Éthiopie : guerre ouverte entre Abiy Ahmed et Jawar Mohammed, le héraut de la « révolution oromo »

Dans le duel qui l’oppose à Jawar Mohammed, l’un des moteurs de la « révolution oromo », le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed affiche sa fermeté, tout en avançant prudemment, tant il sait que la réponse répressive peut se révéler politiquement périlleuse.

Abiy Ahmed, Premier ministre éthiopien, et Jawar Mohammed, l’un des principaux opposants. © Jeune Afrique

Abiy Ahmed, Premier ministre éthiopien, et Jawar Mohammed, l’un des principaux opposants. © Jeune Afrique

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Publié le 21 novembre 2019 Lecture : 3 minutes.

Juillet 2018, aéroport de Minneapolis, aux États-Unis. Abiy Ahmed s’extirpe tout sourire de son avion. Dans son entourage, on affiche une mine réjouie, mais les sceptiques sont en réalité nombreux. Arrivé au pouvoir quatre mois plus tôt, le Premier ministre, lancé dans une politique de réconciliation inédite en Éthiopie, est, ce jour-là, venu convaincre Jawar Mohammed, cyberactiviste et patron de la chaîne Oromia Media Network (OMN), de rentrer d’exil.

Pendant trois ans, fort de son 1,76 million d’abonnés sur Facebook, ce personnage controversé s’est affirmé comme l’un des moteurs de la « révolution oromo », cette vague de contestation contre la marginalisation politique des Oromos qui a mené à la démission de Hailemariam Desalegn, en février 2018. Rentré au pays en août de la même année, Jawar Mohammed semblait assagi. Quinze mois plus tard, lui et le Premier ministre sont en guerre ouverte.

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« Down, down Abiy »

Le 22 octobre, lors d’une séance de questions-réponses au Parlement, Abiy Ahmed a fustigé ces « propriétaires de médias qui n’ont pas de passeport éthiopien et jouent un double jeu […]. En période de paix, ils sont là, et quand il y a des troubles, ils ne sont plus là ». Nombre d’observateurs y ont vu une menace à peine déguisée à l’adresse du militant de nationalité américaine, régulièrement accusé d’attiser les haines ethniques.

Stringer / AFP

Stringer / AFP

Le soir même, Jawar Mohammed, qui a pris pour habitude de dénoncer ouvertement la « dérive autoritaire » de celui qui l’a fait revenir au pays, a affirmé que les autorités lui avaient retiré son service de protection sans l’en avoir averti au préalable, et ce dans le but de « lancer ensuite sur [lui] une foule d’assaillants ».

Il n’en fallait pas plus pour déchaîner des centaines de jeunes activistes oromos, qui se sont pressés dès le lendemain à son domicile en chantant « Down, down Abiy » (« Abiy dégage ! »). Le mouvement s’est depuis propagé dans d’autres villes d’Oromia. Les confrontations avec la police et les affrontements intercommunautaires y ont fait 86 morts en deux semaines.

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Brutal retour sur terre

Pour le Premier ministre, tout juste auréolé du prix Nobel de la paix, le retour sur terre est brutal. Le 26 octobre, Abiy Ahmed a dénoncé une « tentative de provoquer une crise ethnique et religieuse » et appelé une nouvelle fois à l’unité. Si la rupture entre les deux hommes semble aujourd’hui consommée, le conflit qui les oppose révèle deux visions diamétralement opposées de la politique éthiopienne, tout en soulignant la fragilité de la popularité de l’homme fort d’Addis-Abeba. Abiy Ahmed ambitionne d’unifier l’EPRDF, la coalition au pouvoir.

Pour ses détracteurs, cela reviendrait à diminuer le poids de l’Organisation démocratique des peuples oromos. Jawar Mohammed, qui aime dire qu’il est oromo avant d’être éthiopien, a toujours plaidé pour que sa communauté, historiquement marginalisée, ait davantage de poids politique. En mobilisant ses partisans alors que le pouvoir de Desalegn vacillait, il avait indirectement participé à l’ascension éclair d’Abiy. Mais il estime que ce dernier s’est éloigné du vrai combat des Queeroos – les activistes oromos.

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Face à la montée des ethnonationalismes, le Premier ministre avance prudemment. Pour avoir bénéficié de la dernière vague de contestation, il sait combien la réponse répressive peut se révéler périlleuse. Jawar Mohammed en est conscient. Lui qui assurait jusque-là ne pas vouloir briguer de responsabilités politiques rêve désormais de tenir un rôle actif lors des élections générales prévues en mai 2020. Le chemin vers ce scrutin s’annonce semé d’embûches.

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