Un partisan de Martin Fayulu, lors d’une manifestation devant le siège de la Cour constitutionnelle, le 12 janvier 2019. © REUTERS/Baz Ratner

Cet article est issu du dossier

RDC : Félix Tshisekedi est-il l’artisan d’un vrai « New Deal » ?

Voir tout le sommaire
Économie

RDC – Bob-David Nzoimbengene : « les banques locales dominent le marché sur tous les plans »

Bob-David Nzoimbengene, expert-comptable et associé gérant de Deloitte en RDC, décrypte le contexte et l’actualité du secteur bancaire congolais.

Réservé aux abonnés
Mis à jour le 27 septembre 2019 à 11:37

Bob David Nzoimbengene, expert comptable, associé-gérant de Deloitte RDC © Arsene Mpiana Mokwe pour JA

Expert-comptable et commissaire aux comptes agréé par la Banque centrale du Congo (BCC) pour les établissements de crédit, Bob-David Nzoimbengene possède vingt ans d’expérience dans les missions d’audit et de conseil, en particulier dans les secteurs de la finance, des mines et des télécommunications. Il a notamment dirigé l’activité de contrôle interne et de conformité d’Access Bank RD Congo, avant de rejoindre en février 2014 le cabinet Deloitte.

Pour la troisième année consécutive, la société de conseil a publié en novembre 2018 une étude sur le secteur bancaire congolais. Après la mise sous tutelle de la Biac en 2016, la liquidation de la FiBank RDC en 2017 et la cessation des activités de la filiale locale de Byblos Bank en 2018, quinze banques commerciales sont actuellement opérationnelles dans le pays. Malgré un taux de bancarisation encore faible, stagnant autour de 6 %, le secteur a affiché une progression annuelle moyenne de 27 % entre 2013 et 2017.

Les quatre banques locales continuent d’enregistrer les meilleures performances, concentrant plus de la moitié du total des actifs, des crédits à la clientèle, des fonds propres et du produit net bancaire (PNB) sur l’exercice 2017. Les groupes panafricains poursuivent toutefois leurs efforts et, petit à petit, parviennent à grignoter des parts de marché.

À Lire [Analyse] RDC : une fragile reprise économique

Jeune Afrique : Comment expliquez-vous que les banques locales continuent de dominer le marché congolais ?

Bob-David Nzoimbengene : Si les banques panafricaines et internationales sont plus nombreuses que les banques locales, ces dernières règnent sur le secteur, aussi bien en matière de performance que de rentabilité, de crédits à la clientèle, de mobilisation des dépôts, de produit net bancaire ou encore de résultat net. Cette prééminence des banques locales résulte de leur ancienneté et du fait qu’elles maîtrisent parfaitement leur environnement. Je pense aussi que la rapidité dont elles font preuve au niveau de la prise de décisions, contrairement aux banques panafricaines ou internationales, constitue un réel atout.

Comment se présente le système financier en RD Congo ? Quelles sont ses forces et ses faiblesses ?

D’une manière générale, il est essentiellement dominé par le secteur bancaire. Et en matière de contribution ou de performance, comme nous l’avons déjà dit, ce sont plutôt les banques locales qui tirent leur épingle du jeu. Quant au point faible du système financier congolais, il porte sur le manque d’efficacité des mesures mises en œuvre dans le cadre de la lutte contre le blanchiment des capitaux.

Malgré la présence de quinze banques commerciales, pourquoi le taux de bancarisation stagne-t-il dans le pays ?

La première raison est que nos banques sont concentrées dans les grandes villes, alors que 65 % de la population vit en milieu rural. Conséquence : il n’y a pas assez d’agences de proximité. À cet égard, l’agency banking, qui consiste à sous-­traiter des activités bancaires à des agents tiers, notamment à des détaillants, contribuerait à améliorer l’inclusion financière.

Il n’y a pas de mesures appropriées pour inciter les Congolais à ouvrir un compte bancaire

Ensuite, il n’y a pas de mesures appropriées pour inciter les Congolais à ouvrir un compte bancaire. Il faudrait en particulier que les différentes autorités soutiennent les approches visant à réduire le nombre de transactions en espèces. Un dernier frein est lié au coût que représente la tenue d’un compte.

Pensez-vous que les services numériques puissent contribuer au développement du secteur ? Si oui, comment ?

La digitalisation joue un rôle très important aujourd’hui. C’est un atout majeur que les banques doivent exploiter pour augmenter le taux de bancarisation, puisqu’un client n’a plus besoin de se rendre dans une agence bancaire physique pour effectuer des opérations. Demain, si tout le monde peut accéder à internet, cela limitera les transactions en espèces. Diminuer les manipulations de cash permet de réduire les risques, aussi bien pour les clients que pour les banques. Et ces dernières pourront alors réduire leurs coûts.

Est-il pertinent de créer des banques sectorielles (habitat, agriculture, industrie, etc.) ?

Oui, c’est important. Car cela va permettre d’avoir des recommandations spécifiques et d’aborder chaque marché différemment.

Il faudrait que toutes les banques s’impliquent pour respecter leurs engagements

Et faut-il une centrale des risques ?

Elle existe déjà. Mais le système ne fonctionne pas réellement car certains acteurs ne veulent pas y participer, tandis que d’autres n’en tirent aucun profit… Il faudrait que toutes les banques s’impliquent pour respecter leurs engagements, notamment celui de partager les informations.

Qu’est-ce qui justifie que les taux d’intérêt soient si élevés, ce qui constitue un obstacle majeur au financement de l’économie ?

Nos banques font face aujourd’hui à des charges énormes. C’est pourquoi il ne faut pas les condamner en bloc. Au contraire, il est préférable de tenir compte des problèmes auxquels elles sont confrontées, à commencer par celui des infrastructures. Par exemple, une banque qui s’installe dans une zone connaissant des pénuries d’électricité doit recourir à un groupe électrogène. Sans parler de la problématique de la sécurité et des distances énormes à parcourir dans un pays aussi vaste que le nôtre pour assurer les mouvements de cash, ou encore des spécificités d’une économie « dollarisée ». Tous ces paramètres représentent un coût très important pour les établissements bancaires.

La Banque centrale du Congo a-t-elle les moyens d’influencer le taux d’intérêt des banques ?

Le marché bancaire est libéral. La Banque centrale peut lui imposer des contraintes mais, en l’occurrence, ce ne serait pas une bonne politique. Elle pourrait en revanche accompagner les établissements, à travers par exemple l’Association congolaise des banques (ACB), pour voir dans quelle mesure on pourrait réduire leurs charges.