[Tribune] Le smartphone, arme de démocratisation massive

Face à la suspicion qui entoure les résultats officiels, depuis plus de dix ans, les élections africaines font l’objet de « remontées parallèles ». Et désormais, chaque électeur peut être une commission électorale à lui tout seul.

Les responsables de la commission électorale en RDC, lors du scrutin présidentiel, à Kinshasa, dimanche 30 décembre 2018 (image d’illustration). © Jerome Delay/AP/SIPA

Les responsables de la commission électorale en RDC, lors du scrutin présidentiel, à Kinshasa, dimanche 30 décembre 2018 (image d’illustration). © Jerome Delay/AP/SIPA

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  • Christian Bouquet

    Professeur à l’Université Bordeaux-Montaigne et chercheur au LAM (Les Afriques dans le Monde)

Publié le 15 septembre 2019 Lecture : 3 minutes.

L’organisation des élections par une commission électorale est l’apanage des démocraties immatures. Dans un État de droit, c’est la machine administrative – généralement le ministère de l’Intérieur – qui effectue le travail.

Alors pourquoi certains pays, notamment africains, doivent-ils recourir à une commission électorale ? Parce que les partis politiques ne font pas confiance à une organisation qui serait directement chapeautée par le pouvoir en place.

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Pourquoi cette méfiance ? Parce qu’ils ont tous, à un moment ou à un autre de l’évolution politique de leur pays, triché pour gagner plus facilement les élections. Ils connaissent donc tous les rouages de la fraude. Certains pourraient même publier un vade-mecum sur le sujet !

Suspicion généralisée

Autant dire que le concept de Commission électorale nationale « indépendante » (Ceni, selon le vocable le plus répandu sur le continent) est une utopie dès lors que règne cette suspicion généralisée et qu’il n’existe personne, pas même dans la société civile, qui puisse être qualifié d’impartial.

Par conséquent, les débats autour de la composition et du fonctionnement des Ceni seront éternels et ne seront jamais tranchés de manière satisfaisante pour tous les partis. Même un tirage au sort des commissaires serait contesté.

Mais pourquoi donc exiger une telle procédure, de surcroît souvent déclinée en commissions électorales locales (démultipliant ainsi les mécontentements), alors que les technologies nouvelles peuvent constituer un solide rempart contre la fraude ?

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Remontées parallèles

D’ailleurs, les formations politiques le savent bien puisqu’elles disposent toutes, quelques heures après la clôture des scrutins, des vrais chiffres, issus de tous les bureaux de vote et transmis via des smartphones par leurs représentants, dûment accrédités, qui ont enregistré les comptages et photographié les procès-verbaux.

Depuis plus de dix ans, les élections africaines font ainsi l’objet de « remontées parallèles » généralement compilées soit par chaque parti concerné au niveau de son état-major, soit par des plateformes internationales d’observation (par exemple, le National Democratic Institute – NDI).

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Chaque électeur peut donc être une commission électorale à lui tout seul. Il lui suffit d’être présent dans son bureau de vote toute la journée s’il le souhaite, mais surtout au moment du comptage des bulletins, puis de photographier les résultats et le procès-verbal, lequel aura mentionné les éventuels incidents.

Il attendra ensuite que les résultats officiels soient publiés pour chaque bureau et, si c’est conforme à ce qu’il avait enregistré, tout sera clair pour ce qui le concerne. Si, au contraire, les chiffres sont différents, il sera fondé (au même titre que les autres électeurs engagés dans un processus similaire dans les autres bureaux) à le faire savoir, aussi bien aux autorités de tutelle qu’aux observateurs internationaux.

Naturellement, s’il n’y a qu’un pourcentage infime d’« erreurs » et que celles-ci ne sont pas de nature à inverser le résultat, le verdict des urnes pourra être confirmé. En revanche, si le pourcentage relevé est important, le terme de « fraudes massives », si souvent convoqué sur le continent au lendemain de scrutins, pourra être retenu, et chacun – électeur, pouvoir en place et communauté internationale – sera autorisé à en tirer les conséquences.

Sachant que le coefficient de pénétration de la téléphonie mobile dans le continent est de plus en plus élevé (voir la carte des Afriques dans le monde – LAM – ci-dessous) et que cette technique de communication est parfaitement maîtrisée par un pourcentage significatif des populations, on comprend mal pourquoi il y a encore des politiciens pour s’empoigner à propos des commissions électorales. Sauf à imaginer qu’ils n’aient rien d’autre à dire, notamment sur les projets de société ou sur les programmes de gouvernement. On comprend en revanche mieux pourquoi certains autocrates coupent internet au moment des élections…

Le coefficient de pénétration de la téléphonie mobile dans le continent est de plus en plus élevé. © Source : Laboratoire des Afriques dans le monde (LAM)

Le coefficient de pénétration de la téléphonie mobile dans le continent est de plus en plus élevé. © Source : Laboratoire des Afriques dans le monde (LAM)

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