Gabon : le grand chantier de l’opposition

Ultra-minoritaires au sein de l’Assemblée et divisés sur la stratégie à adopter, les adversaires de la majorité sont en pleine reconstruction.

L’opposant Jean Ping. © Vincent Fournier pour JA

L’opposant Jean Ping. © Vincent Fournier pour JA

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Publié le 17 décembre 2019 Lecture : 5 minutes.

À Libreville au Gabon. (photo d’illustration). © Jacques Torregano pour JA
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Gabon : enfin la relance ?

Si les récents remaniements au sein du cabinet présidentiel et du gouvernement ont inquiété les uns et déconcerté les autres, ils ont aussi et surtout clarifié la situation au sommet de l’État : un an après son AVC, Ali Bongo Ondimba est bel et bien de retour aux commandes de l’exécutif et dicte le tempo.

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Remobilisée – à défaut d’être unie –, l’opposition gabonaise semblait déterminée, en octobre 2018, à prendre la revanche d’une présidentielle qu’elle estime toujours lui avoir été volée. Mais, une nouvelle fois, le Parti démocratique gabonais (PDG) et ses alliés avaient raflé la majorité des deux tiers au palais Léon-Mba, ne laissant aux trois principales formations d’opposition que moins de 20 sièges sur 143. Après les partielles d’août 2019, Les Démocrates (LD) comptent 10 élus, le Rassemblement Héritage et Modernité (RHM) 7 et l’Union nationale (UN) 1 seul.

« Ces cinq années [jusqu’à la présidentielle de 2023] vont être une purge », lâchait un opposant à l’issue des législatives d’octobre 2018. Un an plus tard, la réorganisation se poursuit, et le chemin reste pavé d’embûches. Le flou institutionnel qui a accompagné la maladie puis la convalescence d’Ali Bongo Ondimba a offert à l’opposition un espace inattendu pour tenter de se relancer, mais, là encore, les ténors ne sont pas parvenus à parler d’une seule voix.

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Guy Nzouba-Ndama a fait le choix de rester en retrait pour se concentrer sur son propre parti, propulsé principale force d’opposition, et de lancer sa propre coalition. L’ancien président de l’Assemblée, déjà réticent à se ranger derrière Jean Ping en 2016 au détriment de ses propres ambitions, semble aujourd’hui s’inscrire dans une opposition plus prudente. Son absence avait été remarquée, le 10 avril, au domicile de son ancien allié, qui, ce jour-là, avait manifesté son soutien aux lycéens en grève. Devant un parterre de fidèles et sous le regard de Zacharie Myboto (UN) et d’Alexandre Barro-Chambrier (RHM), Ping avait aussi appelé à l’union de l’opposition.

Ligne radicale

Mais quel est aujourd’hui le poids de celui qui continue de se présenter comme étant le président élu ? Pour beaucoup d’anciens soutiens du candidat Ping, le chef de file de la Coalition pour la Nouvelle République (CNR) s’est trompé de stratégie lors des dernières législatives. Lorsque, pendant le premier semestre de 2018, l’opposition tergiversait pour savoir si elle devait ou non participer aux législatives, le silence de l’ex-président de la Commission de l’Union africaine avait été interprété comme « un feu orange » pour ceux qui souhaitaient se rendre aux urnes.

Celui qui avait la légitimité de parler s’est tu pendant un long moment. Naturellement, ça donne l’impression d’une opposition impréparée

« Ce n’est qu’en juin que l’on a compris qu’il penchait pour une non-participation. Derrière, il restait peu de temps aux autres pour préparer l’échéance », raconte Anges-Kevin Nzigou, membre du parti Pour le changement et d’Appel à agir, collectif ­politico-citoyen qui a porté le combat judiciaire pour demander l’examen médical du chef de l’État. « Celui qui avait la légitimité de parler s’est tu pendant un long moment. Naturellement, ça donne l’impression d’une opposition impréparée, explique un cadre du RHM. Jean Ping n’a pas su trancher entre certains responsables de la CNR qui le poussaient à se relancer aux législatives, et son carré de fidèles, plus radicaux, qui privilégient aujourd’hui encore une ligne dure, en phase avec une certaine base et avec la diaspora. »

