Aux commandes depuis août 2016 de l’investisseur Arise B.V., Deepak Malik laisse volontiers à d’autres les pressions des calendriers de « déploiement du capital » et des « dates de sortie », propres à la plupart des institutions de financement actives sur le continent. « Arise B.V. est dévolu au secteur financier en Afrique, mais n’est pas un fonds de capital-investissement. Nous resterons actionnaires des entreprises de notre portefeuille aussi longtemps que nous ajouterons de la valeur », explique le manager d’origine indienne.
Depuis Le Cap, ce vétéran qui compte plus de trente années d’expérience sur les marchés africains doit conduire Arise à « stimuler la croissance dans tous les sous-secteurs des services financiers en Afrique subsaharienne », selon l’ordre de mission de ses actionnaires : l’institution de développement norvégienne Norfund (48 % du capital), son homologue néerlandaise FMO (27 %) et la banque Rabobank (25 %), spécialiste du secteur agro-industriel.
« Il faut être patient »
Grâce à cette approche, Arise, dont les actifs atteignaient 750 millions de dollars à la fin de 2018, vient de réaliser une opération majeure. À la fin d’août, l’institution est devenue le troisième actionnaire du plus grand groupe panafricain, Ecobank Transnational Incorporated (ETI), récupérant les 14,1 % du capital détenus par IFC, filiale de la Banque mondiale chargée du secteur privé, et par sa filiale IFC Asset Management Company (IFC AMC), pour un montant qui n’a pas été rendu public. Si, comme toute transaction en bloc, cette opération a pu être négociée à une valeur supérieure à celle du marché boursier – environ 106 millions de dollars lors de l’annonce –, elle a été vraisemblablement exécutée à un niveau bien au-dessous des 275 millions de dollars que les deux filiales du groupe de la Banque mondiale ont injecté pendant dix ans dans Ecobank (à travers des prêts convertis en action).
Contactés par Jeune Afrique, ni IFC ni Arise n’ont voulu confirmer le montant de l’opération, invoquant des clauses de confidentialité. Mais, alors qu’Arise a pu négocier à sa guise, sans pression du calendrier, ce n’était pas le cas d’IFC et d’IFC AMC, dont l’investissement dans ETI dépassait les durées standards de détention du capital et s’apparentait de plus en plus à un fardeau. En effet, depuis 2013, le groupe panafricain n’a distribué qu’une seule fois des dividendes à ses actionnaires (48,2 millions de dollars, en 2015).
Sans contester la logique des capital-investisseurs, Deepak Malik rappelle cependant que « le timing n’est pas un critère pour nous » et que, « concernant le secteur bancaire, il faut être patient ». Interrogé sur la situation d’Ecobank, le patron d’Arise se veut optimiste : « Le management a pris des mesures importantes pour augmenter les revenus non tirés des intérêts et a mis l’accent sur la numérisation. Tant que ce chemin est suivi, nous sommes confiants quant à la capacité d’Ecobank d’obtenir de bons résultats et de verser des dividendes à l’avenir. »
Percée en Afrique de l’Ouest
Avec Ecobank, présent dans une trentaine de pays, mais particulièrement bien implanté en Afrique de l’Ouest (Nigeria, Côte d’Ivoire, Ghana, Sénégal et Togo), Arise réalise aussi une percée dans une région qu’il a longtemps prospectée afin notamment d’équilibrer son empreinte géographique. Les actifs de l’institution financière étaient jusque-là extrêmement concentrés dans un large corridor allant du Kenya au Mozambique, à l’exception du ghanéen CalBank. Au début de 2017, Arise avait repris 28 % du capital racheté au capital-investisseur panafricain DPI.
Ce n’est qu’un début pour nous
« Nous avons toujours souhaité être présents dans cette zone et nous avons exploré les opportunités d’y investir pendant deux ans, notamment en Afrique de l’Ouest francophone », explique Deepak Malik. Le manager pointe notamment les avantages de la zone Uemoa, avec ses huit pays ayant en commun une monnaie, le franc CFA, et un marché financier, avec la Bourse régionale des valeurs mobilières.
