Politique

Crise anglophone au Cameroun : duel entre Paul Atanga Nji et Séverin Tchounkeu

Le ministre de l’Administration territoriale et le PDG d’Equinoxe Télévision au Cameroun, sur fond d’accusations de massacres commis par l’armée camerounaises dans les régions anglophones.

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Mis à jour le 19 mars 2020 à 16:45

Paul Atanga Nji et Séverin Tchounkeu. © JA

C’est un point de presse, le 9 mars à Yaoundé, qui a mis le feu aux poudres. Ce jour-là, Paul Atanga Nji, le ministre de l’Administration territoriale, accuse plusieurs médias, dont Equinoxe Télévision, l’une des plus importantes chaînes privées du pays, sise à Douala, de relayer l’activité d’ONG elles-mêmes qualifiées de « fabriques de faux rapports ».

Un rapport au cœur de la discorde

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Particulièrement en verve, Atanga Nji fait allusion à un rapport de Human Rights Watch, publié le 25 février, selon lequel l’armée camerounaise est responsable de la mort de 21 personnes à Ngarbuh, dans le Nord-Ouest anglophone.

Le ministre menace de fermer lesdits médias au motif qu’ils « n’ont pas vocation à jeter de l’huile sur le feu » et que « le Cameroun n’a pas besoin de “radios des Mille Collines” ».

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Piqué au vif, Sévérin Tchounkeu, le PDG d’Equinoxe Télévision, lui répond le soir même sur le plateau de son journal de 20 heures. Il défend le professionnalisme de ses journalistes, explique qu’ils ne se sont pas contentés de relayer paresseusement le rapport.

« Nous sommes la seule télévision du pays à avoir dépêché des équipes [sur place], plaide énergiquement le patron de presse. J’ajoute qu’en toute responsabilité nous avons décidé de ne pas diffuser une bonne partie des éléments récoltés sur le terrain. »

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Il précise enfin qu’il a été « heurté » qu’il ait été fait référence à la Radio Mille Collines de sinistre mémoire, qui joua un rôle dans le déclenchement du génocide des Tutsis au Rwanda.

Guerre de communication

Alors que les combats opposant l’armée aux séparatistes se poursuivent en zone anglophone, une guerre de communication s’engage à Yaoundé. Inspirateur de la méthode forte, que privilégie aujourd’hui le pouvoir, Atanga Nji est, de fait, l’un des hommes clé du gouvernement.

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Pour ce sécurocrate zélé, qui a su imposer sa ligne au détriment de celle – plus modérée – de Joseph Dion Ngute, le Premier ministre, il n’y a pas – et il n’y aura jamais – de « problème anglophone ». Pour lui, les séparatistes sont des « terroristes », voire des « bandits ».

Plein d’autorité, il n’hésite pas à marcher sur les plates-bandes de René Sadi, son collègue chargé de la Communication, notamment quand il juge nécessaire de tancer les médias. Sa légitimité, il la tient de Paul Biya, qui a su trouver en cet ex-promoteur d’établissement d’épargne et de crédit failli des talents de Monsieur sécurité.

Écorché vif

Séverin Tchounkeu, au contraire, a l’échine souple, ce qui l’a préservé de toutes les tempêtes. Diplômé en science politique de la Sorbonne (Paris), il est rentré au pays à l’âge de 28 ans pour fonder le journal La Nouvelle Expression dans le bruit et la fureur des années 1990, avant de se diversifier dans la radio et la télévision.

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Discret, peu démonstratif, manœuvrier, cet homme de réseaux est à la fois proche de l’opposition et familier des coulisses du pouvoir. Il a su se rapprocher de la classe politique pour mieux l’observer, d’un œil à la fois cynique et connivent.

Cet écorché vif peut parfois se montrer assassin : « Je comprends bien que des conflits internes au gouvernement font que certains nous en veulent d’avoir accompagné le Premier ministre dans la tenue du Grand dialogue national », a-t-il ainsi taclé.

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Tchounkeu se range donc du côté des adversaires d’Atanga Nji. La communauté internationale faisant pression en faveur d’une solution politique, ces derniers ont le vent en poupe. Et, comme le pays est dans l’attente d’un remaniement post-législatives, la tête d’Atanga Nji pourrait tomber avant qu’il ne s’en prenne à Equinoxe.