Au Gabon, petits remèdes contre la vie chère

Baisse des revenus, hausse des prix des produits de base… Ces dernières années, les Gabonais ont vu leur pouvoir d’achat se réduire comme peau de chagrin. Un casse-tête pour tous, y compris pour l’État.

La chaîne de boulangerie Paul a ouvert son premier établissement dans le centre de Libreville en 2018. © Jacques Torregano/Divergence pour JA

La chaîne de boulangerie Paul a ouvert son premier établissement dans le centre de Libreville en 2018. © Jacques Torregano/Divergence pour JA

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Publié le 19 décembre 2019 Lecture : 6 minutes.

À Libreville au Gabon. (photo d’illustration). © Jacques Torregano pour JA
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Gabon : enfin la relance ?

Si les récents remaniements au sein du cabinet présidentiel et du gouvernement ont inquiété les uns et déconcerté les autres, ils ont aussi et surtout clarifié la situation au sommet de l’État : un an après son AVC, Ali Bongo Ondimba est bel et bien de retour aux commandes de l’exécutif et dicte le tempo.

Sommaire

Avant même de s’engouffrer dans l’un des taxis massés sur le parking de l’aéroport Léon-Mba, on aperçoit sa moustache et son bouc. Le portrait schématique sur fond rouge du « colonel » de l’enseigne de restauration rapide Kentucky Fried Chicken (KFC) accueille désormais chaque voyageur sortant du terminal d’arrivée librevillois. S’étalant sur deux étages, la première antenne gabonaise de la franchise américaine a été inaugurée en mars 2019. Située en bordure d’un axe routier très fréquenté, elle a immédiatement été prise d’assaut par une clientèle de jeunes Librevillois.

Le succès de l’enseigne dans les premières semaines qui ont suivi son ouverture a été tel que le ministre des Infrastructures de l’époque, Arnauld Engandji, a dû se rendre sur place pour tenter de trouver des solutions aux embouteillages causés par le flot continu d’amateurs de poulet grillé. « Chaque nouvelle enseigne de ce genre qui ouvre au Gabon connaît un pic de fréquentation très rapide, car il y a une demande de nourriture “jeune”, explique l’économiste gabonais Gabriel Zomo Yebe. La classe moyenne veut de plus en plus consommer, comme les autres classes moyennes ailleurs dans le monde. Il y a une forme d’européanisation de la consommation. »

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Classe moyenne aisée

L’euphorie est retombée et, depuis, le restaurant ne fait plus le plein. La fréquentation se résume souvent aux voyageurs qui arrivent au Gabon ou en repartent, ainsi qu’aux Librevillois aux revenus aisés. « Nous savons que la fréquentation chute très vite après les premiers jours, mais on s’y adapte. Les Gabonais méritent ce type d’offre », insiste la direction de l’établissement. Car si le prix moyen des plats se situe autour de 2 000 F CFA (3 euros), il faut compter un minimum de 6 000 F CFA (9,15 euros) pour un repas complet et, pour certaines formules, jusqu’à 25 000 F CFA (plus de 38 euros). De quoi freiner les ardeurs de beaucoup de clients, plus habitués aux portions et aux tarifs – bien plus abordables – des vendeurs de « coupés-coupés » qu’à ceux des franchises internationales.

Depuis 2015, Resto Group – filiale de Cedicom Group, qui supervise l’importation de nombreux produits de consommation au Gabon –, organise le déploiement de franchises européennes ou américaines au Gabon. C’est ce groupe, dirigé par l’homme d’affaires d’origine libanaise Nader Hashem, qui est à l’origine de l’ouverture du KFC et, avant lui, des trois restaurants de l’enseigne Paul. La chaîne de boulangerie s’est en effet élargie, au Gabon, à des restaurants plutôt chics, où, en plus des viennoiseries, sont servis des burgers gourmets et des petits plats mijotés. Là aussi, il faut « mettre le prix », mais ces établissements ont trouvé leur clientèle.

La diversification qui devait avoir lieu dans le domaine alimentaire n’a pas donné les résultats escomptés

Si de telles enseignes ne sont pas légion dans la capitale gabonaise, elles continuent de s’y développer, malgré la crise et la baisse du pouvoir d’achat. Du côté des promoteurs, on assume d’ailleurs la volonté de viser la « classe moyenne aisée », qui reste encore aujourd’hui une minorité, dans un pays qui importe 90 % de ses produits de consommation courante. « La diversification qui devait avoir lieu dans le domaine alimentaire n’a pas donné les résultats escomptés, notamment le programme Graine, et les Gabonais subissent la fluctuation des prix », explique l’économiste gabonais Mays Mouissi.

