[Tribune] Gabon : monnaie unique, non, évolution du CFA, oui

C’est au franc CFA, unique expérience de monnaie commune régionale en Afrique, d’évoluer, dès lors que les conditions pour la création d’une monnaie unique continentale sont aussi loin d’être réunies.

Billets de francs CFA de l’Afrique centrale. © Vincent Fournier/JA

Billets de francs CFA de l’Afrique centrale. © Vincent Fournier/JA

Mays Mouissi OK
  • Mays Mouissi

    Analyste économique et spécialiste en sécurité financière. Originaire du Gabon, il est l’auteur de plusieurs études économiques sur les pays francophones d’Afrique.

Publié le 20 décembre 2019 Lecture : 3 minutes.

À Libreville au Gabon. (photo d’illustration). © Jacques Torregano pour JA
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Gabon : enfin la relance ?

Si les récents remaniements au sein du cabinet présidentiel et du gouvernement ont inquiété les uns et déconcerté les autres, ils ont aussi et surtout clarifié la situation au sommet de l’État : un an après son AVC, Ali Bongo Ondimba est bel et bien de retour aux commandes de l’exécutif et dicte le tempo.

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À l’aube des indépendances, deux visions de l’Afrique se sont affrontées. La première, défendue par les chefs d’État des nouveaux pays souverains du continent réunis au sein du groupe de Monrovia, privilégiait une Afrique où les pays demeureraient souverains tout en coopérant entre eux. La seconde, défendue par un autre groupe de chefs d’État, le groupe de Casablanca, plaidait pour une Afrique fédérale continentale, dotée notamment d’une armée et d’une monnaie fédérales.

Si la vision du groupe de Monrovia semble l’avoir emporté, les idées du groupe de Casablanca reviennent régulièrement dans le débat public, défendues parfois de façon très technique par des intellectuels, reprises souvent un peu maladroitement par des populistes et, de plus en plus, soutenues par les jeunes générations, sur fond d’anticolonialisme. Le débat sur la monnaie unique en Afrique et l’avenir du franc CFA en est la plus parfaite illustration.

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En théorie, tout est toujours possible. Cependant, dans la situation de nos économies, une monnaie unique continentale est-elle souhaitable et réalisable ? Je ne le pense pas. En l’état actuel de l’intégration économique africaine et des défis propres à chaque pays, quelle serait la cohérence d’une union monétaire regroupant l’Afrique du Sud, le Gabon, la Gambie, l’Algérie et l’Éthiopie ?

Quelle union monétaire possible ?

À ce stade de notre développement, les projets de monnaie unique ne peuvent s’envisager qu’au niveau régional, favorisés par la proximité géographique et économique. Une monnaie unique continentale serait prématurée et difficilement envisageable, tant sur le plan pratique que sur les plans politique et économique.

En outre, mis ensemble, les pays africains ne remplissent pas les critères d’une zone monétaire optimale. En effet, l’opportunité ou non d’adhérer à une union monétaire devrait s’apprécier à la lumière de trois critères : l’efficacité des mécanismes d’ajustement par les prix et/ou par les quantités, l’importance des chocs symétriques, et les caractéristiques structurelles des économies, qui divergent fortement d’un pays à l’autre.

La zone franc constitue la seule expérience de monnaie unique régionale en Afrique

Alors que des voix plaident pour une monnaie unique africaine, il convient de rappeler que la zone franc constitue, à ce jour, la seule expérience de monnaie unique régionale en Afrique. Seuls les pays de la Cemac et de l’Uemoa ont expérimenté les contraintes et les avantages de l’appartenance à une union monétaire commune.

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Le franc CFA va être réformé, mais, avant d’envisager une réforme en profondeur du système monétaire, il est important d’identifier ses avantages, pour éventuellement les conserver, et ses limites, pour éventuellement les dépasser. Les discussions sur l’avenir du franc CFA ne devraient pas échapper à cette règle.

Les conditions d’une monnaie commune

Le franc CFA doit évoluer pour répondre à la volonté que semblent en exprimer les citoyens, pour être plus en phase avec les évolutions économiques souhaitées dans ces pays et, enfin, pour s’adapter aux grandes mutations intervenues dans le monde. Cependant, cette évolution ne doit pas prendre la forme de l’instauration de 14 monnaies nationales.

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En effet, dans des pays où la gouvernance est parfois faible, la solidarité monétaire régionale peut se révéler protectrice et favoriser la stabilité.

De mon point de vue, le franc CFA doit évoluer afin de :

• devenir une monnaie totalement africaine, ce qui impliquerait, d’une part, une réforme de la relation monétaire entre la France et les pays de la zone franc, et, d’autre part, la fin du régime de change fixe entre le franc CFA et l’euro ;

• centraliser progressivement l’intégralité des réserves en devises dans les banques centrales des deux unions monétaires, lesquelles doivent demeurer indépendantes ;

• s’élargir à la RD Congo, au Rwanda, au Burundi et à São Tomé-et-Príncipe, dans une zone Cemac réformée pour regrouper dans un même espace monétaire ces pays qui ont une communauté de destin ;

• favoriser un meilleur accès au crédit et l’accroissement des échanges intra-régionaux ;

• devenir un instrument de lutte contre le chômage sur le modèle de la Réserve fédérale américaine (Fed) ;

• favoriser une plus grande convergence économique et budgétaire entre les États ;

• devenir à plus long terme la monnaie unique des États de l’Afrique centrale et de l’Afrique de l’Ouest, dans une vision d’intégration monétaire commune.

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