Le « combat du siècle », quand l’art s’invite sur le ring à Aubervilliers

Au Boxing Beats d’Aubervilliers, une trentaine de plasticiens célèbrent le « combat du siècle » entre Mohamed Ali et George Foreman. Une expo-vente pas comme les autres.

Combat réel, parmi des Suvres inspirées du noble art. © François Grivelet pour JA

Combat réel, parmi des Suvres inspirées du noble art. © François Grivelet pour JA

ProfilAuteur_NicolasMichel

Publié le 27 novembre 2019 Lecture : 4 minutes.

C’est une expérience hors du commun : entrer par une discrète porte de métal de la rue Lécuyer, à Aubervilliers (banlieue parisienne), se laisser cueillir par les chocs mats des gants de cuir sur les corps et les sacs de frappe, descendre l’escalier tout en contemplant les fresques colorées de Baye Dam Cissé qui ornent les murs du Boxing Beats, et là, tandis que les boxeurs en sueur poursuivent leur entraînement, plonger dans l’ambiance du combat Ali-Foreman de Kinshasa, en 1974.

Dans cette salle où il s’est installé il y a vingt ans, Saïd Bennajem – double champion de France amateur des poids welters en 1990 et en 1992, sélectionné olympique à Barcelone en 1992 – se souvient des débuts de l’aventure : « J’ai reçu un appel de Bruno, qui avait l’intention de créer une exposition sur le combat d’Ali à Kinshasa, dit-il. Je l’ai invité à passer, et il a été étonné par la salle, avec toutes ces fresques. Je lui ai dit : “C’est ici qu’il faut que tu la fasses.” J’étais évidemment trop jeune pour assister au match, mais je suis un fan de Mohamed Ali. Bruno a répondu banco ! Et ça s’est fait ! »

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Source d’inspiration

Bruno ? L’homme derrière l’exposition, qui est aussi le propriétaire d’une grande partie des œuvres exposées, n’est autre que Bruno Scaramuzzino, entrepreneur à l’origine de plusieurs agences de communication, aujourd’hui à la tête du label B’ZZ. Passionné par l’Afrique et sa créativité, s’affichant comme un nouveau venu dans le monde de l’art, Scaramuzzino est un entrepreneur avisé. Son projet est à l’image de nouvelles tendances du marché, où l’on s’éloigne du modèle traditionnel de la galerie pour développer des manières inédites, hybrides, afin d’attirer le public et de séduire le collectionneur.

Pour « Rumble in the Jungle », au Boxing Beats, B’ZZ a ainsi rassemblé une trentaine d’artistes et une centaine d’œuvres en lien avec le combat remporté par Mohamed Ali.

« C’est la célébration de ce moment, son inscription dans l’histoire sous le nom de “The Rumble in the Jungle”, la source d’inspiration qu’il n’a cessé d’être, depuis quarante-cinq ans, pour les artistes congolais et le peuple de Kinshasa que B’ZZ vous invite à partager, à travers une installation mêlant reliques de l’époque, affiches ou photographies inédites, peintures, sculptures, photos appartenant à des fonds ou spécialement réalisées pour l’événement, vidéos et performances live d’artistes de tous horizons », écrit Bruno Scaramuzzino.

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Images inédites, en noir et blanc

Ouverte pendant l’entraînement des boxeurs (17 h 30-20 h 30) ou sur réservation, la salle du Boxing Beats voit donc ses murs envahis d’images, comme autant d’échos au combat du 30 octobre 1974. Ceux qui apprécient d’être au plus près de l’événement trouveront leur bonheur avec des images inédites, en noir et blanc, signées Guy de Boscher et surtout Francis Matton, alors photographes officiels du combat. Les tirages de ce dernier, limités à cinq par image, sont proposés à la vente pour des prix oscillant entre 800 et 1 200 euros.

Les férus de bande dessinée pourront, eux, moyennant 2 200 euros la planche, acquérir des originaux de Chaos debout à Kinshasa, la BD du dessinateur congolais Barly Baruti. Quant aux amateurs de peinture, ils n’auront que l’embarras du choix, avec des toiles des Congolais Chéri Chérin (5 600 euros), Dolet Malalu (4 800 euros), JC Lofenia (2 800 à 3 500 euros), Bodo fils BBM (3 800 euros), Moké fils (4 200 euros) ou encore JP Kiangu (2 800 euros)…

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Pour les habitués des schémas traditionnels, la situation est un peu surprenante : nous ne sommes ici ni dans une foire d’art contemporain, ni dans une galerie à proprement parler, ni dans une exposition muséale. Bruno Scaramuzzino, qui a consacré quelque 70 000 euros à ce projet, assume tout à fait le mélange des genres et met en avant son envie de miser sur des artistes émergents.

La plupart des œuvres présentées ici « appartiennent au fond B’ZZ-Bruno Scaramuzzino, à la collection Francès ou sont proposées par les artistes eux-mêmes, représentés par B’ZZ galerie et Arroi ». Comme le font aujourd’hui bon nombre d’institutions publiques, le lieu peut aussi être privatisé à la demande, les revenus étant répartis entre B’ZZ et l’association qui gère la salle – connue pour être la première à avoir misé sur la boxe féminine.

Bruno Scaramuzzino reconnaît néanmoins que cette privatisation n’a pas eu le succès escompté. « Cela n’a pas marché, sans doute parce que c’est Aubervilliers, ce qui est stupide et regrettable ! dit-il. Mais l’exposition va tourner, les négociations sont très avancées dans plusieurs grandes villes de France et en Belgique. »

Nouveau modèle

Quoi qu’il en soit, ce nouveau modèle de promotion-vente des artistes semble appelé à se développer. Partenaire de l’Agence française de développement (AFD), pour laquelle il doit produire deux expositions par an, le label B’ZZ dispose aussi d’une galerie-boutique au Centquatre, à Paris, et d’une maison-galerie à Cachan – qui est à la fois un espace d’exposition, une résidence d’artistes et le domicile de Scaramuzzino. Lequel a pour projet d’en faire un lieu de rencontres rituelles, une fois par mois, autour d’un repas réunissant artistes, collectionneurs, journalistes. Pas de doute, voilà un nouveau venu avec lequel il faudra compter sur le ring encombré du marché de l’art !

Boxer au féminin

The Rumble In the Jungle, à voir et à vivre& © François Grivelet pour JA

The Rumble In the Jungle, à voir et à vivre& © François Grivelet pour JA

Ici, les femmes peuvent se battre. Le directeur sportif et ancien champion Saïd Bennajem fut l’un des premiers à accueillir des boxeuses au Boxing Beats. « C’est quelque chose que j’ai développé depuis vingt ans, dit-il. Avant même l’autorisation des combats de femmes par la Fédération. Aujourd’hui, nous avons 40 % de filles, et tous les groupes sont mixtes. »

Parmi les célébrités qui sont passées par là, Sarah Ourahmoune, la boxeuse française la plus titrée : dix fois championne de France, championne du monde 2008 (mi-mouches), médaille d’argent aux Jeux de Rio en 2016.

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