Politique

[Édito] Côte d’Ivoire : la triste fable des trois éléphants

Dans six mois, les candidats des principaux partis pour la présidentielle de 2020 seront désignés. Six mois pour retrouver la raison et sortir enfin d’une bataille des ego dans laquelle les désirs de revanche prennent le pas sur le débat démocratique et la confrontation des projets politiques.

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Mis à jour le 9 décembre 2019 à 10:47
Marwane Ben Yahmed

Par Marwane Ben Yahmed

Directeur de publication de Jeune Afrique.

Henri Konan Bédié (à g.), Alassane Dramane Ouattara, Laurent Gbagbo. © Montage JA/REUTERS/AP SIPA/ Sylvain Cherkaoui pour JA

«Oui, la Côte d’Ivoire doit continuer d’avancer, lance-t-il, mais pas avec n’importe qui. Nous avons vu dans le passé ce que d’autres ont fait. Nous ne voulons plus de retour en arrière ni de détournements. Car nos concitoyens ont de la mémoire. Quand je vois les hésitations de certains… C’est pour ça que je n’ai pas encore annoncé ma décision. Je veux que tous ceux de ma génération comprennent que notre temps est passé. […] Je ne souhaite pas être candidat, mon intime conviction est qu’après deux mandats il faut passer la main. J’aurai 78 ans l’année prochaine. Ce que l’on peut faire à 68 ans, on ne peut plus le faire à 78, a fortiori à 85 ou 86 ans. À partir de là, j’estime qu’il serait mieux que tous ceux de ma génération décident d’eux-mêmes de ne pas être candidat. Maintenant, s’ils décident néanmoins de l’être, compte tenu de leurs bilans et de leur incapacité à gérer la Côte d’Ivoire, je trouverai une autre solution, y compris celle de continuer. La Constitution m’autorise en effet à faire deux autres mandats, et je suis en parfaite santé… Mais ça ne veut pas dire que j’aie décidé d’y aller. »

Alassane Ouattara a de la suite dans les idées. À onze mois de la présidentielle et pour la troisième fois depuis juillet 2018, le chef de l’État ivoirien a, lors de sa tournée fin novembre-début décembre dans le Hambol, appelé de ses vœux un passage de témoin des hommes politiques de sa génération. Autrement dit lui-même, Henri Konan Bédié et Laurent Gbagbo – qu’il n’a pas souhaité citer. Félix Houphouët-Boigny, dont on a commémoré ce 7 décembre à Yamoussoukro l’anniversaire de la mort, a disparu il y a vingt-six ans. Depuis, les trois éléphants de la politique ivoirienne – 75 ans pour le plus « jeune », 85 ans pour le plus vieux – occupent le devant de la scène. Tous ont été tour à tour président et opposant.

Sarabande infernale

Leurs faits et gestes, leurs bilans, leurs qualités et leurs défauts sont connus de tous. La sarabande infernale à laquelle ils se sont livrés – ­tantôt les uns avec les autres, tantôt les uns contre les autres – ­pendant près de trois décennies, également. Une seule fois, ils se sont affrontés lors d’une présidentielle. C’était en 2010 et personne, hélas ! n’a oublié les funestes conséquences de ce Rumble in the Jungle éburnéen.

Huit ans plus tard, dans une Côte d’Ivoire désormais métamorphosée et apaisée, il est plus que temps, assurément, de passer à autre chose. Les ego, le désir de revanche et/ou de vengeance, la volonté d’humilier l’adversaire doivent cesser de prendre le pas sur les attentes des Ivoiriens. Et sur l’indispensable accession aux plus hautes responsabilités d’une nouvelle génération de dirigeants.

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Le spectacle qui se joue aujourd’hui sur l’échiquier ivoirien n’a rien pour faire rêver les foules. Alliances entre ennemis d’hier, compromissions, propos haineux, mesquins petits calculs politiciens, clanisme, cynisme éhonté de ceux qui disent aujourd’hui le contraire de ce qu’ils faisaient hier, incitation à la discorde, la nuit, par ceux-là mêmes qui, le jour, appellent à la réconciliation.

On ne sort pas des lassantes querelles de personnes. De débat démocratique, de propositions, de projets politiques, économiques ou sociétaux, il n’est jamais question.

Six mois pour retrouver la raison

Puisqu’il semble peu probable, compte tenu de sa situation judiciaire, à La Haye comme à Abidjan, que Laurent Gbagbo puisse concourir en 2020, la balle est dans le camp de Bédié. Le Sphinx de Daoukro semble résolu à se présenter. Insondables mystères de l’âme humaine qui l’incitent à croire que, à 85 ans, il est le seul capable de tenir les rênes d’une nation aussi humainement riche que la Côte d’Ivoire.

Si Ouattara a choisi celui qui pourrait être appelé à lui succéder en la personne de son Premier ministre, Amadou Gon Coulibaly, et s’il dispose donc d’un plan B, ou d’une exit option, tel n’est pas le cas d’HKB.

Mais si ce dernier s’obstinait, alors oui, ADO se lancerait dans la bataille. Il reste moins de six mois avant les conventions et les congrès à l’issue desquels le RHDP et le PDCI désigneront leurs candidats respectifs. Six mois pour retrouver la raison et sortir enfin de l’impasse. Six mois pour répondre aux aspirations de 24 millions d’Ivoiriens.