Le cri d’alarme des entrepreneurs du Maroc face au coronavirus

Dès l’apparition du premier cas de coronavirus sur son sol, le royaume a pris des mesures pour limiter l’impact économique de la crise. Mais face aux annulations en série, les entreprises réclament plus d’aides.

Des passants à Marrakech avec des masques en pleine pandémie de coronavirus dans le monde. © FADEL SENNA/AFP

Des passants à Marrakech avec des masques en pleine pandémie de coronavirus dans le monde. © FADEL SENNA/AFP

Publié le 23 mars 2020 Lecture : 6 minutes.

Le coronavirus a déjà des conséquences sur l’économie de tout le continent. © Rafael Ricoy pour JA
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Au Maroc, le premier cas positif au coronavirus a été détecté le 2 mars. Mais le royaume avait commencé à ressentir l’onde de choc économique liée à la crise bien avant, et avait rapidement pris des mesures radicales. Le 15 mars, après avoir graduellement fermé quelques lignes aériennes, le gouvernement a décrété le lockdown de l’ensemble des aéroports du pays.

À ce moment-là, le pays était encore en phase 1 de l’épidémie, avec moins de 30 cas confirmés et un décès. Des chiffres faibles par rapport à ceux qu’enregistre l’Europe, mais les autorités ont parié sur des mesures draconiennes afin de maintenir le nombre de personnes infectées le plus bas possible pendant la durée la plus longue possible.

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Un fonds pour lutter contre la pandémie

Afin de marquer cette volonté, le roi Mohammed VI a donné ses instructions pour la création d’un fonds de gestion de la pandémie, qui sera doté de 10 milliards de dirhams [plus de 930 millions d’euros]. Ce fonds a rassemblé presque 30 milliards de dirhams grâce aux différentes contributions. Il servira à financer la mise à niveau du système de santé, mais aussi à soutenir l’économie nationale. Car comme beaucoup de ses voisins, le Maroc craint plus, à ce stade, les conséquences économiques de la crise que son impact sanitaire.

Si la situation dure encore trois ou quatre mois, je pense que beaucoup ne pourront pas s’en relever

D’autant que le contexte n’était déjà pas favorable : pour le Haut-Commissariat au Plan (HCP), 2020 s’annonçait déjà comme la pire de ces vingt dernières années, notamment à cause de la sécheresse qui persiste. La crise du coronavirus va aggraver la situation et les PME estiment être en première ligne. « Si la situation dure encore trois ou quatre mois, je pense que beaucoup ne pourront pas s’en relever », prévient Karim Tazi, président de la commission environnement des affaires de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM) et patron de la marque de vêtements Marwa.

Le royaume a donc mis en place un comité de veille économique pour suivre la situation heure par heure, décider des mesures à prendre pour limiter les dégâts et faciliter la reprise. En plus des départements ministériels concernés, cette nouvelle entité comprend aussi le Groupement professionnel des banques du Maroc, la CGEM, la Fédération des chambres marocaines de commerce, d’industrie et de services, et la Fédération des chambres d’artisanat.

Plusieurs séries de mesures

Face à une situation inédite et qui risque fort de s’aggraver encore, la CGEM avait demandé la suspension des charges fiscales au 31 mars et la déclaration du Covid-19 comme cas de force majeure s’agissant des marchés publics. Les chefs d’entreprises espéraient aussi obtenir la mise en place d’une indemnité perte d’emploi pour les bas salaires à activer pour cause de licenciement économique. Dans un premier temps, les pouvoirs publics n’ont proposé que la suspension du paiement des charges sociales et aussi la mise en place d’un moratoire sur le remboursement des crédits bancaires par les entreprises. Puis, le 19 mars, le comité de veille économique a annoncé une nouvelle série de décisions.

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Les salariés affiliés à la CNSS (caisse sociale) et qui sont en arrêt de travail recevront un salaire de 2 000 dirhams net par mois (187 euros) qui sera versé par le Fonds de gestion de la pandémie du coronavirus. Un soulagement pour ces salariés, qui pourront aussi bénéficier d’un report de trois mois des échéances liées aux crédits à la consommation et aux crédits immobiliers.

