Cameroun – Maurice Kamto : « Pour le salut du pays, je suis prêt à discuter avec Paul Biya »

Deux mois après sa libération, le président du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC) est bel et bien de retour dans l’arène politique. Tout en justifiant le boycott des élections de février, le leader de l’opposition prône le dialogue et l’apaisement.

L’opposant camerounais Maurice Kamto, le 3 décembre 2019. © Fernand Kuissu pour JA

L’opposant camerounais Maurice Kamto, le 3 décembre 2019. © Fernand Kuissu pour JA

GEORGES-DOUGUELI_2024

Publié le 9 décembre 2019 Lecture : 10 minutes.

Maurice Kamto vit reclus derrière les hauts murs de sa résidence des quartiers nord de Yaoundé. Pour y accéder, il faut montrer une pièce d’identité et attendre que des vigiles derrière un grillage vous ouvrent et vous installent sous une tonnelle dressée dans le jardin.

Puis arrive ce professeur des universités, ancien ministre délégué à la Justice, devenu l’opposant le plus en vue du Cameroun. Il a le regard fatigué et la voix éraillée de ceux qui dorment peu. Peut-être est-ce l’une des conséquences de neuf mois d’incarcération à la prison principale de Yaoundé, qu’il a quittée en octobre.

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Peu importe, cet homme de 65 ans n’est pas du genre à s’apitoyer sur son sort. D’ailleurs, sitôt libéré, il est retourné dans l’arène pour annoncer, au grand dam du gouvernement, que son parti, le Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC), boycotterait les élections législatives et municipales prévues le 9 février 2020.

Jeune Afrique : Votre parti, le MRC, a annoncé qu’il ne participerait pas aux scrutins de février 2020. Pourquoi ?

Maurice Kamto : Il y a deux principales raisons. Premièrement, nous ne pouvons pas aller aux élections sans que les conditions soient réunies pour que les populations du Nord-Ouest et du Sud-Ouest puissent se rendre aux urnes. Cela reviendrait à exclure ces deux régions du jeu républicain, en matière de gouvernance locale et de représentation à l’Assemblée nationale. Comme si nous nous résignions à acter, de fait, une partition de notre pays.

Deuxièmement, notre système électoral a montré ses limites, il faut le réformer. Nous avons élaboré une proposition de loi en 2014 et nous l’avons déposée à l’Assemblée, mais elle n’a toujours pas été portée à l’attention de son bureau.

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Dans ces conditions, pourquoi avoir été candidat à l’élection présidentielle de 2018 ?

Parce que nous espérions parvenir à mobiliser les électeurs et à bien surveiller les opérations de vote et parce que ce scrutin représentait aussi une chance de régler les problèmes du pays. Cela étant, il nous a donné l’occasion de démontrer, lors de l’examen du contentieux électoral devant le Conseil constitutionnel, que les lois n’étaient pas bonnes et que, effectivement, il était plus que temps de les réformer pour éviter les crises postélectorales.

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Mais le gouvernement ne paraît pas pressé de faire évoluer les textes…

Pourtant, même la communauté internationale le lui demande avec insistance. Il ne vous a pas échappé que, dans une résolution adoptée à l’unanimité, le Parlement européen a insisté que le système électoral soit réformé avant tout nouveau scrutin. Et le Congrès américain ainsi que le Parlement canadien ne disent pas autre chose.

Souhaitez-vous le report des prochaines élections ?

Naturellement, et nous l’avons clairement dit. Nous aurions pu y aller pourtant, et nous aurions gagné, tant notre popularité est grande. Mais nous pensons qu’il nous faut régler les problèmes avant de penser aux élections.

OUverture du dialogue national à Yaoundé, le 3 décembre. © STR/AFP

OUverture du dialogue national à Yaoundé, le 3 décembre. © STR/AFP

Le MRC n’a-t-il pas participé à la fin de septembre au Grand Dialogue national lancé par le président Biya, notamment pour apaiser la crise dans les régions anglophones ?

Si, parce qu’il s’agissait de sortir de l’impasse que connaît notre pays depuis trois ans. Mais avant même de formuler nos propositions au Premier ministre, nous préconisions de commencer par libérer tous les détenus politiques, y compris les gens comme Sisiku Ayuk Tabe [président autoproclamé de l’Ambazonie], qui ont déjà été condamnés.

Un tel geste d’apaisement aurait suscité le soutien de la population. Mais le gouvernement préfère les maintenir en prison et fait fausse route en choisissant lui-même ses interlocuteurs.

Pour les autorités, ne serait-ce pas envoyer un mauvais signal que de libérer des individus formellement condamnés par la justice ?

Dans la situation actuelle, il ne sert à rien d’identifier les coupables et les innocents. Nous demandons leur libération parce que nous cherchons une solution. Il sera toujours temps, plus tard, de mettre en place une commission « vérité, justice et réconciliation ».

