Tunisie : Kuriat, le paradis sur mer

Situé au large de Monastir, cet archipel dont la biodiversité est aussi riche que vulnérable reste relativement préservé : seule la plus petite des deux îles est accessible aux touristes.

Un cadre enchanteur qui attire 23	000 visiteurs 
par an. © Ons Abid pour JA

Un cadre enchanteur qui attire 23 000 visiteurs par an. © Ons Abid pour JA

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Publié le 16 novembre 2019 Lecture : 4 minutes.

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«Magnifique, c’est comme dans un film. L’eau est si claire, on se croirait aux Maldives ! » s’exclame Ketty, touriste lyonnaise, en foulant le sable de la plus petite des deux îles des Kuriat, un confetti de 70 hectares, à 18 km au nord de Monastir. Plus loin, la seconde île, qui fait quatre fois sa superficie, est une zone militaire.

« On cherche le château », poursuit la jeune femme au bras de son compagnon, Foued, originaire de Tunisie. Ce « château », ce sont en fait les ruines d’une ancienne usine de traitement de thon, cachées derrière quelques rares buissons épineux. Qu’importe. Le couple reste passionné par les explications que l’association Notre Grand Bleu donne sur l’archipel, sa flore et sa faune. « Pour la première fois, on se rend vraiment compte que tout cela peut disparaître », ajoute Foued, qui espère encore croiser des dauphins.

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Plusieurs bateaux font la navette entre Monastir et les îles Kuriat – compter entre 40 et 60 dinars (entre 12,50 et 19 euros environ) par personne pour un aller-retour. Notre Grand Bleu dispose d’une chaloupe à moteur, pilotée par Ahmed Ghedira, un professeur d’enseignement technique qui consacre son temps libre à lutter contre la pêche illégale et à protéger la faune et la flore. « Avant, ces eaux étaient exploitées par les pêcheurs traditionnels, mais ils ne peuvent plus rien y trouver », regrette-t-il en passant devant des fermes aquacoles installées par de gros investisseurs.

Attirés par ces concentrations de poissons, les dauphins se plaisent eux aussi à croiser dans les eaux émeraude des Kuriat. Ahmed tente de les appeler en imitant leurs cris et en tapant contre le bois du bateau. En vain, cette fois-ci. L’association souhaiterait que ces fermes soient déplacées à plus de 30 km des côtes. Elles pourraient y développer des zones de « pesca-tourisme », où les visiteurs pourraient partager le quotidien des pêcheurs.

Tortues marines

Sur l’île, dans le cabanon de Notre Grand Bleu, des pancartes décrivent les espèces de la faune et de la flore locales. Randonnée sur l’eau en canoë ou parcours sous-marin avec masque et tuba, en suivant des écriteaux pédagogiques : l’association a conçu des activités gratuites pour vulgariser son travail et sensibiliser à la protection de l’environnement.

Parmi les bénévoles, certains sont des chercheurs en biologie marine, mais c’est loin d’être le cas de toute l’équipe. « Nous faisions de la plongée et avons d’abord lancé une campagne de nettoyage en constatant la dégradation des fonds », raconte Ahmed Ghedira. Ces passionnés ont démarré petit, en 2012, d’abord avec leurs propres deniers, avant d’obtenir des financements du Critical Ecosystem Partnership Fund et du Med Fund. L’association compte cinq salariés permanents et une soixantaine de membres actifs.

Nous avons observé les déplacements des tortues. Elles peuvent parcourir des milliers de kilomètres

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Parmi eux, Aziz, 16 ans, vient passer la nuit sur la plage pour observer des tortues marines caouannes, les stars de l’île. Elles reviennent pour pondre, pendant la nuit, sur le lieu où elles sont nées et qui est aujourd’hui l’un des derniers sites stables de nidification en Méditerranée. L’an dernier, un record a été atteint, avec 46 nids recensés sur le site.

Mais entre les crabes, les goélands railleurs, les filets de pêche et les déchets de plastique, prédateurs et facteurs de mort accidentelle sont nombreux. Seul un nouveau-né sur mille pourra devenir centenaire. « Avec des émetteurs, nous avons observé les déplacements des tortues. Elles peuvent parcourir des milliers de kilomètres et passer quinze ans sans revenir. Mais si on ne préserve pas ce site, elles n’auront nulle part où aller avant Syrte, en Libye », avertit Ahmed Ghedira.

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Victime de son succès

Autre curiosité de l’archipel : la posidonie. Véritable « poumon de la mer », cette plante marine forme un récif qui protège les côtes de l’érosion. Seuls les nuisibles rats noirs – dont les premiers sont arrivés sur des bateaux de pêche – ont été volontairement éradiqués. Ils dévoraient les œufs des tortues et des oiseaux. Depuis leur disparition, la sterne noire et l’aigrette garzette sont de retour sur l’île, qui sert d’escale à une trentaine d’espèces, dont les flamants roses, pendant leur migration, en décembre et janvier.

Sur l’île, c’est ambiance toilettes sèches et guérites sur pilotis. Des tables sont alignées par les équipages des bateaux pour les repas des touristes. Plus loin, un homme affalé sur son tapis de sol se fait rabrouer parce qu’il empiète sur les tuteurs de bois plantés pour indiquer les nids de tortues. Un autre lance son hameçon près d’un écriteau « pêche interdite »… Ahmed Ghedira prévient les gardes-côtes.

Victime de sa beauté et de sa proximité avec Monastir, l’archipel attire en moyenne 23 000 visiteurs par an – des Tunisiens, des Algériens, des Français, etc. – et jusqu’à 1 200 en un week-end pendant la haute saison de juillet-août. En concertation avec les autorités locales et les pêcheurs, un comité d’appui a été créé pour gérer Kuriat, et une étude est en cours afin d’envisager sa transformation en réserve naturelle.

La grande île, réservée aux autorités militaires, n’est pas accessible aux touristes. On y aperçoit un phare, les ruines d’un port punique. À son extrémité, un bateau de marchandises échoué lui donne un air d’apocalypse. Là aussi, une équipe de l’association étudie la biodiversité, dont un groupe de scientifiques venus disséquer un dauphin pour tenter de comprendre les causes de sa mort. On a déjà retrouvé plusieurs cadavres avec du plastique dans les entrailles.

Protection rapprochée

L’archipel des Kuriat est l’une des quatre aires maritimes protégées que compte le pays, avec celles de l’archipel de la Galite (au large de Bizerte), de Kneiss (Sfax) et de Zembra et Zembretta (golfe de Tunis). L’association Notre Grand Bleu a incité à la création, en 2017, du Conseil national des aires protégées marines et côtières, placé sous la tutelle du ministère de l’Environnement.

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