Ma vie de femme africaine, je pourrais la raconter sous la forme d’un roman capillaire. Il commencerait dès l’école primaire, à Nyamata. L’instituteur, impitoyable, exigeait que tous ses élèves, filles et garçons, aient le crâne rasé. C’est ainsi que, chaque matin, j’étais livrée au feu du rasoir, instrument douteux dont je me refuse aujourd’hui à imaginer les opérations pour lesquelles il avait pu être utilisé.
À Kigali, alors que sévissait le régime d’apartheid hutu, au lycée de jeunes filles Notre-Dame-de-Citeaux, l’abondante chevelure de la Tutsie que je suis aggrava mon cas. J’avais en effet été incluse dans le quota de 10 % que ce régime concédait aux miens pour accéder au secondaire.
Tresses et défrisages étaient strictement prohibés
Pour les élèves comme pour les professeurs, être tutsi était déjà une tare indélébile, mais arborer en plus des cheveux dénommés « éthiopiens », le pays d’où, d’après le mythe anthropologique importé par les Européens, étaient venus les envahisseurs, ajoutait encore à ma condition de paria. Les coiffures des élèves de Notre-Dame-de-Citeaux devaient être modestes. Tresses et défrisages étaient strictement prohibés. Une petite motte de cheveux, tempes et nuque dégagées : on appelait cela « coiffure autorité » en raison de sa tenue immuable.
J’avais le plus grand mal à maintenir mes cheveux suivant la norme imposée par les religieuses. J’avais trouvé une solution toujours provisoire : plongés dans un seau d’eau, mes cheveux se rétractaient et devenaient ainsi une petite éponge. Je pouvais alors me présenter décemment devant la sœur surveillante avant que ma toison ne reprenne le volume que lui a attribué la nature.
Inconvenance
Mon roman capillaire comporterait de nombreux chapitres. J’y décrirais le défrisage au fer rougi que mes copines et moi pratiquions à Bujumbura.
Je ne me lasse pas d’admirer la chevelure épanouie de Sibeth Ndiaye
Je consacrerais des pages à la recherche désespérée en France d’un coiffeur sachant défriser à un juste prix sans que j’aie à y laisser la moitié de mon salaire car me présenter au travail avec mes cheveux en leur état de nature était considéré par mes collègues et par mes chefs comme une grave inconvenance. Souvent, j’en étais réduite à recourir à toute une variété de bandeaux et de foulards. Quelques-uns me comparaient ironiquement à Simone de Beauvoir.
Heureusement, les temps changent. Et je ne me lasse pas d’admirer sur l’écran de la télévision la chevelure épanouie de Sibeth Ndiaye, porte-parole du gouvernement français.