Économie

Rémi Cabon – PSA : « Notre usine marocaine servira d’abord les marchés d’Afrique et du Moyen-Orient »

Inaugurée le 20 juin par le roi Mohammed VI, l’usine PSA de Kénitra, à une soixantaine de kilomètres de Rabat, doit devenir l’une des principales bases industrielles du groupe français pour la région Afrique - Moyen-Orient.

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Mis à jour le 12 novembre 2019 à 15:24

Inauguration de l’usine Kenitra au Maroc, le roi du Maroc en compagnie de Rémi Cabon, PSA Kenitra. © PSA

Jusqu’alors, le constructeur auto­mobile n’avait implanté sur le continent, notamment en Tunisie et au Nigeria, que des petites unités d’assemblage de véhicules à partir de composants importés d’Europe. Carlos Tavares, patron du Groupe PSA et ex-numéro deux de Renault, avait pu observer le succès du démarrage, en 2012, de l’usine de Tanger Med, aux portes du marché européen : le niveau de qualité atteint, la montée en cadence – jusqu’à 300 000 véhicules par an actuellement –, sans oublier bien sûr les économies réalisées sur les coûts de main-d’œuvre.

Dès son arrivée aux manettes du groupe, en mars 2014, le patron portugais a poussé à la mise en œuvre du projet de Kenitra. Avec 557 millions d’euros d’investissement, l’usine produira près de 200 000 véhicules par an à l’horizon 2021. Elle doit aussi permettre de renforcer la présence des marques Peugeot, Citroën et DS au sud du Sahara.

À plus long terme, l’usine, qui ne fabrique pour l’instant que la Peugeot 208, pourrait accueillir des véhicules d’Opel sur ses chaînes, alors que l’intégration de la division européenne de General Motors, rachetée en mars 2017, se poursuit progressivement. L’ingénieur français Rémi Cabon, son directeur général, revient pour JA sur le démarrage de l’usine, son intégration dans la stratégie industrielle et commerciale du groupe, et son impact pour l’essor de la filière automobile marocaine.

Nous démarrons la montée en cadence, qui doit nous permettre d’atteindre en quatre mois le rythme de 300 véhicules par jour, soit quelque 100 000 unités par an

Trois mois après avoir inauguré l’usine de Kenitra, comment se passe la montée en cadence ?

Nous suivons un rythme de production de 25 voitures par jour. De juin 2019 jusqu’à présent, il nous a fallu prouver notre capacité à produire des véhicules au niveau de qualité attendu par nos clients. Nous démarrons maintenant la montée en cadence, qui doit nous permettre d’atteindre en quatre mois le rythme de 300 véhicules par jour, soit quelque 100 000 unités par an.

Les 1 600 salariés annoncés par le Groupe PSA sur ce projet industriel sont-ils tous à leur poste ?

À ce jour, nous comptons 1 244 salariés et sommes en train de recruter 300 personnes pour faire fonctionner l’usine de nuit avec une troisième équipe d’opérateurs. Notre effectif actuel est d’environ 800 opérateurs, qui travaillent sur les chaînes de production, et quelque 400 cadres et techniciens, pour l’encadrement des équipes, la maintenance, et les services administratifs.

Quels parcours avez-vous privilégiés pour qu’ils soient opérationnels ?

Les opérateurs sont présélectionnés par l’Agence nationale de promotion de l’emploi et des compétences [Anapec] et viennent pour moitié de la région Rabat-Salé-Kenitra. Avant d’arriver à leur poste, ils suivent des ateliers durant trois semaines à l’Institut de formation aux métiers de l’industrie automobile [Ifmia].

Pour les postes de gestion, d’encadrement et de maintenance, le parcours de formation est davantage personnalisé selon leurs origines professionnelles. Une centaine de cadres et de techniciens ont été envoyés dans d’autres usines du groupe PSA, dont la moitié dans l’usine portugaise de Mangualde [au sud de Porto] – qui fabrique les modèles Peugeot Partner et Citroën Berlingo.

L’usine emploie 1244 salariés et s’apprête à en recruter 300 autres. © FADEL SENNA / AFP

L’usine emploie 1244 salariés et s’apprête à en recruter 300 autres. © FADEL SENNA / AFP

Le Morocco Technical Center [MTC] de PSA compte dans ses rangs environ 500 ingénieurs et techniciens

Vous avez aussi implanté un centre d’ingénierie à Casablanca. Sur quels sujets travaillent ses équipes ?

Le Morocco Technical Center [MTC] de PSA compte dans ses rangs environ 500 ingénieurs et techniciens. Ils travaillent notamment sur l’optimisation des processus de production et la validation des composants des véhicules fabriqués par nos fournisseurs.

