À genoux, paumes vers le ciel, les yeux fermés, Évariste Ndayishimiye n’attend plus que la bénédiction du président Pierre Nkurunziza. Ce 26 janvier, sur le tarmac de l’aérodrome de Gitega, décoré pour l’occasion aux couleurs vert et rouge du Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD, au pouvoir), l’heure est à la fête. Après trois jours de prières, le congrès du parti vient de livrer son verdict. Désigné candidat pour la présidentielle du 20 mai, Évariste Ndayishimiye en est désormais l’ultrafavori. « J’ai été entraîné à être patient, endurant. J’ai sillonné toutes les provinces du Burundi à pied, j’ai appris à être un meneur d’hommes, j’ai été subalterne […]. Je suis prêt à affronter tous les combats », a-t-il assuré en clôture du rassemblement.
Fidèle au fonctionnement opaque qui est le sien depuis l’époque du maquis, le CNDD-FDD a maintenu jusqu’au dernier moment la nomination dans un épais brouillard. Plusieurs noms avaient circulé, alimentant les spéculations, mais cet homme du sérail a fini par emporter le consensus : logique, au regard de son profil de cadre influent qui a su, ces deux dernières décennies, rester au cœur du système Nkurunziza.
Dans le maquis
Outre les similitudes qui existent entre les deux hommes (ce sont de fervents croyants, Ndayishimiye étant catholique, et le président, évangélique), le secrétaire général du CNDD-FDD, 52 ans, coche toutes les cases. La première – la plus importante – est son statut de général passé par le maquis.
Ndayishimiye est étudiant en droit lorsque le pays sombre dans la guerre civile après l’assassinat, le 21 octobre 1993, de Melchior Ndadaye, le premier président hutu démocratiquement élu. Confronté deux ans plus tard à une purge lancée par des étudiants tutsi extrémistes, l’apprenti juriste échappe à la mort. Il rejoint alors les FDD, qui ont pris les armes en 1994. La même année, un professeur de sport, de quatre ans son aîné, intègre lui aussi le mouvement : Pierre Nkurunziza. Là, aux côtés du jeune maquisard, Ndayishimiye gravit les échelons et se voit confier le commandement de bataillons. De ces années de guerre, il garde un surnom : Neva.
Ce passage dans la clandestinité lui confère une légitimité indispensable auprès des militants du CNDD-FDD, les Bugumyabanga (« ceux qui gardent le secret », en kirundi). C’est notamment ce qui manquait à Pascal Nyabenda, l’autre nom qui revenait avec insistance à Gitega. Le président de l’Assemblée nationale se trouvait au Kenya pendant une partie de la guerre civile. « Les relations nouées dans le maquis sont les liens les plus solides qui existent dans ce parti, rappelle un ancien haut cadre. Vous ne jouez pas totalement dans la même cour que ces gens-là si vous ne partagez pas ce passé. »
Depuis la fin de la guerre civile, le natif de Gitega, capitale politique depuis 2018, a su rester au centre du jeu dans une formation rompue aux règlements de comptes. Propulsé à l’état-major après le cessez-le-feu en 2003 (il présidait la commission politique du CNDD-FDD lors des négociations), « Neva » devient ministre de la Sécurité intérieure en 2006. Un an plus tard, il intègre le cabinet militaire, puis politique, du président, et prend la direction du parti en 2016. Pendant toutes ces années, Évariste Ndayishimiye se forge l’image d’un homme « ouvert et disert ». « Il parle de tout et cause beaucoup. C’est presque difficile d’en placer une, s’amuse un ancien cadre du CNDD-FDD. Mais en petit comité, c’est aussi quelqu’un qui peut s’emporter et prendre un marteau pour abattre une mouche. »
Discret Neva
Au CNDD-FDD, Ndayishimiye gravite autour des influents sécurocrates que sont Alain-Guillaume Bunyoni, ministre de la Sécurité et véritable bras droit de Nkurunziza, et Adolph Nshimirimana, longtemps directeur des services de renseignements (assassiné en août 2015). Ce club très fermé a souvent été accusé par l’opposition de « faire la pluie et le beau temps » au parti.
Neva est néanmoins le plus discret de ses membres, selon plusieurs anciens du CNDD-FDD, et c’est là un autre atout qui a joué en sa faveur. Son nom n’apparaît dans aucune des nombreuses accusations de corruption ou de répression qui pèsent sur le régime. Il n’est pas non plus visé par l’enquête onusienne ouverte en 2016. Et lorsque, à la fin de 2014, les crispations se multiplient dans l’appareil d’État à l’approche des élections, Ndayishimiye reste là encore en dehors des radars. « Il sait se maintenir en marge des intrigues », confirme un ancien proche collaborateur de Pierre Nkurunziza.
Lorsque Ndayishimiye prend les rênes du parti, il amorce un changement de ton. Alors que Pascal Nyabenda, son prédécesseur, s’était distingué par ses diatribes contre les Occidentaux, lui assure d’emblée qu’il va « faire un travail qui va ramener la confiance des partenaires ». Serait-ce le gage d’un assouplissement du système ? « C’est une première étape, mais c’est trop tôt pour le savoir », glisse un diplomate européen présent à Gitega. Au sein de l’opposition, les réactions sont tout aussi mitigées.
En attendant, Pierre Nkurunziza a donc tenu parole. Une « évidence » pour son entourage, mais un événement malgré tout, tant le changement de Constitution de 2018 avait été interprété comme une volonté de briguer un quatrième mandat. Depuis l’élection controversée de 2015, Nkurunziza a dû composer avec la pression des partenaires régionaux, les sanctions européennes et les tensions au sein de l’appareil politico-militaire. Si cette désignation acte son départ du pouvoir, il est impossible pour l’instant de savoir quel sera le degré d’autonomie de Ndayishimiye. Jouera-t-il, s’il l’emporte, le jeu du dialogue que souhaitent l’opposition en exil et une partie de la communauté internationale ? L’hostilité des « durs » du régime est claire. N’aura-t-il pas plutôt intérêt à suivre la voie qu’on lui a tracée ? Le seul élément de réponse à ce stade se trouve dans l’éloge qu’il a adressé à son « frère d’arme », Pierre Nkurunziza, après sa désignation comme candidat : « Excellence, vous n’êtes pas que notre guide permanent, vous êtes notre Moïse. »
Dar es-Salaam veille au grain
Comme négociateur du cessez-le-feu signé à Dar es-Salaam en 2006 avec les Forces nationales de libération (FNL), d’Agathon Rwasa, ou comme secrétaire général du Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD), Évariste Ndayishimiye a pu bâtir son réseau dans la région.
Le dauphin de Pierre Nkurunziza semble avoir ses entrées au Chama Cha Mapinduzi (CCM), le parti au pouvoir en Tanzanie, allié historique du CNDD-FDD. Il y a multiplié les déplacements ces trois dernières années. Un atout non négligeable puisque c’est l’un des seuls pays restés aux côtés du régime burundais depuis la crise de 2015. « Sans relâcher son soutien au régime, le CCM a probablement maintenu une forme de pression pour qu’une transition s’opère au sein du CNDD-FDD », assure un connaisseur du dossier.