
L’opposant tchadien Saleh Kebzabo a dénoncé la visite d’une candidate « de l’extrême droite raciste et xénophobe ». © Vincent Fournier/JA
Nouveau chef de file, nouvelle formation, mais toujours pas de grande coalition à l’horizon, ni de bouleversements à attendre avant les législatives, annoncées pour la fin de l’année.
À N’Djamena, Saleh Kebzabo reçoit toujours chez lui, dans sa confortable villa avec piscine. Des souvenirs de voyages sont disséminés dans le jardin, où cohabitent tortues géantes et grues couronnées. Ces dernières semblent d’ailleurs vouloir s’immiscer dans la discussion dès que le maître des lieux s’exprime. « Nous aimerions les laisser en liberté, mais, chaque fois qu’on le fait, c’est l’anarchie dans le jardin », lâche le député, un brin ironique.
Le président de l’Union nationale pour le développement et le renouveau (UNDR) marche plus lentement que d’habitude, comme fatigué par une décennie de joutes électorales. On le sent aussi moins impatient, moins véhément à l’égard de la majorité. « L’espoir fait vivre », rappelle-t-il en souriant.
Je ne suis plus le chef de l’opposition, cette nébuleuse sans queue ni tête, parce que le pouvoir en a décidé ainsi, lâche l’intéressé
À 72 ans, l’ex-chef de file de l’opposition continue néanmoins de s’étonner de la longévité au pouvoir d’Idriss Déby Itno et du parti présidentiel, le Mouvement patriotique du salut (MPS). En particulier, Saleh Kebzabo dénonce encore et toujours « la fraude de 2016 » – le chef de l’État sortant a remporté la dernière présidentielle dès le premier tour avec près de 60 % des suffrages exprimés – et, déjà, celle qui se prépare selon lui pour « les hypothétiques législatives » prévues en fin d’année. « Je ne suis plus le chef de l’opposition, cette nébuleuse sans queue ni tête, parce que le pouvoir en a décidé ainsi », lâche-t-il dans un soupir.
Le 12 avril, après que l’un de ses députés a rejoint la majorité, le groupe parlementaire de l’UNDR ne comptait plus que sept membres, contre huit pour celui de l’Union pour la République et la démocratie (URD). Dans la foulée, la Cour suprême du Tchad a désigné Romadoumngar Félix Nialbé, le leader de l’URD, nouveau chef de file de l’opposition. « Je conteste cette décision de la Cour et la légitimité de celui qu’on a nommé à ma place, mais je ne réclame rien. Cette fonction m’a coûté pendant huit ans. Je me suis battu seul. Il fallait organiser des réunions, louer des salles… Aujourd’hui, je vais consacrer mon énergie à servir mes propres ambitions. »
En réalité, Saleh Kebzabo n’a jamais paru autant chef de l’opposition que depuis qu’il ne l’est plus. Une trentaine de partis continuent de le soutenir, alors qu’une sorte de « force tranquille » se dégage désormais de celui qui n’a jamais le moindre mot déplacé à l’égard des autres leaders de son camp. À commencer par son successeur, Romadoumngar Félix Nialbé, 62 ans. Lui-même ne cesse de répéter que « Kebzabo et lui [sont] de bons amis qui continuent de se voir pour discuter de l’avenir ».
Jeune Trublion, vieux défis
Du côté du secrétaire général du Parti pour les libertés et le développement (PLD), Mahamat Ahmat Alhabo, 65 ans, le ton est plus froid et distant. La disparition jamais élucidée, en février 2008, d’Ibni Oumar Mahamat Saleh, l’ancien leader du PLD, a laissé des traces profondes. Aujourd’hui, les reproches de l’ex-membre du MPS, qui a été cinq fois ministre (Communication, Éducation, Santé, Justice et Finances) et ambassadeur du Tchad à Paris, ciblent surtout la France, dont il estime les relations avec le Tchad « trop liées à ses propres intérêts géostratégiques ».
Le renouveau de l’opposition, en particulier auprès d’une jeunesse en attente de changement, semble désormais incarné par Succès Masra, 36 ans, le fondateur du mouvement Les Transformateurs. Reste que, le 23 avril, l’autorisation de créer son parti lui a été refusée par le ministère de l’Administration territoriale, au motif que des conseillers de sa formation ont moins de 30 ans, ce qui serait contraire à une ordonnance de 2018.
Si Succès Masra conteste cet argument et a tenu, le 1er juin, une « conférence d’officialisation » des Transformateurs, son mouvement, à défaut d’être légalement reconnu en tant que parti, pourrait ne pas participer aux prochaines législatives.
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