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Par ailleurs, un moratoire sera accordé aux PME et aux TPE pour les crédits et les leasings de trois mois. Les TPE dont l’activité se poursuit et qui souffrent de difficultés de trésorerie pourront bénéficier d’une ligne de crédit supplémentaire grâce à une garantie qui sera prochainement mise en place par la Caisse centrale de garantie

Enfin, si pour les entreprises qui réalisent un chiffre d’affaires de plus de 20 millions de dirhams, rien ne change sur le plan fiscal (avec un décaissement maintenu ce 31 mars), un report pourra être accordé à celles dont le chiffre d’affaires est en deçà de ce seuil.

L’événementiel touché de plein fouet

Autant de mesures qui pourraient s’avérer insuffisantes pour les secteurs qui se trouvent en première ligne, comme l’événementiel et la communication. Chaque jour voit son lot d’annulations de salons, de festivals et d’autres événements publics. Le Salon international de l’agriculture au Maroc (le Siam, à Meknès), notamment, n’aura pas lieu cette année.

Hormis l’alimentaire, la santé et les produits d’hygiène tout le monde souffre en ce moment

Or, selon certaines sources au ministère de l’Agriculture, une partie des TPE et des coopératives du secteur agricole réalisent jusqu’à 50 % de leur chiffre d’affaires durant les dix jours que dure ce rendez-vous. L’annulation du très populaire festival de musique Mawazine, qui réunit chaque année plusieurs millions de spectateurs à Rabat et à Salé, est également une très mauvaise nouvelle pour toute l’industrie culturelle.

« Aucun secteur, ou presque, n’est à l’abri. Hormis l’alimentaire, la santé et les produits d’hygiène tout le monde souffre en ce moment », résume Karim Tazi. L’industrie avait déjà subi un premier coup de frein au début de la crise, quand les usines chinoises avaient fermé leurs portes. Et désormais, les commandes diminuent. « Plusieurs sites dépendent des intrants venant de Chine, d’Italie, de France ou même d’Inde. Ce qui rend la situation assez délicate pour un bon nombre d’entre eux », explique notamment Mehdi Tazi, le vice-président de la CGEM.

Reste la question de la consommation des ménages. Comme dans beaucoup d’autres pays, les Marocains se sont rués sur les grandes surfaces par peur de manquer de nourriture. Au 14 mars, les professionnels de la distribution estimaient ainsi que la demande avait progressé en moyenne de 20 % depuis le début de la crise. Mais de façon hétérogène : si la demande en riz ou en farine a été multipliée par dix, elle a baissé sur les produits non prioritaires. Pour le secteur de la grande consommation, « le challenge sera donc la gestion des flux de marchandises, assure Moncef Belkhayat, patron de Dislog, leader de la distribution des produits alimentaires. Mais nous avons de quoi couvrir les besoins pour au moins quatre mois ».

Une année catastrophique en perspective pour le tourisme

À Marrakech, l’une des destinations favorites des Européens en ce début de période printanière, les hôteliers enregistrent un nombre d’annulations sans précédent. L’année 2019 avait déjà été relativement décevante avec seulement 13 millions de visiteurs étrangers au Maroc, mais 2020 pourrait être catastrophique. Alors qu’on est aujourd’hui loin du taux de 65 % d’occupation des chambres observé à la même époque en 2019, et que ce pourcentage devrait chuter au plus bas niveau jamais connu, certains analystes tablent sur 5 millions de touristes de moins.

« Le secteur du tourisme [qui représente 500 000 emplois et 8 500 entreprises] va perdre 34 milliards de dirhams [plus de 3 milliards d’euros] de chiffre d’affaires d’ici à la fin de l’année, si nous ne nous reprenons pas d’ici là. Le secteur de l’hôtellerie perdra à lui seul 15 milliards de dirhams », prévient Abdellatif Kabbaj, président de la Confédération nationale du tourisme.

Et, renchérit Mehdi Tazi, le vice-président de la CGEM, « la baisse de régime dans le tourisme affecte aussi d’autres secteurs comme la restauration ou le transport ». La Royal Air Maroc, qui a décidé de clouer au sol la plupart de ses appareils, prévoit un exercice catastrophique et a annoncé dès le 13 mars des mesures d’austérité. Certains salariés se sont déjà vu proposer ou imposer un congé sans solde d’une durée pouvant aller de un à six mois.

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