Cette fois, il occupe la place d’honneur. Installé confortablement dans les tribunes de l’arène de Maradi, en ce 5 janvier, peut-être regrette-t-il d’être trop éloigné des deux combattants qui s’affrontent pour la 41e édition du Sabre national de lutte traditionnelle. Voici trente ans, lorsqu’il enseignait la philosophie au lycée de Tahoua, l’anonymat lui permettait de se glisser auprès des guerriers. Mais la politique est passée par là, l’eau du Niger a coulé sous les ponts de Niamey, et le professeur est devenu l’un des hommes forts de la République. Ministre de l’Intérieur, il est le candidat du Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS, au pouvoir) à la présidentielle prévue pour décembre 2020, lors de laquelle Mahamadou Issoufou passera la main.
Ce scrutin, Mohamed Bazoum y pense. Chaque jour. Chaque heure sans doute. Bien sûr, le leader du PNDS le répète, il n’est pas encore en campagne. Trop tôt : selon le code électoral, il n’en aura le droit qu’à partir du 6 décembre, soit vingt et un jours avant le premier tour. Alors le député de Tesker (région de Zinder) enchaîne les « tournées de proximité ». Une précaution de langage qui agace beaucoup l’opposition. Celle-ci est persuadée que l’homme aux fines lunettes utilise les moyens de l’État à des fins électorales. Bazoum nie mais ne s’arrête pas. Il a sillonné la région de Zinder en août, celle de Dosso en septembre et celle de Tillabéri en novembre, après s’être envolé pour Paris en juillet, « pour des rencontres privées ».
En quête de marge de manœuvre
« Il doit se montrer le plus possible, surtout dans les villes du Sud-Ouest », résume un politologue nigérien. En 2016, au premier tour de la présidentielle, Tillabéri avait voté pour Hama Amadou, alors candidat du Moden Fa Lumana (opposition). Dosso et Niamey avaient fait de même. Quant à Zinder, elle avait opté pour l’ancien président Mahamane Ousmane, à l’époque candidat du Mouvement nigérien pour le renouveau démocratique (MNRD Hankuri).
Mohamed Bazoum s’est donc entouré en conséquence. À Tillabéri, l’un de ses camarades de longue date, Hamadou Adamou Souley, occupe le poste de coordinateur régional du PNDS. Et à Zinder, c’est l’ancien député Magagi Dada, président du bureau fédéral, qui lui tient lieu de bras droit.
« À Zinder, il peut réussir à faire jeu égal avec Mahamane Ousmane, estime un ex-membre de la majorité présidentielle passé à l’opposition. La région d’Agadez est acquise au PNDS, avec l’influence de la bourgeoisie arabe et touarègue, proche du Premier ministre, Brigi Rafini. »
Mais la situation n’est pas aussi simple ailleurs. À Tahoua, fief de Mahamadou Issoufou, le parti au pouvoir a de l’avance, mais la candidature dissidente d’un local, le ministre de l’Agriculture, Albadé Abouba, pourrait changer la donne. « Il y a une usure chez les militants du PNDS, qui rejoignent de plus en plus l’opposition, notamment à Tahoua », espère Ibrahim Yacouba, candidat du Mouvement patriotique nigérien (MPN-Kiishin Kassa). L’opposition n’est certes pas dans la meilleure posture possible étant donné l’incertaine participation de Hama Amadou (toujours emprisonné à Filingué) au scrutin. Mais Mohamed Bazoum n’a pas la marge de manœuvre d’Issoufou.
« Son premier objectif, c’est de constituer l’unité du parti », explique notre politologue. « Il a été investi sous l’impulsion du chef de l’État, mais a tout de même du mal à rassembler certains barons autour de sa candidature », estime un ancien du PNDS. « C’est de la fiction, rétorque Abderahmane Mohamed Ben Hamaye, conseiller en communication du ministre de l’Intérieur. Le parti est uni derrière le choix du président Issoufou, malgré les rumeurs et les mensonges véhiculés par l’opposition. »
Dernière image d’unité abondamment relayée par les réseaux du parti : Mohamed Bazoum et Hassoumi Massaoudou, côte à côte, le 18 décembre, à l’occasion de la commémoration de la proclamation de la République à Maradi. Simple photographie protocolaire ?
Une aubaine
Limogé le 31 janvier 2019 du ministère des Finances, Massaoudou a payé une ambition trop affichée pour l’élection de 2020, avant de réintégrer le gouvernement en septembre. Ministre d’État à la présidence, il a été prié de rentrer dans le rang. « Il faut montrer de la cohésion. Massaoudou a beaucoup d’influence auprès des barons, notamment dans sa région de Dosso », souligne un cadre du parti.
Certes, l’ancien ministre reste discret, tout comme Mahamadou Karidjo, chargé des Transports, membre du comité exécutif national du PNDS. Mais Mohamed Bazoum veut pouvoir compter sur la machine politique qu’il préside depuis 2011.
Ses jours au gouvernement sont comptés : il devrait démissionner en juin pour se consacrer à sa campagne
Alkassoum Indatou, secrétaire général adjoint du parti, se consacre à son unité et gère les relations avec les formations alliées. Le Congrès pour la République (CPR Ingantchi), du ministre de la Jeunesse, Kassoum Moctar, a d’ailleurs décidé de soutenir le PNDS dès le premier tour. Daoui Ahmet Baringaye, président de l’Organisation de la jeunesse Tarayya (OJT), et Ousseini Hadizatou, patronne de l’Organisation des femmes Tarayya (OFT), s’assurent, eux aussi, de la mobilisation. « À la différence d’Issoufou, qui disposait d’un fief doté d’un gros réservoir de voix, Mohamed Bazoum doit aller en chercher ailleurs, résume le même politologue. C’est pour cette raison qu’il est parti si tôt en campagne, malgré les critiques. »
Depuis septembre dernier, il est épaulé par un secrétaire d’État, Alkache Alhada, ancien directeur de cabinet adjoint de Mahamadou Issoufou et très proche de Hassoumi Massaoudou. Une aubaine. « Bazoum en campagne, il fallait que quelqu’un prenne sa place sur les dossiers sécuritaires », persifle un adversaire politique. « C’est un faux procès. Issoufou a nommé Alhada, mais a aussi changé son ministre de la Défense [désormais Issoufou Katambé]. C’est une refonte de la politique sécuritaire », analyse quant à lui un responsable du PNDS. Mais les jours de Bazoum au gouvernement n’en sont pas moins comptés : selon nos informations, il devrait démissionner en juin pour se consacrer officiellement à sa campagne et à l’élaboration de son programme.
Ministre de l’Intérieur et ancien titulaire du portefeuille des Affaires étrangères, il devra assumer le bilan des années Issoufou et a assuré que son action serait dans la continuité de celle de son potentiel prédécesseur. Il n’en réfléchit pas moins aux façons de se démarquer et consulte beaucoup, au Niger et à l’étranger. En août, lors de brèves vacances, il s’est penché sur la biographie du Chinois Xi Jinping et a longuement repensé aux classiques de Karl Marx et de Lénine, ces ouvrages qui l’ont mené à la politique. Que retiendra-t-il du nouveau « grand timonier » et des pères du communisme russe ? « Il veut construire son propre style », confie l’un de ses proches. L’homme de Tesker et des paysages pastoraux de l’Ouest sait d’où il vient et qui il est. Il lui reste à proposer des réponses à une troisième question philosophique – et accessoirement politique : « Où vais-je ? »