Jusqu’au bout, certains auront espéré. N’est-ce pas pour décrocher un tête-à-tête avec Vladimir Poutine qu’ils avaient fait le déplacement jusqu’à Sotchi, sur les bords de la mer Noire ? Mais sur les 43 chefs d’État et de gouvernement du continent qui ont assisté au premier sommet Russie-Afrique, les 23 et 24 octobre, moins de la moitié a pu s’entretenir avec le président russe.
Beaucoup ont dû se satisfaire d’une entrevue avec son ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, ou avec l’adjoint de ce dernier, Mikhaïl Bogdanov. Pendant ces deux journées qu’il a qualifiées d’« intenses », Vladimir Poutine s’est montré égal à lui-même : froid et parfaitement inaccessible.
Dans les allées du village olympique, on a malgré tout salué sa force, ses convictions, son engagement. On a admiré ce chef d’État qui a les moyens de s’opposer aux Occidentaux et qui n’hésite pas à le faire. On a vanté sa capacité à agir vite, qu’il a encore démontrée, le 22 octobre, en recevant le Turc Recep Tayyip Erdogan et en lui arrachant la promesse de cesser son offensive militaire dans le nord de la Syrie.
Démonstration de force
À cet égard, le sommet de Sotchi aura donc été un succès. Conçu comme une véritable démonstration de force, il aura été un show efficace, qui a permis au Kremlin de se mettre en avant, tout en facilitant la tâche des grands groupes russes désireux de renforcer leur présence sur le continent. Vladimir Poutine a d’ailleurs associé certains chefs d’entreprise à ses rencontres bilatérales.
Il y a un fossé entre les allocutions enthousiastes et la réalité de la présence russe sur le continent, qui demeure limitée
Mais l’événement aura-t-il une portée autre que symbolique ? Cela reste à prouver. Le président russe a certes martelé que son pays avait toujours été l’ami de l’Afrique, qu’il avait soutenu son aspiration à l’indépendance, formé ses cadres et effacé une partie de sa dette. Les valeurs des deux partenaires sont les mêmes, a encore ajouté le chef du Kremlin, évoquant un attachement commun au multilatéralisme, un refus de l’ingérence et la lutte contre « l’exploitation, le racisme et le colonialisme ».

Plusieurs dirigeants africains et Vladimir Poutine, lors du sommet Russie-Afrique à Sotchi, le 24 octobre 2019. © Sergei Chirikov/AP/SIPA
Absence de « politique africaine »
Bien sûr, le discours a fait mouche auprès de l’auditoire africain. Mais il y a un fossé entre les allocutions enthousiastes et la réalité de la présence russe sur le continent, qui demeure limitée. En 2018, les échanges commerciaux entre Moscou et l’Afrique atteignaient tout juste les 20 milliards de dollars – un chiffre très inférieur à celui des échanges entre le continent et la Chine (204 milliards de dollars) ou la France (51,3 milliards de dollars). Et le sommet n’aura été l’occasion d’aucune annonce majeure.
Nul doute que Vladimir Vladimirovitch Poutine a su mettre en scène ses amitiés africaines. Mais le fait est aussi que la Russie ne paraît pas, pour l’instant, avoir de véritable « politique africaine » et que, de Khartoum à Johannesburg en passant par Alger, plusieurs de ses relais ont été ébranlés ces derniers mois. En dépit de plusieurs années d’intense lobbying, Moscou ne dispose pas non plus de bases militaires sur le continent – contrairement à la France, aux États-Unis ou à la Chine. La Russie a bien essayé de mettre un pied à Djibouti, mais sans succès jusqu’à présent.
Passage à vide
Alors certes, le sentiment de fraternité face à un « ennemi » commun est fort, tout comme le souvenir du soutien apporté aux mouvements d’émancipation ou à la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud. Sotchi est d’ailleurs presque parvenu à faire oublier que les relations entre la Russie et le continent ont connu un passage à vide de plus de vingt ans.
Mais la Russie a eu beau profiter du désengagement de ses rivaux (français et américains notamment), elle demeure pour l’instant un acteur de second ordre – un état de fait qu’aucun sommet, aussi bien organisé fût-il, ne peut faire oublier. Les pays africains le savent, et, même s’ils se sont pressés à Sotchi, ils sont conscients qu’ils ont tout intérêt à ne se fermer aucune porte. Ils pourraient même finir par tirer avantage des rivalités internationales que la rencontre de Sotchi n’aura pas manqué d’exacerber.

Vladimir Poutine et le président sud-africain Cyril Ramaphosa, le 24 octobre 2019. © Sergei Chirikov/AP/SIPA
Dans son discours de clôture, Vladimir Poutine a annoncé que ces rencontres se tiendront maintenant tous les trois ans, alternativement en Russie et en Afrique. Sur le modèle des forums Chine-Afrique, en somme. Pékin, le grand rival, a d’ailleurs été dans tous les esprits pendant ces deux jours, même si – à l’inverse des Occidentaux – personne ne l’a jamais nommé.
Et en fin de journée, alors que le village olympique se vidait, l’inoxydable président de la Fédération de Russie a continué à enchaîner les rencontres bilatérales. Sans manifester le moindre signe de fatigue. Sans afficher l’ombre d’un sourire non plus.