Les Négro-Mauritaniens se sentent enfin chez eux… ou presque

Amorcé en janvier 2008, le « rapatriement volontaire organisé » des Négro-Mauritaniens expulsés il y a près de vingt ans a pris fin le 25 mars.

Une famille de Négro-Mauritaniens rapatriés, accueillies sur le site de Rosso-Lycée. © Émilie Régnier pour J.A.

Une famille de Négro-Mauritaniens rapatriés, accueillies sur le site de Rosso-Lycée. © Émilie Régnier pour J.A.

Publié le 26 avril 2012 Lecture : 4 minutes.

Le 25 mars, 3 millions de Sénégalais changeaient le destin de toute une nation en élisant Macky Sall président de la République. Au même moment, une poignée de Mauritaniens traversaient le fleuve Sénégal. En foulant pour la première fois depuis deux décennies la terre de leurs ancêtres en présence du président mauritanien, Mohamed Ould Abdelaziz, ils vivaient peut-être le jour le plus important de leur vie. La plupart d’entre eux avaient été expulsés de Mauritanie entre 1989 et 1991. À l’époque, près de 60 000 Négro-Mauritaniens avaient connu le même sort. Une petite partie s’était retrouvée au Mali, la majorité au Sénégal, où ils ont vécu pendant des années dans des camps de fortune qui longent la frontière ou dans les quartiers périphériques et souvent miséreux des grandes villes.

S’ils ont été accueillis par le président à Rosso, à 200 km de Nouakchott, c’est parce que ces quelque 300 Mauritaniens appartiennent au dernier contingent de rapatriés du Sénégal. La phase dite de « rapatriement volontaire organisé », débutée le 29 janvier 2008 et menée conjointement par Nouakchott, Dakar et le Haut-Commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR), a en effet pris fin ce 25 mars. « Le gouvernement voulait clore définitivement cette opération. Dorénavant, les retours se feront de manière individuelle », explique Diawara Kane, un responsable de l’Agence nationale d’appui et d’insertion des réfugiés (Anair), une structure étatique créée en juin 2008 pour organiser ces retours.

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Au total, quelque 24 000 réfugiés (plus de 5 000 familles) sont rentrés au pays. À leur retour, ils ont été inscrits dans les registres, puis acheminés vers l’un des 118 camps de rapatriés sommairement aménagés dans le sud du pays. Là, chaque famille s’est vu attribuer une parcelle désertique, une tente, une à trois vaches et, pour les plus chanceux, une pièce de 4 mètres sur 5 devant servir de chambre. L’Anair a fait en sorte de les aider à trouver du travail en leur offrant des magasins communautaires ou des moulins à grain. Au final, « le bilan est globalement positif », affirme Diawara Kane.

Une "réussite"

Pour la représentante du HCR Nada Assaad Merheb, le programme qui vient de se clore est « l’un des meilleurs » menés par l’ONU. Cette « réussite » est due, selon elle, à la « bonne volonté » des autorités mauritaniennes. Quant aux critiques émises par les rapatriés eux-mêmes, elle les balaie d’un revers de main. « Certains font de la politique », glisse-t-elle. S’il l’entendait, Mouhamadou, la cinquantaine, aurait bien du mal à garder son sang-froid. Sous la tente dont il a hérité à son retour en 2008, cet ex-fonctionnaire de police qui ne veut pas dévoiler son nom peste à intervalles réguliers contre « ces nantis » du HCR qui « utilisent tout l’argent qu’ils ont pour se déplacer en 4×4 climatisés », mais qui « ne font rien pour nous aider ».

Pour certains, cette reconnaissance est une victoire, pour d’autres, c’est un trompe-l’oeil.

Au camp de Rosso Lycée, situé à cinq minutes du fleuve qui sépare le Sénégal de la Mauritanie, on trouve 126 familles, plus de 600 rapatriés, deux écoles, un marché, un magasin communautaire aux portes closes, des chèvres mais plus de vaches. Les siennes, les deux que lui avaient données les autorités, Mouhamadou les a vendues aussitôt. « Que vouliez-vous que j’en fasse ? Je n’avais rien pour les nourrir ! » Au Sénégal, où il a vécu pendant dix-neuf ans, « c’était dur », mais, au moins, il cultivait du riz. Ici, il n’a aucun moyen de gagner sa vie. Régulièrement, il franchit le fleuve et part travailler dans un champ situé à une trentaine de kilomètres. Si Mouhamadou fulmine, c’est parce qu’il se sent trahi. « On nous avait promis qu’on retrouverait nos terres ; ce n’est pas le cas. On nous avait promis, à nous les fonctionnaires, qu’on retrouverait notre emploi : on attend toujours. On nous avait promis de l’aide : au début, on nous a donné du blé et de l’huile, mais c’est fini… Si j’avais su, je serais resté au Sénégal. »

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Bocar Mbodj, le responsable du site, qui vit à trois tentes de Mouhamadou, est moins critique. Pour ce père de trois enfants, un ancien fonctionnaire chassé de ses terres en août 1990 et rapatrié en mars 2008, c’est déjà une victoire que d’avoir obtenu le droit de revenir. « Pendant vingt ans, je me suis battu pour ça. L’État nous a reconnus, c’est une satisfaction. » Il admet cependant des « insuffisances ». Et s’il dit vouloir « rester au pays pour continuer la lutte », il comprend ceux qui ne veulent pas rentrer dans ces conditions. Abdoulaye Diallo et Mamadou Wane, rencontrés à Dakar, en font partie. Pour eux, ce retour organisé est un trompe-l’oeil. « On nous propose de rentrer, mais de tirer un trait sur nos terres. Ceux qui sont rentrés sont aujourd’hui employés sur leur propre terre ! » dénonce le premier. Tous deux disent aussi être restés pour leurs enfants : « Ils sont nés ici, ils ont des papiers sénégalais, ils sont exclus de la nationalité mauritanienne », pensent-ils. Bientôt, un troisième homme les rejoint. Il se nomme Ousmane Sy. En 2008, il a fait partie des premiers rapatriés. Mais depuis, il est revenu au Sénégal. « Là-bas, on ne peut pas nourrir ses enfants », explique-t-il.

Des associations estiment à 15 000 le nombre de réfugiés au Sénégal qu’il reste à rapatrier, sans compter ceux qui se trouvent au Mali, où aucun recensement n’a été effectué. « Ces gens vivent dans la misère. Ils n’ont pas de travail et aucune aide. Certains ont le même récépissé depuis vingt-deux ans. Ils n’existent plus pour l’administration », déplore Abdoulaye Diop, président d’une association de réfugiés à Saint-Louis qui fut expulsé en 1989. Les yeux rongés par un glaucome, il ne voit plus très bien. Tout est flou pour lui, à commencer par la situation de ses enfants, dont trois sont nés à Saint-Louis. Sont-ils sénégalais ou mauritaniens ? Une chose est sûre : il ne rentrera pas dans ces conditions. « Qu’on nous redonne ce qui nous appartient : nos terres, notre emploi… On ne demande rien d’autre. » 

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