La stratégie de Jean Ping reste la grande équation à l’heure actuelle dans l’opposition. Confronté à l’hémorragie de ses soutiens de 2016, l’ancien candidat a multiplié les meetings, les rencontres, et a progressivement durci son discours pendant la convalescence d’ABO, après avoir initialement appelé « les Gabonais de tous bords » au « rassemblement ». Toujours entouré d’un groupe de fidèles, parmi lesquels l’ancien Premier ministre Jean Eyeghe Ndong, le professeur John-Nambo, son « dircab », l’ex-­ministre de l’Environnement Radegonde Djeno et l’ancien vice-président Didjob Divungi, Ping s’est positionné sur tous les fronts, dont celui, incontournable, de la vacance, pour laquelle il milite à chacune de ses interventions depuis plusieurs mois. Jusqu’alors fidèle à sa ligne radicale, il a néanmoins surpris en appelant au soutien des candidats CNR aux législatives partielles d’août, rompant avec le mot d’ordre du scrutin d’octobre 2018.

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« Une forme de loyauté »

« Le problème, aujourd’hui, c’est qu’on ne voit pas où il veut en venir », s’agace un ancien lieutenant de Ping. « Attention, on ne fait rien dans ce pays sans Ping. Il a une légitimité très profonde au Gabon », tempère Serge Maurice Mabiala, l’un des piliers du RHM, qui a bénéficié du soutien de Ping pour remporter les législatives partielles à Mouila. Ses anciens alliés, s’ils n’ont pas renoncé à leurs ambitions, savent qu’il est préférable de ne pas marquer une rupture trop brutale. Preuve en est, les mêmes Zacharie Myboto et Alexandre Barro-Chambrier (ABC), qui, au lendemain du scrutin d’octobre 2018, critiquaient « l’égoïsme » de Ping, continuent d’échanger avec lui.

La dynamique que nous avons enclenchée en 2016 existe toujours. Si on commence tous à faire notre route dans notre coin, c’est regrettable

Le patron du RHM a repris contact avec Ping au début de 2019. « Ils se voient personnellement environ tous les deux mois. Ils ne sont pas d’accord sur tout, notamment sur ce qu’impliquerait la reconnaissance de la vacance, qui, pour Ping, signifie la reconnaissance de sa victoire. Mais il y a une forme de loyauté », confie l’un des fidèles lieutenants d’ABC. « La dynamique que nous avons enclenchée en 2016 existe toujours. Si on commence tous à faire notre route dans notre coin, c’est regrettable », estime Alexandre Barro-Chambrier. « Il faut comprendre aussi que désapprouver Ping a toujours un coût, même trois ans après, et que cela implique de se discréditer auprès des électeurs qui lui sont restés fidèles. Ces mêmes électeurs qui ne sont pas allés voter aux législatives », nuance un membre d’Appel à agir.

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L’option de l’union

La route vers 2023 se fera-t-elle avec ou sans Jean Ping ? En attendant de se trouver un porte-voix, la logique de parti a repris le dessus. Le RHM, renommé Rassemblement pour la patrie et la modernité (RPM, nom qui attend toujours son homologation officielle) lors de son congrès, en avril, tente de se réorganiser avec dans sa ligne de mire le scrutin de 2023. Une échéance pour laquelle plusieurs cadres du parti prêtent à ABC une ambition.

De son côté, l’UN prépare son congrès (prévu en 2020), qui doit permettre de désigner un successeur au patriarche Zacharie Myboto. À voir ensuite si, le moment venu, l’opposition choisira à nouveau l’option de l’union. Pour un député de l’opposition, ce ne sera pas si simple. « Personne n’acceptera cette fois de jouer les porteurs de valise… »

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