de son épouse Neila Zouiten et de leurs trois enfants, il laisse le souvenir d’un homme de courage et d’une probité intellectuelle peu commune. Il s’en va, la conscience tranquille, ayant servi son pays avec panache. 

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