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La bataille des hubs technologiques francophones
Près de trois ans après son entrée en fonction, Rob Shuter, le PDG de MTN, actif dans 21 pays – dont 17 africains –, a dévoilé sa stratégie à long terme : faire du géant sud-africain des télécoms le Tencent africain, en référence au mastodonte chinois des services en ligne. Pour faire face au déclin des revenus de la téléphonie mobile, le groupe, piloté depuis Johannesburg, mise sur les services financiers numériques, le streaming et les services de messagerie, avec pour ambition de grignoter le terrain des distributeurs traditionnels de contenus.
S’exprimant en août lors de la présentation des résultats intérimaires de MTN pour les six premiers mois de l’année, Rob Shuter a indiqué vouloir développer en premier lieu ses services financiers en ligne, auxquels pourront avoir accès ses clients de 18 pays à la fin de l’année. Parmi eux, l’Afrique du Sud et le Nigeria représentent selon lui le plus grand potentiel.
« Au Nigeria, nous comptons chaque mois 2,4 millions de nouveaux consommateurs pour la téléphonie mobile », fait-il valoir. En août, l’entreprise a obtenu d’Abuja une licence lui permettant de faire du paiement sur mobile et espère, en plus, obtenir une seconde licence de banque en ligne, deux autorisations qui doivent lui permettre d’étendre son offre de services financiers chez le géant ouest-africain aux 190 millions d’habitants.
Restructuration des divisions en difficulté
À moyen terme, MTN vise sur l’ensemble de ses marchés 300 millions de souscriptions, dont 200 millions pour l’internet mobile et 100 millions de consommateurs actifs pour ses services numériques (contre respectivement 240 millions, 82 millions et 30 millions actuellement). Sur le continent, les abonnés de MTN n’utilisent en moyenne que 1,5 gigaoctet de données par mois – un chiffre qui, selon Rob Shuter, devrait être multiplié par trois en dix ans. « Le taux d’utilisation des services bancaires et financiers parmi nos abonnés passera d’un tiers à deux tiers, ce qui améliorera notre rentabilité », prévoit-il.
Les régulateurs du continent mettent la pression sur les opérateurs comme MTN pour que leurs tarifs diminuent
La société a cédé des actifs jugés non stratégiques par rapport à son ambition de devenir d’abord et avant tout un opérateur numérique distributeur de contenu. Ainsi, une branche spécialisée dans les tours de télécommunications et un fonds d’investissement ont été les premiers à avoir été liquidés. Rob Shuter prévoit également la restructuration des divisions qui connaissent actuellement des difficultés, comme celle chargée des appels prépayés et celle des services aux entreprises en Afrique du Sud.
Prix de l’action en forte progression
Après une année 2018 difficile marquée par un cours en Bourse en baisse de 5 % du fait des sanctions américaines à l’encontre de l’Iran (MTN y détient sa principale filiale au Moyen-Orient), une dépréciation du rand sud-africain de 50 % et des difficultés à rapatrier des fonds à Johannesburg, l’année 2019 a mieux démarré, avec un prix de l’action en forte progression – près de 30 % – sur les huit premiers mois. Mais, selon les analystes, il reste plusieurs défis majeurs à relever pour que fonctionne le nouveau modèle économique mis en avant par Rob Shuter.
« Les coûts d’accès à internet sur mobile en Afrique sont élevés, bien plus qu’en Europe. Les régulateurs du continent mettent la pression sur les opérateurs comme MTN pour que leurs tarifs diminuent. Cela fait toujours partie des négociations quand les opérateurs veulent renouveler leurs licences ou demandent de nouvelles autorisations, concernant la banque mobile notamment », rappelle Hannes van den Berg, analyste chez Investec Asset Management. Pour lui, si MTN concédait une telle baisse des grilles tarifaires, cela mettrait en danger sa rentabilité.
Il considère également que le montant de la dette en dollars du géant sud-africain est préoccupant compte tenu de la faiblesse du rand. Au premier semestre de 2019, la dette du groupe MTN s’élevait à 70,9 milliards de rands (4,3 milliards d’euros). Pour y remédier, Rob Shuter songe à vendre l’activité iranienne… Mais pas à n’importe quel prix. Et les repreneurs ne se bousculent pas au portillon dans le contexte politique actuel. Par ailleurs, le rapatriement des fonds à Johannesburg resterait problématique.
Renouvellement de licence en suspens
Enfin, les risques réglementaires subsistent, particulièrement au Nigeria. Si MTN a fini, en 2018, le paiement échelonné de 1,43 milliard d’euros d’amende pour non-déconnexion de 5,1 millions de puces téléphoniques aux utilisateurs non identifiés (on lui réclamait au départ 4,7 milliards d’euros), il doit toujours comparaître devant la Cour des comptes du Nigeria à propos d’accusations de fraude fiscale.
Par ailleurs, le renouvellement de sa licence en Ouganda – pour laquelle les autorités réclament pas moins de 100 millions de dollars – est un véritable feuilleton. En août, Rob Shuter a affirmé que les discussions se poursuivaient avec Kampala, mais a pudiquement passé sous silence le fait que plusieurs dirigeants locaux de MTN avaient été expulsés pour des raisons aussi diverses que la mise en danger de la sécurité nationale, l’espionnage ou bien encore le blanchiment d’argent et l’évasion fiscale.
Des épées de Damoclès au-dessus de MTN qui inquiètent Nick Crail, gestionnaire de fonds pour Ashburton Investments : même s’il se dit très satisfait de la nouvelle orientation stratégique de MTN, il a du mal à évaluer le risque en matière de réglementation, au Nigeria et en Ouganda comme ailleurs.
Pour négocier au mieux avec les États, le groupe sud-africain a renouvelé son conseil d’administration et créé un conseil international comprenant des personnalités du monde politique et économique de tous bords, qui, espère Rob Shuter, devraient lui permettre de conserver ses licences et diminuer le montant de ses amendes ou de ses redressements fiscaux.
Conseils des sages
Le vétéran Phuthuma Nhleko, aux manettes du groupe MTN depuis dix-huit ans, va se retirer de son conseil d’administration au mois de décembre et sera remplacé par Mcebisi Jonas, ancien vice-ministre sud-africain des Finances (de 2014 à 2017). Cette figure politique respectée du monde des affaires, membre de l’ANC, a été l’un des principaux dénonciateurs du détournement des ressources de l’État au profit de l’ancien président Jacob Zuma et de son entourage.
Parmi les autres membres du conseil d’administration, on trouve également le Nigérian Sanusi Lamido Sanusi, émir de Kano et ancien banquier central connu pour sa gestion rigoureuse, ainsi que le Kényan Vincent Rague, ancien d’IFC (groupe Banque mondiale).
Un conseil international a également été mis en place pour appuyer le groupe, présidé par l’ex-président sud-africain Thabo Mbeki. À ses côtés siégeront l’ancien chef de l’État ghanéen John Kufuor, l’ancienne Commissaire de l’Union africaine chargée des affaires politiques Aisha Abdullahi, l’ancien directeur général de l’Agence internationale de l’énergie atomique Mohamed El Baradei, et le Sénégalais Momar Nguer, patron marketing et services du géant pétrolier français Total.
Les origines diverses des membres du conseil d’administration et du conseil international devraient aider MTN à faire face aux difficultés de réglementation dans les 17 pays africains où il est présent.