Maurice Kamto, en octobre 2018 à Yaoundé (archives). © REUTERS/Zohra Bensemra

Maurice Kamto, en octobre 2018 à Yaoundé (archives). © REUTERS/Zohra Bensemra

Je ne suis pas, je n’ai jamais été et je ne serai jamais pour la partition du Cameroun

Quelles sont, selon vous, les mesures à prendre dans ­l’immédiat ?

Dans un tel contexte de violence, il faut d’abord appliquer des mesures de désescalade. Nous souhaitons le retrait des forces de troisième catégorie [l’armée] pour que seules restent sur le terrain la police et la gendarmerie. Ensuite, l’État doit engager la reconstruction des villages et des infrastructures, comme nous ne cessons de le dire, pour permettre aux déplacés de rentrer chez eux, et pour faire notamment en sorte que l’école reprenne. Nos demandes n’ont pour l’instant pas été entendues, mais il est évident que la solution à cette crise est politique.

Êtes-vous pour ou contre un changement de la forme de l’État ? Seriez-vous par exemple favorable à un retour au fédéralisme ?

Je ne suis pas, je n’ai jamais été et je ne serai jamais pour la partition du Cameroun. Ce n’est même pas envisageable. Notre pays doit rester uni. Toutefois, on ne doit pas craindre de discuter de la forme de l’État. Ce ne doit pas être un tabou. On sent bien que l’hyper-centralisation ne répond plus aux attentes des populations.

J’ajoute que cette réflexion n’est pas une exclusivité anglophone, elle concerne l’ensemble des Camerounais. Pour autant, je ne suis pas favorable à un retour pur et simple au fédéralisme tel qu’il existait en 1961. Nous ne devons pas tirer un trait sur les soixante années de vie commune que, francophones et anglophones, nous avons partagée depuis l’indépendance.

Comment réagissez-vous au fait que les manifestations de votre parti soient si souvent interdites ?

Je ne comprends pas que l’on nous affuble d’une logique insurrectionnelle. Nous avons toujours respecté la loi. Le MRC a été créé il y a sept ans et il n’a jamais été à l’origine du moindre incident. Ces reproches qui nous sont faits sont sans fondement.

Depuis trois ans, nous n’avons presque jamais été autorisés à tenir meeting. Pis ! La police s’invite maintenant dans des réunions tenues à notre siège alors que, d’après la loi, le siège d’un parti politique est inviolable.

Le tribalisme dont est accusé le MRC est-il lui aussi une construction ?

Bien sûr, c’est la même chose. À chaque élection ou chaque fois qu’un candidat sérieux menace celui du pouvoir en place, on ressort ce type d’accusations. Taxer quelqu’un de tribalisme, c’est le délégitimer. C’est d’un cynisme incroyable, qui a atteint son paroxysme lors de la dernière présidentielle. Il est temps d’y mettre un terme.

Vous niez que votre parti soit régionaliste ?

Absolument ! Personne ne pourra jamais prouver que je me suis un jour rendu coupable de régionalisme ou de tribalisme, ni dans ma carrière universitaire ni dans ma carrière politique.

Maurice Kamto, en mai 2018 à Paris. © Jacques Torregano pour JA

Maurice Kamto, en mai 2018 à Paris. © Jacques Torregano pour JA

On dit que Kamto est un dictateur. Non ! C’est le conseil national du parti qui a choisi le boycott

Ne pas aller aux élections, est-ce votre décision personnelle ?

Là aussi, j’ai entendu beaucoup de choses. On dit que Kamto est un dictateur. Non ! C’est le conseil national du parti qui a choisi le boycott. Je n’ai rien décidé tout seul. Ce qui est vrai, c’est que j’étais de ceux qui pensaient que l’on devait reporter les législatives et les municipales et commencer par régler les problèmes. Un exemple : on parle du statut spécial des régions anglophones [une recommandation du dialogue national], mais personne ne connaît le contenu de cette formule !

Que ferez-vous face à l’impatience des jeunes cadres qui souhaitaient entrer à l’Assemblée ?

On ne crée pas un parti pour permettre à quelques camarades d’avoir une expérience. On le fait pour atteindre des objectifs d’intérêt national. Je m’explique : si nous étions allés aux élections, nous aurions très probablement gagné des sièges supplémentaires, comme je vous l’ai dit.

Nous serions entrés dans l’establishment politique et nous participerions au jeu institutionnel. Mais nous ne pourrions plus critiquer le code électoral, et nous aurions perdu de vue tous les objectifs pour lesquels notre parti a été créé, et cela pour l’intérêt de quelques-uns. Je suis convaincu que les camarades comprendront que leurs carrières politiques ne sont pas compromises.

Le reste de l’opposition semble hésiter sur la marche à suivre…

C’est l’une des particularités de l’opposition camerounaise. Nous ne savons pas nous rassembler et trouver de vrais terrains de convergence politique. J’ai toujours pensé que la question de la réforme du système électoral pouvait nous réunir, précisément parce qu’elle ne profite à personne en particulier.

