Génocides(s)

Outre l’emploi aussi controversé que sujet à caution du terme « génocide », le rapport de l’ONU sur les crimes commis dans l’ex-Zaïre, qui doit être publié le 1er octobre, commet une deuxième erreur. Il passe sous silence la responsabilité du HCR dans le noyautage des camps de réfugiés rwandais par les génocidaires. Décryptage.

En juillet 1994, deux millions de Hutus ont fui vers le Zaïre. © Rial/SIPA

En juillet 1994, deux millions de Hutus ont fui vers le Zaïre. © Rial/SIPA

FRANCOIS-SOUDAN_2024

Publié le 16 septembre 2010 Lecture : 4 minutes.

Dans un contexte aussi sensible que celui-­là, où la vérité des convictions n’a parfois que faire de la vérité des faits, il suffit d’un mot pour faire la une des médias, mais aussi pour porter atteinte à la crédibilité d’un rapport d’enquête, aussi documenté soit-il. Le 1er octobre, le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH) devrait rendre publique la version officielle de sa compilation portant sur les violations des droits humains commis en République démocratique du Congo de 1993 à 2003. Nul ne sait encore si le terme tragiquement connoté de « génocide », qui figure dans la version officieuse de ce document pour qualifier les massacres de réfugiés hutus en RD Congo, sera maintenu. S’il l’était, ce rapport dont l’existence et le contenu provisoire ont été révélés le 8 août par Jeune Afrique, avant d’être plus largement repris trois semaines plus tard dans Le Monde, ne rendrait service à personne : ni à la mémoire des morts, ni aux droits des vivants, encore moins à la décence et à la vérité historique.

Sans doute est-ce tout sauf un hasard si le buzz médiatique suscité par ce prérapport s’est pour l’essentiel articulé autour de l’emploi par ses rédacteurs du mot génocide. Certes, des précautions sémantiques minimales ont été prises : il y est question d’« attaques systématiques et généralisées » des camps de réfugiés hutus par l’armée rwandaise et les rebelles congolais de Laurent-Désiré Kabila en 1996 et 1997, qui « pourraient être qualifiées de crimes de génocide » ou encore de « crimes contre l’humanité, crimes de guerre, voire de génocide ». Mais le mal, si l’on peut dire, est fait. En évoquant la possibilité d’une deuxième tragédie équivalente à la première, qui serait en quelque sorte la réplique de l’extermination planifiée des Tutsis du Rwanda, les auteurs du rapport confortent de facto la thèse négationniste des idéologues du Hutu Power selon lesquels il n’y a pas eu génocide, mais massacres spontanés et contre-massacres. Or cette interprétation est une falsification.

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Exode encouragé

Les mots ont un sens, et pour qu’il y ait eu un génocide des Hutus il eût fallu que les conditions qui entourèrent celui des Tutsis se soient répétées. Préparation minutieuse, support idéologique, relais médiatique, constitution de listes, exécution systématique, etc. Non seulement rien de tel ne s’est produit, mais 70 % des Hutus du Rwanda n’ont jamais quitté le pays et plus de 80 % de ceux qui avaient fui en 1994 sont rentrés depuis, au point que le Haut-Commissariat­ pour les réfugiés (HCR) envisage d’appliquer la clause de cessation du statut de réfugié pour les Rwandais (hors cas individuels) au 31 décembre 2011.

Ce qui s’est passé en RD Congo en 1996 et 1997, lors de l’offensive victorieuse des troupes de Kagamé et de Kabila qui devait sceller l’effondrement du régime Mobutu, ne s’apparente donc ni de près ni de loin à un génocide. Des massacres ? Oui. Des crimes de guerre ? Peut-être. Combien de victimes ? Aucun chiffre avancé jusqu’ici n’a la moindre valeur scientifique. Quelles responsabilités ? Le rapport remis à la haute-commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, la Sud-Africaine Navi Pillay, ne fournit pas les noms des commandants rwandais, congolais ou burundais susceptibles d’être traduits devant une juridiction pour l’instant fictive puisque les faits évoqués ont été commis avant la création de la Cour pénale internationale et échappent donc à sa compétence.

Outre l’emploi irresponsable du mot génocide, le rapport du HCDH présente – tout au moins dans sa version non définitive – un défaut majeur. Il passe pratiquement sous silence l’écrasante responsabilité de la communauté internationale, de l’ONU et de ses institutions spécialisées ainsi que de certaines ONG dans l’enchaînement des causes qui ont abouti au « nettoyage » des camps de réfugiés hutus. La fuite de près de deux millions d’hommes, de femmes et d’enfants vers ce qui s’appelait encore le Zaïre, en juillet 1994, ne fut pas en effet un exode désordonné, mais un exode encouragé, encadré (et parfois forcé) par les bourgmestres, préfets, responsables de secteurs et de districts qui avaient exécuté le génocide.

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Balayer devant sa porte

Plusieurs dizaines de milliers de miliciens Interahamwes et Impuzamugambis, et environ 50 000 soldats et officiers des Forces armées rwandaises en déroute se joignirent au flot, parfois avec armes et bagages. Ni les militaires français de l’opération Turquoise, ni les agents du HCR, ni la plupart des humanitaires ne voulurent empêcher que les camps de réfugiés installés à quelques kilomètres de la frontière – une aberration criminogène maintes fois dénoncée, à l’époque, par le FPR au pouvoir à Kigali – se transforment en autant de poudrières où les génocidaires faisaient régner la terreur, recréant les médias de la haine, pratiquant l’épuration expéditive des présumés espions et militarisant la population afin de retourner au Rwanda pour y « finir le travail ».

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Lorsque deux ans plus tard, en octobre 1996, les troupes du FPR entrent au Zaïre, elles se trouvent face à des camps « mixtes », fixés grâce aux subsides fournis par le HCR et où les tueurs d’hier ont eu tout le loisir de noyauter chaque groupe de tentes. Leur démantèlement se fait à coup de canons, sans quartier ni états d’âme. Un demi-million de réfugiés est repoussé dans la forêt congolaise. On estime que la moitié y périt de malnutrition, de maladie (choléra) ou de mort violente.

Si le rapport du HCDC devait servir de base à la mise en place d’une juridiction spéciale, nul doute que cette dernière se devrait de balayer d’abord devant sa propre porte.

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