Société

[Édito] Monsieur le président, lisez ce sondage !

Que veulent les jeunes Africains ? Comment voient-ils leur futur ? Celui du continent ? Qu’attendent-ils de leurs dirigeants, si tant est qu’ils leur accordent encore du crédit ? Pour le savoir, il faut lire un sondage réalisé par un institut américain qui livre une radiographie passionnante de l’état de l’opinion des 18-24 ans en Afrique.

Réservé aux abonnés
Mis à jour le 9 mars 2020 à 17:33
François Soudan

Par François Soudan

Directeur de la rédaction de Jeune Afrique.

Couverture du sondage réalisé par la Fondation Ichikowitz. © Source : AFRICAN YOUTH SURVEY 2020 / Ichikowitz Foundation

C’est un sondage de 112 pages, rendu public le 20 février, que tous les décideurs politiques du continent – à commencer par les chefs d’État – devraient lire avec attention. Son commanditaire, l’homme d’affaires sud-africain Ivor Ichikowitz, a beau être le premier fabricant d’armes privé du continent, l’institut américain qui l’a réalisé est réputé pour son indépendance et son professionnalisme.

Pendant plusieurs mois, en 2019, les enquêteurs de PSB Research ont sillonné 14 pays d’Afrique subsaharienne, anglophones et francophones, pour recueillir les jugements, les attentes, les craintes et les espoirs des 18-24 ans. En ressort la radiographie passionnante d’une population correspondant à l’âge médian (19 ans) des habitants d’un continent peuplé à 70 % de moins de 30 ans.

Génération connectée

 © Source : AFRICAN YOUTH SURVEY 2020 / Ichikowitz Foundation

© Source : AFRICAN YOUTH SURVEY 2020 / Ichikowitz Foundation

86 % des jeunes (femmes et hommes, urbains et ruraux) possèdent un smartphone – contre 40 % pour l’ensemble des Africains –, sur lequel ils passent entre trois et cinq heures par jour en moyenne, les Gabonais étant les plus assidus en la matière.

Même si les francophones recourent plus volontiers que les anglophones aux réseaux sociaux comme « principale source d’information » (jusqu’à 79 % des jeunes Sénégalais !), 60 % des sondés avouent n’accorder qu’une confiance limitée aux plateformes Facebook et WhatsApp.

À Lire Internet : Eutelsat en passe de connecter les zones enclavées d’une quarantaine de pays africains

Pour se tenir informés, les trois quarts d’entre eux plébiscitent la télévision devant la radio, avec néanmoins des taux de crédulité variables quand il s’agit de la chaîne nationale officielle : si 98 % des jeunes Rwandais et 73 % des Sénégalais disent lui faire confiance, ils ne sont que 30 % au Gabon et 28 % au Zimbabwe.

Génération identitaire

 © Source : AFRICAN YOUTH SURVEY 2020 / Ichikowitz Foundation

© Source : AFRICAN YOUTH SURVEY 2020 / Ichikowitz Foundation

À 76 %, la jeunesse africaine a le sentiment de partager « une identité commune », fondée sur la culture et sur l’Histoire. Ce panafricanisme explique, entre autres, le haut degré de crédit accordé à l’Union africaine en tant qu’institution (72 %), mais aussi la défiance vis-à-vis des investissements étrangers, perçus par 68 % des jeunes comme « une forme de néocolonialisme ».

À Lire « À bas la France ! » : enquête sur le sentiment anti-français en Afrique

Globalement, les États-Unis, la Grande-Bretagne, la Chine et l’Union européenne sont les acteurs extérieurs dont le soft power est le plus apprécié. La France, elle, est en queue de peloton. Paradoxe qui devrait interpeller l’Élysée et le Quai d’Orsay : autant l’image de la France est bonne en Afrique anglophone, particulièrement au Ghana, en Éthiopie, au Nigeria, au Kenya ou en Afrique du Sud, autant elle est mauvaise, voire déplorable auprès de la jeunesse des pays francophones.