Quand les règles du jeu sont bonnes, elles le sont pour tout le monde. En 2014, j’ai écrit à tous les partis politiques pour harmoniser nos positions sur cette question. Je n’ai pas reçu de réponse.

Vos partisans se sont beaucoup plaints de tracasseries administratives. Qu’en est-il ?

Certains sous-préfets ont pris le parti de refuser de délivrer des actes à certains des candidats de l’opposition qui en demandaient. Je le dis avec gravité, parce que de par leur comportement, ils détruisent la colonne vertébrale de l’administration camerounaise. Il faut expliquer aux sous-préfets que nous ne venons pas les chasser, que nous ne sommes pas leurs ennemis.

Jean-Yves Le Drian et Paul Biya © Montage JA

Jean-Yves Le Drian et Paul Biya © Montage JA

À aucun moment jean-Yves Le Drian n’a évoqué la crise en elle-même ou la révision du code électoral

Jean-Yves Le Drian, le ministre français des Affaires étrangères, était en visite au Cameroun à la fin d’octobre. Il a rencontré le président Biya bien sûr, et plusieurs responsables politiques, dont vous. Vous attendiez-vous à plus ?

Je n’ai pas été déçu parce que je prends les choses comme elles viennent. Il eut été logique, dans le contexte qui est le nôtre, que le ministre des Affaires étrangères d’un pays ami accordât une attention particulière à celui qui, officiellement, est arrivé deuxième à l’élection présidentielle. Cela n’a pas été le cas.

Jean-Yves Le Drian a pensé qu’un format avec les dirigeants de tous les partis politiques représentés à l’Assemblée était suffisant. A-t-il obtenu les réponses souhaitées ? Je ne sais pas.

Mais il est apparu très clairement qu’il venait accompagner la mise en œuvre des résolutions du dialogue, et l’on peut se demander si le fait qu’il ait donné l’impression de venir avec une position déjà arrêtée est la bonne manière d’aider à la résolution de la crise multiforme à laquelle nous sommes confrontés. À aucun moment il n’a évoqué la crise en elle-même ou la révision du code électoral.

La France doit-elle être plus ferme, à l’instar des Américains, qui, à la mi-novembre, ont exclu le Cameroun de l’Agoa ?

Ceux qui sont aux affaires n’entendent que le rapport de force. Un discours amical ne les fera pas bouger. Cela étant dit, toute approche qui amènera le gouvernement à comprendre qu’il lui faut réformer le système est la bienvenue.

Vous avez passé presque dix mois en détention. Qu’en avez-vous retenu ?

Ce n’est pas un endroit où j’aimerais voir mes propres ennemis, mais la prison ne m’a pas changé. Elle m’a conforté dans l’idée qu’il faut se battre pour que les choses changent au Cameroun. Dans mon cas, l’incarcération a été une injustice. Mais se lamenter sur son sort ne change rien à l’affaire. Se dire en revanche qu’il ne faut pas que cela arrive à d’autres, c’est déjà le début de quelque chose de différent.

Les partisans de Maurice Kamto attendent sa sortie de prison, le 5 octobre 2019 à Yaoundé © STR/AFP

Les partisans de Maurice Kamto attendent sa sortie de prison, le 5 octobre 2019 à Yaoundé © STR/AFP

Il y a une petite élite politico-universitaire qui instille le poison de la haine dans les veines de notre pays

Que répondez-vous à ceux qui vous disent rigide ?

Que je ne le suis pas. La preuve : je tends la main au président Biya pour que nous travaillions ensemble à un projet de nouvelle République – j’y travaille moi-même depuis des décennies. Pour résoudre nos problèmes, pour le salut du pays, et certainement pas parce que je cherche un poste, je suis prêt à discuter avec lui.

Vous attendiez-vous à prendre autant de coups lorsque vous vous êtes lancé en politique ?

La vie publique est violente. J’ai parfois vu de la haine à mon égard, certains souhaitent même ma disparition, mais cette violence n’est bonne pour personne et ne résoudra aucun des problèmes du Cameroun. Nos projets politiques ne sont pas différents au point que nous ne puissions pas dialoguer les uns avec les autres.

Les réseaux sociaux ne sont pas tendres à votre égard. Est-ce que cela vous affecte ?

Si le mensonge et l’insulte tuaient, je serais mort plusieurs fois déjà ! Je ne lis pas tout, mais je vois passer beaucoup de choses. Est-ce que ça me blesse ? Oui, parfois, d’autant qu’il arrive que la jalousie et la haine dépassent ma personne pour viser la communauté d’où je viens. Mais l’on a beau me dépeindre en diable, je n’ai jamais lu ou entendu de reproches argumentés.

Pensez-vous qu’il y ait un risque de conflit interethnique au Cameroun ?

Individuellement, les Camerounais ne sont pas tribalistes ! Il y a en revanche une petite élite politico-universitaire qui instille le poison de la haine dans les veines de notre pays. Mais ces gens-là n’ont rien de concret à proposer, et leur projet est voué à l’échec.

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