Il devait parcourir le Maroc comme on ausculte un patient pour en déceler les forces et les faiblesses, mais la pandémie de Covid-19 est passée par là. Rabat a fermé ses frontières le 15 mars, et c’est depuis New York, où il est confiné, que Michael Zaoui a exposé au cours des dernières semaines sa vision de la crise.
Le 6 mai, en direct sur Facebook, installé à un bureau et tournant le dos à une lithographie de Georges Dayez, Orchestre de chambre, qui rappelle sa passion pour la musique classique, il a enjoint au gouvernement marocain de ne pas jouer la partition de l’austérité et de « mobiliser tous les moyens en sa possession » pour encourager l’épargne et inciter les grandes entreprises à se diversifier.
Annoncée par le cabinet royal en décembre 2019, la nomination de Michael Zaoui comme membre de la commission spéciale sur le modèle de développement en a surpris plus d’un. L’instance est chargée d’identifier les voies devant « permettre au Maroc d’accéder au rang de pays avancé » et doit remettre son rapport au roi Mohammed VI dès cet été.
Mémoire et business
Que vient y faire le natif de Fès, banquier d’affaires à Londres ? À entendre les membres de la commission, au nombre de trente-cinq, l’homme est « humble » et prend son rôle « avec sérieux ». Pour d’autres, il est « hors-sol », peu au fait du terrain. « Il est conscient d’être déconnecté de la réalité du pays, mais il fait des efforts pour s’en imprégner », rassure Karim Tazi, patron de l’enseigne d’ameublement Richbond.
Après avoir conseillé pendant trois décennies des PDG dans des deals XXL, voilà donc Zaoui, 63 ans, de retour au pays, qu’il avait quitté pour l’Europe à l’âge de 8 ans.
Dans ce Maroc qu’il trouve « formidable » et auquel son amie Anne Méaux, communicante des puissants et du CAC 40, le sait « très attaché », il revient à plusieurs reprises visiter la famille de son épouse, marocaine, et se recueillir à Fès, où repose une partie de ses proches, dont son père, disparu en 2006. « Je fais le tour du cimetière juif au bord de l’ancien mellah, avec ses petites tombes blanches et simples. C’est comme un retour aux sources », explique-t-il.
Le géant des phosphates OCP pourrait faire appel à ses services pour le projet d’ouverture de son capital
Au panthéon de ses souvenirs, il y a aussi un « appel à la population israélite du Maroc » rédigé en 1933 par son grand-père maternel, qui y exhorte les Juifs à apprendre l’arabe : « Ce document m’a marqué, car il est significatif de l’amitié entre les deux communautés. »
Avec sa terre natale, tout n’est pas qu’affaire de mémoire. Zaoui y a autant de soutiens que de clients. C’est lui qui a accompagné LafargeHolcim en 2016 dans la restructuration de de son partenariat avec le holding royal SNI (actuel Al Mada), une transaction à 3,6 milliards d’euros. « En récompense de ses mérites civils », Mohammed VI lui a remis, en 2014, la médaille d’officier du Wissam Al-Arch.
Depuis sa désignation à la commission, il se murmure que le géant des phosphates OCP pourrait faire appel à ses services pour le projet, maintes fois annoncé, d’ouverture de son capital. Une rumeur invérifiable mais révélatrice du degré d’influence prêté à Zaoui.
« Le meilleur de sa génération »
Né en 1956, année de l’indépendance, il passe la seconde partie de son enfance à Rome, où son père, proche collaborateur du futur président du Conseil, Abdallah Ibrahim, puis directeur du service topographique chérifien, avait rejoint la FAO.
Ce sera ensuite l’Unesco à Paris, où l’adolescent entre à Sciences Po. Frais émoulu de la rue Saint-Guillaume, son chemin est tracé : London School of Economics, Panthéon-Sorbonne, Harvard, conseiller à Banque Rothschild, puis Mac Group et enfin Morgan Stanley, où il débute en 1986, à New York.
Formé par Robert Greenhill, un pionnier des fusions-acquisitions, Zaoui a 34 ans quand il est envoyé à Londres, transformé en centre financier mondial à la faveur du Big Bang de Margaret Thatcher, pour conquérir le Vieux Continent.