Selon les estimations du gouvernement, la tendance haussière de l’inflation est aujourd’hui maîtrisée (son taux moyen était de 4,8 % en 2018 et il devrait redescendre à 2,5 % pour 2019). Pourtant les consommateurs continuent d’en subir les effets. D’ailleurs, selon les chiffres de la direction générale de l’Économie et de la Politique fiscale, l’inflation mesurée par l’Indice harmonisé des prix à la consommation des ménages (IHPCM) à Libreville, Akanda (en périphérie nord de la capitale) et Owendo affichait un taux de 4,7 % en moyenne pour les trois premiers mois de 2019, contre 2,7 % sur la même période en 2018. Plus généralement, l’inflation affecte tous les postes de dépense des ménages gabonais, en particulier les « produits alimentaires et boissons non alcoolisées » (5,6 %), les frais de « logement, eau, gaz et électricité » (5 %) et les « transports » (5,1 %).

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Chers transports

Sur ce dernier point, il suffit d’observer la contestation, récurrente ces derniers mois, liée à la hausse des prix du carburant. Depuis la suppression des subventions de l’État, à la fin de 2015, sur demande du FMI, le prix à la pompe a connu des augmentations régulières (par exemple entre 40 F CFA et 50 F CFA supplémentaires par litre en juin dernier). Du côté des chauffeurs, la grogne monte d’autant plus que le secteur du transport est en difficulté depuis plusieurs années.

La Société gabonaise de transport (Sogatra), qui en a le monopole depuis 1997 mais est handicapée par un parc automobile vétuste et par des tensions sociales importantes, va devoir faire face à un concurrent : Trans-Urb, la nouvelle société de transports urbains. L’arrivée de cette société privée est censée améliorer un système de transports publics saturés par la demande et souvent onéreux. Car si les bus de la Sogatra restent le moyen le moins coûteux de traverser la ville, avec des billets à prix fixes à 100 F CFA (15 centimes d’euros), les interminables files d’attente pour accéder aux véhicules aux heures de pointe poussent nombre d’usagers à se tourner vers d’autres solutions.

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Parmi les options possibles, les taxi-bus, plus rapides mais plus chers – l’inconvénient majeur est que les voyageurs doivent généralement s’aligner sur le passager qui fait le plus de chemin pour harmoniser le tarif du trajet. Il reste l’option la plus onéreuse, celle des taxis, classiques ou sans licence. En juin, face à l’augmentation des prix du carburant, la Coalition nationale des syndicats du secteur des transports et assimilés (Conasystra) a haussé le ton et, après des négociations stériles avec le gouvernement, n’a eu d’autre choix que d’annoncer une hausse d’environ 100 F CFA sur le prix moyen des courses – lequel, à Libreville, est fixé après discussion avec le chauffeur.

Ses mesures décoratives, destinées à précariser les agents publics

En juin 2018, dans un contexte économique déjà délicat, le gouvernement avait annoncé une série de mesures pour réduire les dépenses de l’État, parmi lesquelles la réduction des effectifs des cabinets ministériels, la création de bons de caisse pour l’ensemble des personnels de l’État (afin de s’assurer de la présence effective des agents), la baisse des revenus des agents publics, la réduction des effectifs dans les principales institutions, ainsi que le gel des recrutements pendant trois ans. De nouvelles mesures pour maîtriser la masse salariale de la fonction publique ont été adoptées en avril 2019. Des dispositions jugées positives par le patronat gabonais, mais qui ont provoqué une levée de boucliers, notamment de la part des syndicats, Dynamique unitaire – l’une des principales centrales – dénonçant des mesures « décoratives, destinées à précariser les agents publics ».

Plafonnement salutaire

Le mécanisme de défiscalisation de certains produits, instauré en 2012 et destiné à maîtriser les coûts de certains produits de consommation de base, a été renouvelé en juin dernier. Le nouveau dispositif d’exonération des droits de douane et de la TVA concerne 58 produits de première nécessité consommés essentiellement « par les ménages disposant de revenus modestes » : il s’agit notamment des produits laitiers, de la volaille, des cotis (petites côtes de porc) et de certaines variétés de riz.

Plafonner le coût de certains produits dans une économie libérale où les prix s’autorégulent est toujours risqué et peut parfois entraîner l’opposition de certains opérateurs économiques

La mesure a indéniablement eu un impact sur les ménages dits modestes et peut toujours être ajustée en fonction des produits. « Plafonner le coût de certains produits dans une économie libérale où les prix s’autorégulent est toujours risqué et peut parfois entraîner l’opposition de certains opérateurs économiques », souligne cependant Abbas Nziengui Mabika, secrétaire exécutif de la Confédération gabonaise des syndicats des commerçants (Cogasyc).

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