Par ailleurs, le MTC collabore avec l’ensemble des autres centres de recherche de PSA dans le monde, avec des travaux autour de l’adaptation de nos différents produits à la région Afrique - Moyen-Orient, et en particulier sur les motorisations. Le centre d’ingénierie met ainsi au point une motorisation de la 208 qui sera aussi commercialisée en Amérique latine.

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L’organisation industrielle de Kenitra se distingue-t-elle des autres implantations industrielles du Groupe PSA ?

Un projet tel que celui de Kenitra – une usine démarrée ex nihilo – est une expérience qui n’arrive que tous les dix ans ! Son organisation est donc forcément différente d’implantations plus anciennes. Une des particularités de nos installations est que nous nous sommes notamment inspirés de certains processus industriels d’Opel, qui a intégré le Groupe PSA au moment où nous construisions le projet. Grâce à notre coopération avec notre partenaire et actionnaire Dongfeng [qui détient 12,9 % de PSA], nous avons aussi réussi à attirer plusieurs grands fournisseurs chinois.

Notre installation au Maroc a entraîné l’implantation d’une trentaine de nouveaux équipementiers

Justement, quel effet d’entraînement le démarrage de l’usine de Kenitra a-t-il eu sur la filière automobile et sur ses sous-traitants ?

Nous sommes aujourd’hui à un taux d’intégration locale de 60 %, calculé par rapport à la valeur des composants de la voiture fabriquée. C’est l’engagement que nous avons signé avec les autorités marocaines.

Notre installation au Maroc a entraîné l’implantation d’une trentaine de nouveaux équipementiers, mais aussi l’accroissement d’activité d’une trentaine d’autres qui travaillaient avant pour l’exportation ainsi que pour les usines Renault de Casablanca et de Tanger. Les équipementiers nouvellement installés dans le royaume fabriquent en général des composants plus élaborés, qui apportent de la valeur ajoutée : on y trouve désormais des fabricants de colonnes de direction ou d’amortisseurs, auparavant importés.

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Le doublement de capacité de l’usine, pour atteindre les 200 000 véhicules par an, est-il toujours d’actualité et à quel horizon ?

Oui, nous prévoyons de commencer cette deuxième montée en cadence en août 2020, et de passer à une capacité de production de 600 véhicules par jour et 2 500 salariés. Dans cet objectif, nous avons profité de la fermeture de l’usine en août de cette année pour commencer les premiers travaux d’agrandissement, notamment ceux nécessitant une interruption de la production.

Verra-t-on demain des véhicules des autres marques du Groupe PSA – Citroën, DS ou Opel – fabriqués à Kenitra ?

La Peugeot 208, que nous fabriquons, appartient à notre plateforme modulaire commune (CMP), ce qui signifie que son soubassement est commun à celui des autres véhicules de la même catégorie, tels que la Citroën C3 ou la DS3 Cross Back. Les véhicules CMP peuvent par conséquent être fabriqués sur nos lignes de production. Cependant, il est peu probable que nous en produisions d’autres avant deux ans. Nous devons d’abord réussir les deux montées en cadence avant de songer à fabriquer plusieurs modèles différents.

L’usine de Kenitra a été pensée comme un outil industriel au service de la région Afrique et Moyen-Orient

Sur quels marchés sont expédiées les 208 fabriquées à Kenitra ?

L’usine de Kenitra a été pensée comme un outil industriel au service de la région Afrique et Moyen-Orient. Par conséquent, nous avons pour première vocation de servir les marchés de cette zone. Le Maroc est un marché important, mais il ne pourra pas absorber plus de 10 000 véhicules issus de cette usine.

Nous prévoyons notamment que la Turquie sera une destination majeure de notre production. Nous enverrons nos véhicules dans la plupart des pays de la région, à l’exception de l’Algérie, où PSA mène un autre projet d’usine [à Oran], que nos équipes de Kenitra seront certainement appelées à accompagner.

Kenitra est éloignée des infrastructures portuaires… Êtes-vous prêts au niveau logistique à l’augmentation des cadences et des volumes de véhicules exportés ?

L’usine est reliée à la voie ferrée afin qu’elle atteigne directement le terminal roulier du port de Tanger Med, d’où les voitures peuvent être expédiées vers 80 pays : sur tout le continent africain, mais aussi vers le golfe Persique et l’Europe. Notre premier train, qui comporte une vingtaine de wagons, partira d’ailleurs très prochainement vers le port.

Vous n’approvisionnerez pas les marchés européens ?

Notre usine slovaque de Trnava fabrique également la Peugeot 208. C’est donc elle qui approvisionnera l’essentiel du marché européen. Mais, selon la demande, Kenitra pourra être amenée à exporter ses véhicules vers le sud de l’Europe, notamment dans la péninsule Ibérique, du fait de la proximité géographique.