Difficile, dans la capitale, de ne pas voir cette publicité, qui tourne également en boucle, toute la journée, sur les antennes de la télévision nationale. Jusque-là très critiqué pour ses tarifs, Djibouti Télécom, l’unique opérateur du pays – l’un des derniers monopoles au monde avec ceux de l’Éthiopie et de l’Érythrée –, baissera les prix de ses forfaits mobile 4G+ de 60 % le 1er décembre (de 500 à 2 000 francs djiboutiens – de 2,55 à 10,20 euros).
« Nous nous sommes inspirés de ce qui se fait dans la région », indique Mohamed Assoweh Bouh, directeur général de l’opérateur, en référence aux offres très compétitives pratiquées au Somaliland. Un ajustement nécessaire alors que ses 120 000 abonnés mobiles utilisent de plus en plus l’application WhatsApp au détriment du service voix.
Pas résigné, Mohamed Assoweh Bouh reconnaît que l’on ne peut rien contre la marche de l’histoire : « Le volume et les revenus générés par la voix baissent, et ceux des data augmentent. Ce que nous perdons en voix, nous tâchons de le regagner en data ».
« Course contre la montre »
Porté par ces nouveaux modes de consommation ainsi que par le vent de libéralisation qui souffle sur le marché éthiopien des télécoms – symbolisé par l’ouverture annoncée du capital d’Ethiotel –, Djibouti Télécom entame sa mue à grandes enjambées. Mue au caractère indispensable, au moment où la fin des frais d’itinérance est en discussion entre les deux États voisins. C’est avec l’Éthiopie que le pays a le trafic le plus important, et la communication est moins chère depuis Djibouti.
« Djibouti Télécom est engagé dans une course contre la montre. C’est à pile ou face. Si le roaming (itinérance) ne voit pas le jour, le groupe pourrait proposer un service de qualité et un prix compétitif, et ainsi attirer nombre d’Éthiopiens des régions frontalières. Mais s’il ne lance pas une offre pertinente dès à présent et si le marché éthiopien se libéralise à tout-va avec des opérateurs très agressifs, Djibouti Télécom peut aussi facilement se faire absorber », estime Rémy Fekete, avocat chez Jones Day qui conseille l’opérateur depuis sept ans.
L’entreprise publique, dont 75 % de la clientèle a moins de 25 ans, a déjà externalisé tout le génie civil, la pose et la maintenance électriques des poteaux, câbles et pylônes, et s’est délestée de ses bâtiments administratifs, qu’elle loue désormais, pour « se concentrer sur son cœur de métier », insiste le dirigeant. Avec bientôt une offre de mobile money, la mise en place de la dématérialisation de l’administration et la pose de la fibre jusqu’au client (zones résidentielles aisées, entreprises, bases militaires), Djibouti Télécom poursuit sa diversification.
« Mais c’est davantage à l’échelle régionale et internationale que nous arriverons à capter des revenus », admet le DG. Pour ne pas rester à l’écart de la révolution éthiopienne, Djibouti Télécom a ouvert il y a deux mois un bureau à Addis-Abeba, dans l’espoir d’obtenir seul, ou avec un partenaire, une licence. Il devra lutter avec les 22 acteurs qui ont déjà fait acte de candidature.
Le huitième câble sous-marin entrera en service en juin 2020
Et si l’opérateur vise aussi une licence téléphonique au Kenya, c’est pour en faire une base arrière et pénétrer les marchés d’Afrique de l’Est, en s’adressant à d’autres opérateurs de télécoms, dans une optique B to B.
Car si son marché domestique est minuscule (800 000 habitants), le pays est assis sur une mine d’or que son opérateur entend bien faire fructifier. Sept câbles sous-marins relient Djibouti à l’Europe, l’Afrique, l’Asie et le Moyen-Orient, faisant de ce territoire le quatrième État le plus connecté du continent.
Il y a quelques années, le président Ismaïl Omar Guelleh déclarait que Djibouti finirait par gagner un jour plus d’argent avec ses câbles qu’avec son port, actuellement sa première source de revenus.
Vecteur de ces ambitions, le huitième câble sous-marin, DARE1 (Djibouti Africa Regional Express) entrera en service en juin 2020. Il reliera Djibouti à Mombasa, en passant par Bosaso et Mogadiscio. Djibouti Télécom en détient 80 %, le reste appartenant au somalien Somtel et à Telkom Kenya.
À terme, un deuxième segment (DARE2) devrait être étendu vers Dar es Salaam et Maputo. D’un coût de 100 millions de dollars, DARE1 a été financé à 60 % par la Banque islamique de développement (BID). « Aujourd’hui, les besoins sont énormes en Afrique de l’Est, le trafic y décuple tous les cinq ans. Pour nous, c’est une question de vie ou de mort, si nous n’y allons pas, d’autres le feront à notre place », met en garde le DG, qui projette de réaliser 400 millions de dollars de chiffre d’affaires d’ici à 2025, contre 120 millions l’an dernier.
Au lieu d’attendre que le trafic vienne à nous, nous allons le chercher. Si une entreprise en Chine veut être reliée au Soudan, nous lui créerons une route
Car l’objectif affiché pour l’opérateur qui connecte déjà les réseaux de l’Éthiopie, de la Somalie, du Yémen aux autres continents, c’est d’atteindre Nairobi depuis Mombasa pour capter le trafic internet terrestre jusqu’à la région des Grands Lacs. Djibouti dispose déjà de liaisons terrestres vers Khartoum, Port-Soudan ou encore Addis-Abeba, mais souhaite établir les interconnexions et créer des routes vers des pays enclavés comme l’Ouganda, le Rwanda, la RD Congo… « Au lieu d’attendre que le trafic vienne à nous, nous allons le chercher. Si une entreprise en Chine veut être reliée au Soudan, nous lui créerons une route », résume Habib Daoud Omar, coordinateur du projet des câbles sous-marins chez Djibouti Télécom.
Car, actuellement, le trafic internet et les contenus de toutes ces régions à destination de l’Asie ou du Moyen-Orient transitent surtout par l’Europe. « Passer par Djibouti représente une économie de bande passante pour les opérateurs, car on est plus compétitif. Et plus il y a de fibre, plus la consommation augmente », poursuit l’ingénieur. À mesure que croît le trafic, se développe en parallèle le besoin de stockage des données.
Pour vendre des capacités internationales de liaisons internet de New York à Sydney, il sera peut-être un jour plus facile de passer par Djibouti
Sur l’insistance des opérateurs et fournisseurs, le pays a ouvert en 2013 le seul data center de la Corne de l’Afrique. S’il a comme plus gros client l’armée américaine, il accueille aussi MTN, Telecom Italia, Belgacom-Proximus, China Mobile, WhatsApp, Instagram, Facebook… Un deuxième centre devrait voir le jour à Obock, à 235 km au nord de la capitale.
« En créant davantage de valeur sur son territoire et en participant à des consortiums, le pays a vocation à intervenir de plus en plus sur le marché du négoce de capacités internationales des liaisons internet. Pour vendre des capacités de New York à Sydney, il sera peut-être un jour plus facile de passer par Djibouti », conclut Rémy Fekete.
Ouverture de capital ?
Plutôt qu’une privatisation, les autorités s’orienteraient dans le cadre de la diversification des activités de Djibouti Télécom vers la création de joint-ventures avec des partenaires étrangers.