Culture

« La ligne de couleur de W.E.B. Du Bois » : retour sur l’oeuvre oubliée d’un sociologue africain-américain

Un livre bienvenu revient sur « l’Exposition des Nègres d’Amérique », conçue par le sociologue et militant William Edward Burghardt Du Bois pour l’Exposition universelle de 1900.

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Mis à jour le 24 février 2020 à 17:51

La Ligne de couleur de W.E.B. Du Bois. Représenter l’Amérique noire au tournant du XXe siècle, sous la direction de Whitney Battle-Baptiste et Britt Rusert, B42, 148 pages, 30 euros

D’avril à novembre 1900 se tient à Paris la cinquième Exposition universelle organisée par la capitale française. Elle attire plus de 48 millions de visiteurs et reste dans les annales de la ville pour lui avoir offert deux bâtiments emblématiques : le Grand Palais et le Petit Palais.

Ce qui est moins connu, c’est que parmi les « récompenses aux exposants » attribuées à l’époque, l’une des médailles d’or couronna le travail du sociologue et militant africain-américain William Edward Burghardt Du Bois pour son « Exposition des Nègres d’Amérique ». Œuvre pionnière et novatrice, cette exposition fait aujourd’hui l’objet d’un livre essentiel, La Ligne de couleur de W.E.B. Du Bois. Représenter l’Amérique noire au tournant du XXe siècle, publié sous la direction de Whitney Battle-Baptiste et Britt Rusert.

Au travers de séries de photographies et d’objets, les Africains-Américains étaient décrits comme des personnes fières

« Niché dans le coin droit de l’une des salles du pavillon de l’économie sociale, l’emplacement reculé assigné à l’“Exposition des Nègres d’Amérique” n’annonçait rien de bon », écrit le professeur de sociologie et d’études africaines-américaines Aldon Morris.

Et pourtant ! Alors que l’époque était encore aux zoos humains et autres humiliations racistes, cette tentative fait « émerger une pensée différente » : « Au travers de séries de photographies et d’objets, les Africains-Américains étaient décrits comme des personnes fières, fastueusement vêtues, ou encore comme des universitaires accomplis et des intellectuels scrutant le monde avec autant d’aptitude que ce que l’on attendrait d’un étudiant de Platon, Copernic, Alexander Crummel ou Frederick Douglass. »

Des faits et des chiffres

Plus précisément, l’exposition présente de manière originale les travaux sociologiques de W.E.B. Du Bois, qui oppose au racisme dit « scientifique » une réponse scientifique. Aux délires sur une prétendue infériorité des Noirs, Du Bois et son équipe répondent par des faits, des chiffres et des diagrammes.

« Outre une approche généraliste, utilisée pour décrire la population noire au niveau national, Du Bois employa la méthode de l’étude de cas avec son travail sur la Géorgie, écrit encore Morris. […] Du Bois choisit l’État de Géorgie comme un cas typique pour étudier la vie des Africains-Américains dans le moindre détail, afin d’ajouter de la précision au tableau national. »

un puissant récit sociologique de l’expérience des Noirs à une échelle à la fois locale et internationale

Particulièrement travaillés pour être accessibles à tous, les schémas, cartes et graphiques présentant les résultats des études sont, à l’époque, une nouveauté remarquable. « Jusqu’alors utilisée pour marginaliser et exploiter les personnes noires, la cartographie réintègre ici le monde noir dans l’histoire et la géographie », écrit l’architecte et historienne Mabel O. Wilson.

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Toujours très moderne plus de cent ans plus tard, l’ensemble génère « un puissant récit sociologique de l’expérience des Noirs à une échelle à la fois locale et internationale », et, surtout, démontre que « les conditions sociales [priment] sur l’appartenance raciale dans la production des inégalités sociales ». La réédition de ce corpus essentiel vient fort à propos rappeler la fameuse phrase de Du Bois : « Le problème du XXe siècle est celui de la ligne de couleur. » Cela reste celui du XXIe siècle.