Dans l’antre de la junte

Depuis sa prise du pouvoir, le 23 décembre 2008, le capitaine Moussa Dadis Camara a établi ses quartiers au camp Alpha-Yaya-Diallo. Reportage au cœur du sanctuaire militaire de Conakry.

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cecile sow

Publié le 4 août 2009 Lecture : 5 minutes.

Vendredi 3 juillet, il est bientôt 20 heures. Alors que des lourds nuages assombrissent le ciel indigo et que des éclairs déchirent déjà l’horizon, le camp Alpha-Yaya-Diallo, situé à la périphérie de Conakry, sort de sa torpeur. Quelques centaines de mètres après l’entrée principale, des femmes en boubous colorés discutent avec des militaires sous les néons, devant de vieux bâtiments. À côté d’elles, des sacs de riz de 50 kg. « Les soldats viennent de recevoir les rations mensuelles, et elles [les femmes] veulent leur acheter des sacs à moindre coût », explique un civil. Apparemment, les affaires marchent. Plus loin, d’autres femmes, épouses et filles de militaires cette fois, assises près de bâtisses rongées par l’humidité, observent sans sourciller les passants et les véhicules gravissant la côte qui mène au quartier général du Conseil national pour la démocratie et le développement (CNDD), où est établi le chef de la junte, le capitaine Moussa Dadis Camara, depuis sa prise du pouvoir.

Construit peu avant l’indépendance de la Guinée, l’ancien camp Général-Brosset, rebaptisé en 1959 Alpha-Yaya-Diallo (du nom d’un farouche combattant peul anticolonialiste), est le plus grand site militaire du pays. Et le plus important. Il est l’objet de fascination et de crainte. Mais, ce n’est pas juste parce que « Dadis » y a installé la présidence et le ministère de la Défense. « Le camp », comme tout le monde l’appelle désormais, a une histoire chargée.

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Récemment, le 23 décembre 2008, quelques heures à peine après l’annonce officielle du décès du président Lansana Conté, c’est à partir du Bataillon des troupes aéroportées (Bata) que le capitaine Moussa Dadis Camara et le lieutenant-colonel Sékouba Konaté (promu général et nommé ministre de la Défense) ont pris en main les destinées du pays (voir J.A. n° 2505). Mais depuis lors, ils ont délaissé le petit bâtiment jaune pour des quartiers dont la construction a été achevée peu avant la mort de Conté. 

Le temps des mutineries

Les nouveaux édifices ont été érigés sur les hauteurs de ce camp connu pour être le vivier de l’élite militaire guinéenne, à l’endroit même où se trouvait à l’origine la poudrière qui a explosé en mars 2001, faisant quelques blessés selon l’armée ; plusieurs tués selon la population. Les caches d’armes étaient alors dispersées dans une forêt touffue infestée de serpents, où les soldats, avant d’aller au front (au Liberia, en Guinée-Bissau et en Sierra Leone), s’adonnaient à des rituels mystiques, dit-on. Du temps de Sékou Touré, des militaires insoumis y auraient aussi été exécutés. La croyance populaire veut que le camp Alpha-Yaya-Diallo soit le repaire des « vrais durs ». En 1984, c’est de là que Lansana Conté organisa son coup de force, même s’il préféra ensuite établir sa résidence au camp Samory-Touré, plus petit, où se trouvait aussi le siège de l’administration militaire. Un choix qui lui a peut-être sauvé la vie. En 1996, la première grande mutinerie de l’histoire de la Guinée est partie du camp Alpha-Yaya-Diallo. Et à la mi-2008, les mouvements d’humeur successifs à l’origine du limogeage du ministre de la Défense, le général Mamadou Baïlo Diallo aussi. Dans les deux cas, les révoltes se sont soldées par des morts. Si depuis l’arrivée au pouvoir de la junte, des informations font occasionnellement état de tensions, et même d’affrontements armés, entre éléments de la garde présidentielle et soldats appartenant à d’autres corps, aucun proche du CNDD ne les confirme. « Il n’y a jamais de problème », jure-t-on.

Il est vrai qu’en apparence, tout est calme. De jour comme de nuit. L’atmosphère entre militaires semble paisible. Parmi la troupe, des jeunes femmes, nouvelles recrues au crâne rasé, arborent fièrement un uniforme impeccable, mitrailleuse en bandoulière. Au hasard de la visite, on croise des soldats, parfois éméchés, grillant une cigarette ou pianotant sur le clavier d’un téléphone portable.

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Même aux différents postes de contrôle, il n’y a aucun signe d’hostilité ou de nervosité. Néanmoins, il y a à peine quelques semaines, peu avant la grève des magistrats destinée à dénoncer les arrestations arbitraires et les auditions extrajudiciaires, l’évocation du « camp » en faisait trembler plus d’un. Une réputation qui n’est pas imputable aux « petits » militaires, mais plutôt aux pratiques du CNDD. Les personnalités interpellées risquaient alors de se faire tancer devant les caméras du « Dadis Show », émission enregistrée dans la salle d’attente du chef de la junte. Avec de fortes chances de passer quelques nuits au camp une fois la prestation télévisuelle achevée. 

Plus de 400 chars

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Le camp Alpha-Yaya-Diallo s’étend sur 1 500 mètres de longueur et 900 mètres de largeur. Bâti en partie sur le flanc d’une colline, il surplombe, côté sud, de vastes étendues verdoyantes arrosées par plusieurs cours d’eau. L’endroit est si tranquille qu’il est difficile de croire que 14 bataillons (dont un uniquement composé de femmes) comptant chacun 775 éléments y sont cantonnés en permanence. « Ils sont bien là », assure le commandant Diamankar Sambarou, chef du Bataillon spécial de Conakry (BSC). À l’ombre d’un arbuste, quelques militaires disputent une partie de jeu de dames, des musiciens de la fanfare militaire soufflent dans des trompettes désaccordées alors que quelques bidasses sont assoupis sur des lits de camp plutôt bancals. Mais on ne dénombre pas plus d’une centaine de personnes. Cela voudrait-il dire que l’armée, la vraie, se cache derrière les murs des quelque 380 bâtiments éparpillés sur le site ? Il paraît que oui.

Le camp comprend des écoles primaire et secondaire ainsi que l’École militaire interarmées (Emia) fréquentées au total par plus de 5 000 jeunes. Il y a aussi un dispensaire, le foyer des soldats, le mess des officiers et les Usines militaires de Conakry (UMC), où sont confectionnés les uniformes et des paires de bottes. Non loin du hangar où s’activent les couturiers, des dizaines de chars de combat d’un autre âge, couverts de terre rouge, apparaissent comme dans un tableau surréaliste. Si l’on en croit des gradés, beaucoup sont en état de marche. D’ailleurs, le camp posséderait un arsenal impressionnant. « Plus de 400 chars et beaucoup d’hélicoptères », placés à l’abri des regards. En revanche, il n’y a plus guère de munitions. Depuis l’explosion de la poudrière provoquée par un choc entre deux obus, les stocks ont été déplacés au KM 36, à la sortie de la ville. Question de sécurité…

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