L’Afrique de l’Ouest peut-elle gagner la guerre contre le terrorisme ?

Réunis en sommet à Ouagadougou, les chefs d’État de la région ont appelé à un sursaut et tenté d’unir leurs forces face à la menace jihadiste. Mais l’efficacité de la riposte demeure incertaine.

Des soldats mauritaniens à la frontière malienne, en novembre 2018. © THOMAS SAMSON/AFP

Des soldats mauritaniens à la frontière malienne, en novembre 2018. © THOMAS SAMSON/AFP

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Publié le 24 septembre 2019 Lecture : 7 minutes.

Des soldats mauritaniens à la frontière malienne, en novembre 2018. © THOMAS SAMSON/AFP
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Sahel : l’Afrique de l’Ouest peut-elle gagner la guerre contre le terrorisme ?

Réunis en sommet à Ouagadougou, les chefs d’État de la région ont appelé à un sursaut et tenté d’unir leurs forces face à la menace jihadiste. Mais l’efficacité de la riposte demeure incertaine.

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Mahamadou Issoufou et Ibrahim Boubacar Keïta espéraient « un déclic ». Non, assurait-on dans les chancelleries de la région, le sommet extraordinaire de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao), organisé le 14 septembre à Ouagadougou, ne serait pas une énième réunion accouchant d’un interminable communiqué plein de bonnes intentions. Cette fois-ci, c’était la bonne, l’Afrique de l’Ouest allait prendre le taureau par les cornes. Le résultat fut malheureusement mitigé.

Certes, ce sommet aura eu le mérite de confirmer une prise de conscience générale, quoique tardive. La Cedeao a aussi décidé de s’impliquer davantage dans la lutte contre le terrorisme. « L’élargissement souhaité des partenaires a été acté, affirme un ministre des Affaires étrangères de la sous-région. Sur ce point, c’est une réussite. La présence de la Mauritanie et du Tchad était également un signe fort. »

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Toutefois, un certain nombre de questions se posent encore quant à la mise en œuvre des décisions prises et à leur impact concret. Plus globalement, les chefs d’État ne semblent toujours pas avoir trouvé la bonne formule pour mieux coordonner la riposte contre une menace jihadiste qui fait tache d’huile et s’étend dangereusement vers le sud.

Double discours

En définitive, la principale annonce faite à Ouagadougou aura été d’ordre financier. Face aux réticences de la communauté internationale à financer le G5 Sahel, la Cedeao a décidé de consacrer 200 millions de dollars par an sur cinq ans à la lutte contre le terrorisme, soit au total près de 1 milliard de dollars. La moitié de cette somme doit être décaissée par les huit pays de l’Uemoa.

L’idée d’utiliser l’Uemoa a été soufflée par le Béninois Patrice Talon, puis poussée par l’Ivoirien Alassane Ouattara, son président en exercice. Et c’est au Sénégalais Macky Sall que la mission de suivi a été confiée. Les 500 millions restants sont censés venir des sept autres pays membres de la Cedeao qui n’appartiennent pas à l’Uemoa. Les présidents de la sous-région espèrent que le Nigeria mettra la main à la poche et rêvent de gagner un peu de marge de manœuvre en convainquant la Banque mondiale et le FMI que les fonds alloués à la défense et à la sécurité sont assimilables à des dépenses liées au développement.

Voilà pour l’effet d’annonce. En coulisses pourtant, certains acteurs de la lutte contre le terrorisme se montrent sceptiques. « On attend de voir pour le croire, explique une source diplomatique française. Il y a un double discours. D’un côté, l’Afrique de l’Ouest dit qu’elle ne veut plus attendre que ses partenaires extérieurs financent, mais, de l’autre, elle les appelle à tenir leurs engagements. »

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N’y a-t-il pas, dans cette contradiction, un aveu d’impuissance ? Plusieurs sources doutent également de la capacité de la sous-région à mobiliser ces sommes, tout comme elles s’interrogent sur l’utilisation qui en sera faite. Officiellement, l’argent doit aller à la formation des unités engagées contre les jihadistes et le crime organisé (trafic d’armes, de drogue ou de tabac). « Mais il est plus probable que chaque pays s’en serve pour financer ses propres forces de sécurité », estime un acteur de la lutte contre le terrorisme.

À Ouagadougou, plusieurs chefs d’État ont même tenté d’enterrer le G5 Sahel

Si les pays de la Cedeao se retrouvent sur la nécessité d’allier leurs forces, ils ne semblent en revanche pas s’entendre sur les instruments à utiliser pour y parvenir. Les divergences de vues concernant l’avenir du G5 Sahel en attestent. Ses pays membres (la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad) ont beau réclamer le soutien de la Cedeao, ils ne souhaitent pas voir leur organisation disparaître.

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« Il n’y a pas de rivalité entre le G5 Sahel et la Cedeao », a d’ailleurs martelé Mahamadou Issoufou. Pourtant, résume le responsable d’un service de renseignements ouest-africain, « certains n’en veulent tout simplement pas ». À Ouagadougou, plusieurs chefs d’État ont même tenté de l’enterrer (le Nigeria a ainsi toujours estimé qu’il s’agissait d’une création française). « Mais comment tuer quelque chose qui n’existe pas ? » ironise un ministre de la Défense présent à Ouagadougou.

