Yoann Lhonneur (Devlhon Consulting) : « Il faut réinventer les agences bancaires en Afrique francophone »

Automatisation, expertise auprès des entreprises, décentralisation, mise à niveau réglementaire… Le directeur associé du cabinet Devlhon Consulting, expert en banques et services financiers, évoque l’avenir des établissements bancaires sur le continent.

Yoann Lhonneur, associé chez Devlhon Consulting, photographié à Paris le 25/09/2019 © François Grivelet pour JA

Yoann Lhonneur, associé chez Devlhon Consulting, photographié à Paris le 25/09/2019 © François Grivelet pour JA

Publié le 20 novembre 2019 Lecture : 4 minutes.

Jeune Afrique : Remarque-t-on une accélération dans l’adoption de nouvelles technologies financières en Afrique francophone ?

Yoann Lhonneur : Il y a avant tout un changement d’attitude des banques. Il est essentiel de garder en tête que les clients africains sont « natifs » en matière d’usages numériques. De plus, les fameux « millennials » peuvent représenter plus de 50 % de la population. Ainsi, ces services passent un vrai cap et explosent. Ecobank a fait un bond avec une hausse des transactions mobiles en nombre et en valeur, respectivement de 150 % et 540 % en 2018. La Société générale booste ses services filialisés comme YUP, BCP [Banque centrale populaire] a lancé un service de chatbots [robots], et des outsiders bancaires comme Total déploient leur portefeuille numérique.

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Malgré ces efforts indéniables, les banques peuvent faire preuve de plus d’audace. Elles n’agissent encore qu’en réaction à l’offensive des telcos, et leurs investissements numériques ne sont pas assez massifs. Parfois s’inspirent-elles encore d’un M-Pesa kényan, qui date de 2007… Mais le fait qu’Orange n’ait pas reçu pour l’instant d’agrémentation bancaire donne aux acteurs traditionnels l’occasion de rattraper leur retard.

Les banques universelles évoluent-elles également sur d’autres plans, que ce soit la gestion et la taille de leur réseau ou la qualité de leurs services ? 

En Afrique, les clients restent très attachés à l’agence, dont les taux de fréquentation sont forts, notamment à cause de l’argent en espèces, qui reste omniprésent. L’agence n’est pas un problème mais une partie de la solution, si on la considère comme un « lieu de vie » et comme un espace d’éducation financière. Il faut néanmoins réinventer leur structure de coût, leur organisation, leur productivité commerciale, et les techniques de vente et de suivi des relations clients.

Nous devrions voir émerger des points de vente remodelés et plus spécialisés, avec l’arrivée d’agences sans personnel et équipées d’automates qui offriront aux clients les services les plus variés. Ceux-ci pourront aussi se rendre dans des « points conseil ». Les trois types d’agence – classique, automatisée et conseil – vont encore coexister pendant un certain temps, même si le modèle traditionnel s’essouffle déjà.

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Les 200 premières banques africaines

Les 200 premières banques africaines

Les TPE et PME sont-elles davantage soutenues dans ce contexte ?

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Face à l’érosion des marges dans les services aux grandes entreprises, les banques se replient sur les TPME pour assurer et consolider leur rentabilité. Avec ces sociétés, les freins réels ou perçus sont connus : risques, garanties, porosité entre flux professionnels et personnels. Mais les banques voient ce segment de clientèle comme un axe prioritaire de leur stratégie commerciale.

Il faudra aller plus loin en développant des programmes concrets d’efficacité commerciale, en renforçant l’accès à des experts commerciaux et en favorisant une offre numérique de bout en bout pour des clients TPME qui, comme ceux de la banque de détail, baignent dans le numérique.

De nouvelles réglementations poussent à la décentralisation des prises de décision. Quel en est le premier bilan ?

L’idée maîtresse est de pouvoir gagner en réactivité et de prendre des décisions dans des délais plus courts. Certains groupes bancaires ont engagé cette démarche de décentralisation-régionalisation dès les années 2000, à travers la construction de centres de services mutualisés.

Cette première étape a été plutôt positive. La démarche d’aujourd’hui est d’une autre nature et va beaucoup plus loin. En faisant des centres régionaux des centres de décisions « aboutis » et autonomes, la décentralisation revêt une forme nouvelle. Les premiers mois d’exercice sont, de ce point de vue, plutôt prometteurs.

Quelles sont les principaux bénéfices et les contraintes de ces centres régionaux, implantés loin des QG des grands groupes bancaires ?

L’objectif prioritaire est de servir chaque client dans les meilleures conditions, mais aussi de permettre l’optimisation d’un certain nombre de paramètres qui étaient auparavant gérés individuellement, au niveau de chaque établissement. S’agissant des contraintes, elles couvrent plusieurs domaines. Les ressources humaines, en premier lieu, car il faut doter ces centres régionaux de « pilotes » de très bon niveau. L’informatique, aussi, car les systèmes d’information doivent au minimum communiquer avec le système logé dans le centre régional. L’agilité et la standardisation des méthodes de travail sont des leviers.

Il existe aussi d’autres défis importants. En effet, si dans un ensemble homogène comme l’Uemoa ou la Cemac les difficultés restent gérables, il n’en est pas de même dans les pays « hors zone ». La réglementation, la langue, la monnaie locale, sont autant de paramètres à prendre en compte.

Existe-t-il un écart important entre les pratiques des banques présentes dans la région et les exigences réglementaires dictées par les régulateurs nationaux, régionaux et internationaux ?

Oui, parfois un fossé. L’écart est moindre pour les banques qui se sont engagées très tôt dans la mise en place de règles de conformité et de risques, issues des régulateurs mais aussi des maisons mères. Les piliers de Bâle III [accords de réglementation bancaire de 2010] constituent une réforme profonde : même avec un calendrier étalé, ils technicisent le métier et sont porteurs de nouveaux choix commerciaux.

La mise aux normes pose-t-elle problème à certaines banques ?

C’est effectivement une difficulté supplémentaire pour beaucoup. Même les grandes banques sollicitent aujourd’hui des spécialistes de l’application concrète de ces réglementations. Au-delà des programmes de formation, l’effort d’apprentissage sur le tas forgera avant tout de nouveaux dispositifs et de nouvelles compétences. Ces investissements devront perdurer et s’adapter en temps réel avec, pour certains, une problématique relative aux moyens dans la construction, l’application et les contrôles de ces nouvelles règles.

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