
Arnaud Dubien, Chercheur Associé© IRIS © IRIS
Quelle est l’influence réelle de la Russie en Afrique ? Les pays sur lesquels Moscou s’appuie pour faire son « retour » sur le continent ? Chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques, Arnaud Dubien livre son analyse de la stratégie de Vladimir Poutine.
Jeune Afrique : Existe-t-il une sphère d’influence russe en Afrique ?
Arnaud Dubien : Non, le terme n’est pas approprié. En revanche, il existe des pays où la Russie exerce une influence peut-être non prépondérante, mais significative : l’Algérie, bien sûr ; l’Égypte, avec le projet de centrale nucléaire d’El-Dabaa (annoncé à la fin de 2017) et de gros contrats d’armement ; mais aussi la Libye.
On parle souvent d’un « retour » russe en Afrique. Est-ce le cas ?
Oui, bien sûr, mais ce retour date d’une douzaine d’années. Précisément : du deuxième mandat de Vladimir Poutine. Cela a commencé avec l’Algérie, et depuis la stratégie n’a pas changé : on efface la dette datant de l’époque soviétique en échange de nouveaux contrats. D’armement, en général.
Ensuite, les Russes ont tenté de faire la même chose en Libye, mais ça n’a pas marché pour des raisons que tout le monde connaît : l’intervention occidentale et ses suites. Cet épisode a d’ailleurs provoqué une profonde amertume en Russie. Beaucoup de gens ont l’impression que le retour de la Russie est récent, à cause de la Centrafrique, mais cette affaire est somme toute secondaire. La stratégie russe en Afrique est plus large et est préparée de longue date.
Les Russes peuvent encore s’appuyer sur une génération de chefs d’État ou de militaires formés à Moscou, qu’il s’agisse de Hage Geingob, le président namibien, ou de João Lourenço
La Russie peut-elle encore compter sur les liens d’amitié qui unissaient certains régimes africains à l’URSS ?
Bien sûr, elle essaie de s’appuyer là-dessus, ce qui est logique. Il y a eu un trou de presque vingt ans, mais les Russes peuvent encore s’appuyer sur une génération de chefs d’État ou de militaires formés à Moscou, qu’il s’agisse de Hage Geingob, le président namibien, ou de João Lourenço, son homologue angolais. Ils ne manquent d’ailleurs pas de rappeler que leur histoire est différente de celle de la France, par exemple, et qu’ils n’ont pas de passé colonial.
Et l’Afrique du Sud ? L’URSS ayant naguère beaucoup soutenu l’ANC, la Russie peut-elle en tirer profit ?
L’Afrique du Sud, c’est une occasion manquée. Jacob Zuma, qui avait été le chef des services de renseignements de l’ANC, conservait des liens très forts avec l’ex-KGB et les Russes en général. D’ailleurs, le groupe Rosatom était bien placé pour remporter un mégacontrat en vue de la construction de plusieurs centrales nucléaires dans le pays. Mais le projet a été mis de côté après l’arrivée au pouvoir de Cyril Ramaphosa. Une très mauvaise surprise pour Moscou.

Vladimir Poutine et Faustin-Archange Touadéra, à Saint-Pétersbourg, le 23 mai 2018. © Mikhail Klimentyev/AP/SIPA
Les russes ont fermé les bases militaires qu’ils possédaient à Cuba et au Vietnam. Pour eux, ça n’a aucun intérêt opérationnel et ça coûte cher
La Russie vient d’annoncer la conclusion de plusieurs accords militaires bilatéraux. Cherche-t-elle à s’assurer une présence permanente en Afrique ?
C’est ce qu’on lit dans une certaine presse africaine et anglo-saxonne, mais je n’y crois pas. Que les Russes négocient des facilités de mouillage pour leurs navires ou organisent des exercices conjoints, oui. Mais entretenir des bases permanentes si loin de leur territoire, non. Ce n’est pas dans leurs habitudes, et ils ont d’ailleurs fermé celles qu’ils possédaient à Cuba et au Vietnam. Pour eux, ça n’a aucun intérêt opérationnel et ça coûte cher.
Le tout premier sommet Russie-Afrique se tiendra à la fin d’octobre à Sotchi. Que faut-il en attendre ?
C’est une façon pour la Russie de marquer son intérêt pour l’Afrique, et c’est symboliquement important. Je crois d’ailleurs que la plupart des chefs d’État du continent ont l’intention de se rendre à Sotchi. Et le sommet devrait aboutir à une grande déclaration de politique générale qui parachèvera le retour de la Russie en Afrique. On sera beaucoup dans le symbole, mais, en politique étrangère, les symboles sont importants.
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