Le 14 septembre, les quinze membres de la Cedeao sont convenus d’un plan d’action de 1 milliard de dollars pour lutter contre le jihadisme. © ANNE MIMAULT

Le 14 septembre, les quinze membres de la Cedeao sont convenus d’un plan d’action de 1 milliard de dollars pour lutter contre le jihadisme. © ANNE MIMAULT

Là n’est pas le seul point de dissension. Les pays côtiers ont ainsi insisté pour que la possibilité d’activer la force en attente de la Cedeao soit inscrite au communiqué final du sommet. Leur idée ? Faire en sorte que cette force puisse être mobilisée au Sahel. « C’est un moyen de contourner la force conjointe du G5 Sahel », explique une source sécuritaire ouest-africaine.

Nous n’avons pas besoin d’une force supplémentaire. Ce qu’il nous faut, ce sont des moyens pour nos soldats, qui connaissent le terrain

Mais ils n’ont eu le soutien ni du Niger ni du Mali, qui l’ont fait savoir et comptent bien le redire lors du prochain sommet de l’organisation, en décembre. « Nous n’avons pas besoin d’une force supplémentaire qui ne sera déployée que dans de longs mois. Ce qu’il nous faut, ce sont des moyens pour nos soldats, qui connaissent le terrain », s’agace un diplomate malien.

L’entrée en scène de la Cedeao suffira-t-elle à endiguer la contagion jihadiste ? Le 13 septembre, à la veille du sommet de Ouagadougou, les présidents malien, mauritanien, nigérien, burkinabè et tchadien se sont réunis à huis clos, et les échanges ont parfois été musclés.

« Idriss Déby Itno a poussé une gueulante », affirme un participant. Comme le Burkinabè Roch Marc Christian Kaboré, le Tchadien a fait part de son agacement face à l’inaction de la force conjointe du G5 Sahel, qui comporte cinq bataillons de 750 hommes. « Nos soldats sont là pour combattre ! » ont-ils tonné. Cette remobilisation va-t-elle porter ses fruits ? Au lendemain du sommet, Kaboré a confié qu’une opération militaire conjointe des forces du G5 Sahel et de l’opération française Barkhane pourrait être rapidement lancée dans le nord du Burkina pendant plusieurs mois.

Répétition du scénario malien

Pour Kaboré, il y a urgence. À un an de la présidentielle, le président burkinabè doit inverser la tendance : malgré le lancement de plusieurs opérations militaires d’envergure dans l’Est puis dans le Nord, le Burkina semble incapable de faire face aux jihadistes. Koutougou, Koutoukou, Inata, Barsalogho, Nassoumbou, Pissla, Tounga… La liste des localités ciblées ces dernières semaines donne le tournis. Et pour ne rien arranger, les attaques se ponctuent désormais de violences intercommunautaires meurtrières.

Selon l’ONU, le nombre de déplacés ne cesse de croître et pourrait atteindre 300 000 personnes d’ici à la fin de l’année. Dans ce qui ressemble fortement à une répétition du scénario malien, l’administration et les représentants de l’État ont déserté certaines régions du septentrion.

Dans ces zones, il n’y a parfois plus d’école, d’administration ni de services de sécurité. Mal équipées, sous-payées, les forces de défense et de sécurité ne cachent plus leur colère face à une hiérarchie souvent absente des théâtres d’opérations.

Après l’attaque qui a coûté la vie à 24 militaires à Koutougou, la plus sanglante jamais connue par l’armée burkinabè, des soldats mécontents ont tiré en l’air et provoqué la panique au camp Guillaume-Ouédraogo, contraignant le chef d’état-major général des armées à venir les calmer en personne. Plus récemment, la veille du sommet, les forces de police basées à Djibo (Nord) ont abandonné leur poste. Le lendemain, c’était au tour du détachement de l’armée à Bourzanga (Centre-Nord).

Dans l’armée et la police, le moral est au plus bas

« Dans l’armée et la police, le moral est au plus bas. Les troupes souffrent des conditions de travail difficiles, du manque d’équipement et des primes non payées », explique sous le couvert de l’anonymat un policier de retour d’une mission dans la province de Soum. En coulisses, voilà des mois que des militaires tiennent le même discours.

« La situation est très préoccupante. L’État a perdu le contrôle du Nord », décrit une source sécuritaire française. Dans les rues de Ouagadougou, la population ne cache plus son exaspération.

Le 16 septembre, près de 2 000 personnes se sont réunies à l’appel de l’Unité d’action syndicale (UAS) et de plusieurs organisations de la société civile pour dénoncer « la crise sécuritaire, sociale et économique » que traverse le pays. Elles ont été dispersées par les autorités, qui n’avaient pas permis ce rassemblement.

Que se passera-t-il au prochain coup de boutoir des jihadistes ? Les décisions prises le 14 septembre par la Cedeao auront-elles enfin un impact concret ? Nul ne le sait. Mais une chose est sûre : après la désagrégation d’une partie du Mali, le sort du Burkina Faso fait trembler toutes les capitales ouest-africaines.

L’Initiative d’Accra, le nouvel atout de la sous-région

En parallèle du G5 Sahel, un autre cadre de coopération militaire et sécuritaire fait son chemin. Lancée en 2017 sous l’impulsion du Ghanéen Nana Akufo-Addo, l’Initiative d’Accra regroupe le Bénin, le Togo, le Ghana, le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire.

Les services de renseignements, les ministres de la Sécurité et de la Défense, ainsi que les chefs d’état-major de ces pays se retrouvent tous les deux ou trois mois pour partager leurs informations. Deux opérations militaires conjointes ont été organisées, et une troisième est en cours de préparation. Initialement réticent, le Niger a décidé se joindre à eux.

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