« Notre prise de participation au sein d’Ecobank va nous permettre de mieux comprendre la région et sera plus facile à gérer qu’un petit investissement au Togo, un autre en Côte d’Ivoire et un autre au Sénégal », explique le patron d’Arise, accompagné dans sa prospection et ses décisions par sa responsable de la gestion des risques financiers, la Néerlandaise Mirjam T’Lam, longtemps cadre au sein de Rabobank, et aux commandes d’une équipe de douze investisseurs recrutés en majorité dans les rangs de ses actionnaires. Désormais bien présent en Afrique de l’Ouest, Arise n’entend pas s’arrêter en si bon chemin. « Ce n’est qu’un début pour nous », confirme Deepak Malik.
Ambitions
Quelle est donc la « proposition de valeur » d’Arise ? « Notre mission de développement est centrale, et l’inclusion financière est notre priorité », insiste Deepak Malik, qui dirigea notamment la Banque zambienne de développement avant de rejoindre Norfund au début des années 2000. Pour s’assurer de son influence sur la stratégie et la gouvernance, Arise exige au moins un siège au conseil d’administration des entreprises du portefeuille. « Nous apportons une attention supplémentaire sur les questions de gouvernance et nous avons aussi, en interne, une équipe qui peut aider les banques de notre portefeuille sur les questions de risques et de conformité dans la régulation relative à la lutte contre la corruption et le financement du terrorisme », poursuit le patron.
Nous pourrions investir dans l’assurance et la technologie financière
Autre atout majeur : les actionnaires de la société d’investissement. « FMO et Norfund sont parmi les plus importantes institutions de développement. Et Rabobank est la plus grande consacrée à l’agro-industrie dans le monde et peut intervenir techniquement si une banque du portefeuille a besoin d’accompagnement », relève le manager indien. Depuis le début de l’année, FMO a approuvé environ 200 millions de dollars de financement pour des projets en Afrique. Norfund compte sur le continent un portefeuille de financements d’une valeur de 1,6 milliard de dollars et a accordé, depuis 2018, à CalBank et à Equity Bank, deux prêts d’environ 100 millions de dollars chacun.
C’est avec cette expertise et cette force de frappe qu’Arise entend continuer de se déployer dans le secteur financier africain. Après l’expansion en Afrique de l’Ouest, Arise s’apprête aussi à sortir d’une autre zone de confort : le secteur bancaire. « Nous sommes une jeune entreprise, nous bâtissons notre expérience, nous discutons avec les acteurs du secteur. Nous pourrions investir dans l’assurance et la technologie financière. Au cours des douze prochains mois, nous nous pencherons sur ce type de marchés avec un grand potentiel de développement. »
Ambitieux, le patron d’Arise anticipe un portefeuille d’actifs supérieur à 1,2 milliard de dollars d’ici à dix-huit mois. Et encore, assure-t-il, il ne s’agit que d’une « très faible valorisation de notre investissement ».
Une flexibilité « nordique »
Contrairement à d’autres institutions de développement, Norfund et FMO sont particulièrement flexibles dans leurs modèles d’intervention, proposant aussi bien des prises de participation que des prêts, allant de quelques centaines de milliers à plusieurs dizaines de millions de dollars. Arise a adopté la même approche.
Si elle préfère des participations minoritaires et des tickets de quelques dizaines de millions de dollars, l’institution peut miser parfois plus cher. La valeur de sa reprise des 12 % du capital d’Equity Bank détenus par Norfund, en 2017, est estimée à 170 millions de dollars. Et si ses parts sont souvent inférieures à 30 % du tour de table, l’investisseur contrôle le capital de dfcu en Ouganda (59 %), Zanaco en Zambie (46 %) et est le premier actionnaire privé de CalBank au Ghana (28 %).