Ainsi, 71 % des jeunes Gabonais jugent son influence négative, tout comme 68 % des Sénégalais, 60 % des Maliens et 58 % des Togolais de la même tranche d’âge. À l’exception du Congo-Brazzaville, où 60 % des sondés l’estiment positive, l’image de la France est donc dégradée au sein de son ex-pré carré. On s’en doutait. Ce sondage le confirme.

Génération démocratique ?

 © Source : AFRICAN YOUTH SURVEY 2020 / Ichikowitz Foundation

© Source : AFRICAN YOUTH SURVEY 2020 / Ichikowitz Foundation

La question se pose, au vu des résultats de cette enquête. Confrontée au choix (cornélien) de dire ce qui, à ses yeux, est prioritaire entre la démocratie et la stabilité, la jeunesse des 14 pays du panel se départage de manière strictement égale : 48 % placent la démocratie avant la stabilité, et 48 % optent pour l’inverse (4 % ne se prononcent pas).

Détail intéressant : les francophones sont à une large majorité « pro-démocratie », alors que la plupart des anglophones plébiscitent la stabilité dans des proportions parfois écrasantes (94 % des jeunes Rwandais et 86 % des jeunes Éthiopiens).

Signe de cette « crise de la légitimité démocratique » sur le continent que relevaient il y a peu des chercheurs de Harvard ? Convenons aussi, à la lecture de ce sondage, que les combats de la jeunesse africaine se situent sur un terrain plus vaste que celui des affrontements entre politiciens. Cette jeunesse privilégie la liberté de conscience, l’accès au wifi (qu’elle considère à 80 % comme un droit de l’homme) et à des emplois décents, la lutte contre la corruption et la recherche de la paix.

C’est aussi une jeunesse qui se veut « morale ». À la question : « La religion joue-t-elle un rôle important dans votre vie ? », elle répond oui à 63 %. Et cela expliquant en partie ceci, elle exprime à 69 % son rejet de toute extension des droits accordés aux personnes LGBT. La tolérance dont elle fait preuve vis-à-vis des réfugiés, des fidèles des autres confessions ou des minorités ethniques trouve ici des limites précises.

Génération optimiste

 © Source : AFRICAN YOUTH SURVEY 2020 / Ichikowitz Foundation

© Source : AFRICAN YOUTH SURVEY 2020 / Ichikowitz Foundation

Que dire d’autre au vu de ce chiffre : 82 % des jeunes interrogés pensent qu’ils vivront mieux dans deux ans ! Et si on leur donnait un billet de cent dollars, la moitié d’entre eux l’investiraient immédiatement dans un nouveau business. Certes, le niveau d’afroptimisme n’est pas le même partout : les Rwandais, les Éthiopiens, les Ghanéens, les Nigérians, les Kényans imaginent leur avenir de manière beaucoup plus positive que les Maliens, les Togolais, les Congolais, les Zimbabwéens ou les Sud-Africains.

À Lire Grandes écoles : que veulent les jeunes diplômés africains ?

Même dichotomie en ce qui concerne le sentiment d’égalité devant la loi : si 78 % des Rwandais et 55 % des Sénégalais disent avoir confiance dans leur justice, le taux de défiance à son encontre demeure très fort au Congo, au Gabon et au Mali. Idem quant à la mesure du taux de satisfaction à l’égard des infrastructures de base : très élevé au Rwanda (décidément…) et au Kenya, bas à très bas au Nigeria et au Gabon. Idem, enfin, à propos du taux de crédit accordé par la jeunesse à ses gouvernants : globalement favorable en Afrique de l’Est (72 %), moyen en Afrique australe (54 %) et faible en Afrique francophone (45 %).

« Créer un maximum d’emplois ! »

Pour conclure : une jeunesse « afro-­entrepreneuse » et « afro-responsable », très majoritairement désireuse de vivre et de réussir là où elle est, encore trop peu concernée par les défis environnementaux, mais qui, à 86 %, dit se reconnaître dans les valeurs portées jadis par Nelson Mandela.

« Et si vous étiez président pour un jour, quelle mesure prendriez-vous en priorité ? » ont demandé les enquêteurs aux jeunes des 14 pays. Réponse quasi unanime : « Créer un maximum d’emplois ! » Nul doute que la réaction aurait été la même dans les quarante autres…