Dans ce dossier
Madagascar : les douze travaux de Rajoelina
Madagascar est le cinquième pays le plus pauvre du monde. En 1960, l’année de son indépendance, son PIB par habitant était d’environ 500 dollars ; en 2019, il est estimé à 470 dollars. Même si la population a été multipliée par 5 et a atteint 26 millions d’habitants, le bilan est accablant. Qualifiée de « point aberrant » dès 1998, l’économie malgache devient une « énigme » et un « paradoxe » vingt ans plus tard !
En dépit des thérapies de choc appliquées par le FMI, des financements de la Banque mondiale et de la « communauté internationale », la situation reste toujours la même : enrichissement des élites, appauvrissement de la population, corruption, inégalités et insécurité généralisées. Avec deux exceptions : les dernières années de pouvoir de Ratsiraka (2001) et de Ravalomanana (2007). La hausse du PIB atteint alors 6 %, mais les deux présidents sont renversés peu après, faute de redistribution des fruits de la croissance.
L’État, cette coquille vide
À Madagascar, les discours et les lois se succèdent, mais rien ne change. La parole est considérée comme opératoire. C’est-à-dire que quand un choix est opéré il est considéré comme réalisé dans les faits, et son suivi ne préoccupe plus personne. De même, il est impossible de prendre une décision si elle ne fait pas l’unanimité. Elle sera alors contournée ou, pis, rejetée. Sanctionner, dans une culture fondamentalement relationnelle, obligerait à rompre, pour celui qui est mis en cause, avec ses parents, son réseau.
Plus largement, l’affrontement verbal est honni, au point qu’aucun élu ne veut endosser le titre d’opposant, pourtant reconnu constitutionnellement depuis 2010. Il en découle une incapacité structurelle à décider et à contester, en dépit de la compétence technique des acteurs. La corruption devient alors le remède universel pour échapper à la paralysie économique et sociale.
Il en va de même pour la compréhension de la loi. Théoriquement identique pour tous, elle est interprétée dans la logique de la coutume, variant selon l’ethnie ou la caste, selon que la transgression est publique ou pas, et en fonction de la crainte qu’inspire le transgresseur. Ainsi, et malgré les apparences, l’État n’est qu’une coquille vide. Le véritable pouvoir réside hors des institutions, dans un rapport de force permanent entre politiques et notables, au nom d’intérêts particuliers et sans aucun frein. La tradition ignore l’intérêt général. L’horizon des solidarités se limite à la famille élargie, au mieux à l’ethnie.
Dominances culturelles
Ces dominances culturelles ont été répertoriées par le collectif Voankazoanala, qui en a retenu sept : le henamaso (honte du regard de l’autre), puissant inhibiteur social, l’extrême jalousie, l’obligation du consensus, la peur omniprésente, le parasitisme du fihavanana (relations sociales sur le mode parental), l’impunité généralisée et le laxisme pratiqué par tous. Ces pratiques convergent pour empêcher l’autonomie de la personne au sein du groupe, pour bannir l’esprit critique et ainsi brider l’exercice du pouvoir.
Aucun processus de développement, compris et intégré par tous, ne sera possible sans la disparition de tels comportements. Alors et alors seulement, la politique ne sera plus une contre-culture d’impunité, l’économie ne sera plus gérée par des entrepreneurs paralysés par le consensus et le henamaso, et la vie sociale ne sera plus plombée par la peur, la jalousie et le laxisme.