Son expérience au sein de Morgan Stanley lui a permis d’être au contact de nombreux dirigeants
À 40, il chapeaute les opérations M&A de Morgan Stanley en Europe. À 50 ans, il cumule plusieurs centaines de milliards d’euros de transactions conseillées. La presse se pique de curiosité pour ce rainmaker, évoquant des bonus annuels de plusieurs millions de livres. Chiffres invérifiables, encore.
Seule certitude : Zaoui a acquis, en 2006, pour 10 millions de dollars un appartement de 290 m2 au 15 Central Park West, à New York, dans un immeuble luxueux construit par le magnat israélien de l’immobilier Eyal Ofer. À Londres, il est aussi propriétaire d’un townhouse à The Vale, l’une des rues les plus huppées de la ville.
À quoi Zaoui doit-il cette ascension spectaculaire ? Le président du directoire de Wendel, André François-Poncet, qui l’a accompagné dans la mise en place de la structure parisienne de Morgan Stanley, le décrit comme « un chirurgien du cerveau. Il saisit très vite l’essentiel et comprend les rapports de force ».
Sa maestria tient aussi à sa gestion des tempéraments. Un ex-collaborateur confirme : « Il est capable d’intégrer des paramètres humains et émotionnels en jonglant avec des dynamiques contraires. Tout le monde n’a pas ce talent. » Pas avare de compliments, François Pinault, qu’il a soutenu dans la bataille épique qui l’opposa à LVMH pour le contrôle de Gucci, le considère comme « le meilleur de sa génération ».
« Morgan Stanley a permis à Zaoui d’être au contact de nombreux dirigeants », confie l’avocat d’affaires Jean-Michel Darrois, qui siège à ses côtés au conseil d’administration du groupe de gestion genevois Decalia.

Façade du London Stock Exchange (Bourse de Londres) © SIPA
Deux frères
Quand il quitte la banque, en 2008, ses activités de conseil se poursuivent sous l’étiquette de « consultant indépendant ». Outre les grands-messes dont la finance raffole, Zaoui participe à l’occasion à des événements plus « politiques ». Membre fondateur de la Fondation France-Israël, voulue par Jacques Chirac et Ariel Sharon, il est à l’affiche en 2007 du Saban Forum, un raout créé par l’homme d’affaires Haim Saban, où dialoguent experts américains et israéliens.
L’aventure en solo s’arrête en 2013, quand Michael décide de s’allier à un autre Zaoui, son plus grand rival et désormais associé : Yoël, de quatre ans son benjamin, passé chez Goldman Sachs et impliqué, comme lui, dans les principales fusions-acquisitions des vingt dernières années. Pressentie depuis longtemps, l’association des deux frères fait mouche.
Son cabinet est l’un des conseillers d’un « méga-deal » à plus de 6 milliards d’euros entre L’Oréal et Nestlé
Avec une équipe de dix personnes, logées dans des bureaux à Hill Street, dans le très chic Mayfair de Londres, Zaoui & Co s’arroge en 2014 quelque 110 milliards de dollars de transactions. Leur cabinet est notamment l’un des conseillers d’un « méga-deal » à plus de 6 milliards d’euros entre L’Oréal et Nestlé.
Les exercices suivants confirment la tendance : le marché n’est plus réservé aux seules grandes banques. Salaires et dividendes, mais aussi versements via les comptes de la société mère Zaoui & Co S.A., immatriculée au Luxembourg, assurent depuis au duo de confortables revenus.
Et la retraite ? En 2017, Michael Zaoui a créé Diadochi Ltd., propriétaire de la moitié de Zaoui & Co S.A. Le nom renvoie aux Diadoques, les généraux d’Alexandre le Grand, qui se disputèrent son empire après sa mort. Un signe ? Un banquier qui le connaît bien prévient : « Les Zaoui ont créé une boutique de haute couture qui disparaîtra certainement avec eux. Quand on fait appel à Zaoui & Co, on embauche les deux frères. »