Russie : la revanche d’un « nain » sur le continent africain ?

Distancés par leurs concurrents européens, chinois et américains, les Russes rêvent de regagner le terrain perdu depuis trente ans. L’opération n’est pas trop mal engagée.

La Guinée abrite plus du tiers des réserves mondiales de bauxite. © Pierre GLEIZES/REA

La Guinée abrite plus du tiers des réserves mondiales de bauxite. © Pierre GLEIZES/REA

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Publié le 14 août 2019 Lecture : 4 minutes.

Vladimir Poutine lors de sa première visite en Afrique du Sud, en septembre 2006. © GIANLUIGI GUERCIA/AFP
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Russie-Afrique : les secrets d’une reconquête

Au sud du Sahara et au Maghreb, Vladimir Poutine veut voir son pays jouer un rôle de premier plan, comme au temps de la guerre froide. Alors que s’ouvre, le 22 octobre, le grand sommet du Sotchi, quels sont les motifs, avoués ou non, de sa stratégie ? De quels hommes et de quels moyens dispose-t-il pour la mettre en œuvre ?

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La formule revient dans tous les rapports, et elle n’est pas flatteuse. Sur le plan économique, la Russie, en Afrique, ne serait qu’un « nain ». Et les chiffres semblent le confirmer. En 2018, le total des échanges commerciaux entre les deux parties n’a pas dépassé 17 milliards de dollars (les trois quarts en Afrique du Nord). À titre de comparaison, le montant des échanges avec l’Europe a culminé à 275 milliards de dollars. Le chiffre est de 200 milliards pour la Chine, de 70 milliards pour l’Inde et de 53 milliards pour les États-Unis.

La modestie de ces échanges est somme toute assez logique, le PIB de la Russie ne se classant qu’au 12e rang mondial, très loin derrière ceux de la Chine, des États-Unis, des principaux pays européens et même de l’Inde et du Brésil. En outre, le pays de Vladimir Poutine n’est pas un grand exportateur de biens manufacturés. C’est toute l’ambiguïté de cette ex-superpuissance planétaire aujourd’hui tombée de son piédestal : elle conserve quelques attributs – au moins, le souvenir – de sa grandeur passée, mais entend bien se refaire rapidement une place au soleil.

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Un sous-sol attractif

Même si on peut discuter de son ancienneté, ce « retour » de la Russie est incontestable. Il est avant tout diplomatique et politique, mais comporte une dimension économique. À cela, trois raisons essentielles.

1. La Russie a la volonté de diversifier les pays avec lesquels elle commerce. La crise financière de 2008 ayant fait du tort à ses exportations vers l’Europe, elle juge urgent de trouver d’autres débouchés.

2. Créer de nouveaux marchés permettrait aux entreprises russes de contourner, au moins partiellement, les sanctions que leur imposent les Occidentaux.

3. Les ressources du sous-sol, sur l’exploitation desquelles repose dans une large mesure l’économie russe, ne sont pas inépuisables. Or l’Afrique regorge d’hydrocarbures, de minerais et de métaux : cuivre, or, platine, cobalt, coltan, fer, manganèse, terres rares, etc. Les sites y sont en outre généralement plus faciles à exploiter que ceux de Sibérie ou de l’Arctique.

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Contrats « solidaires »

Quant à la méthode employée pour trouver de nouveaux partenaires, elle est très spécifique, comme l’explique le chercheur Arnaud Kalika dans une étude publiée en avril par l’Institut français des relations internationales (Ifri)* : « En Russie, les contrats sont solidaires. »

Ce qui, concrètement, signifie que lorsqu’un accord est négocié pour une entreprise russe, il l’est le plus souvent dans le cadre de discussions plus larges incluant des volets diplomatique, politique, militaire et financier. Il pourra s’agir, par exemple, de refinancer la dette, de conclure des partenariats bilatéraux de défense et des contrats d’armement, d’ouvrir un centre de recherche voire de concéder à une société russe la construction d’une centrale ou l’exploitation d’une mine…

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Le tout assorti de discours sur la nécessité d’un front commun face aux Occidentaux et aux Chinois. « C’est dans une certaine mesure un avantage d’arriver après eux, confirme Arnaud Dubien, de l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), à Moscou. Les Russes offrent une nouvelle option. » Surtout dans les pays – et il y en a ! – où certains commencent à trouver le partenariat avec la Chine un peu trop contraignant.

Diamants, nickel et Cie

Les secteurs sur lesquels les Russes se positionnent sont, pour l’heure, peu nombreux. Les industries extractives, bien sûr, avec des groupes comme Rusal, Alrosa (pour les diamants), Ferrum Mining, Norilsk Nickel, Severstal ou Nordgold, qu’on retrouve essentiellement en Guinée, au Nigeria, en Angola, au Botswana, au Zimbabwe, à Madagascar, en Afrique du Sud ou au Burkina Faso.

Autre grand domaine d’expertise : l’énergie et les hydrocarbures, avec des géants mondiaux comme Gazprom, Lukoil ou Rosneft, qui exploitent, exportent et parfois importent du pétrole et du gaz sous différentes formes. Ces dernières années, la découverte de nombreux gisements offshore leur a ouvert de nouvelles zones de prospection.

En Algérie et en Libye, bien sûr, mais aussi en Égypte (site Zohr), en Angola, au Zimbabwe, au Mozambique, au Ghana, au Nigeria, en Tanzanie et au Cameroun. L’exploitation des sites s’accompagne parfois de projets de construction de pipelines (Gazprom souhaite ainsi en construire un entre le Nigeria et l’Europe, via l’Algérie), et même d’offres de financement adaptées, par le biais notamment de sa filiale Gazprombank.

Le nucléaire, secteur d’excellence de l’industrie russe

D’autres sociétés proposent leurs services dans les infrastructures et les transports. C’est le cas de Georservice, dans le portuaire et le ferroviaire ; de Sukhoi, dans l’aérien ; de Rosgeo et d’Urangeo, dans la géologie et les recherches sismiques. D’autres encore produisent des engrais : Uralchem et Uralkali, présents en Afrique australe. Mais l’autre secteur d’excellence de l’industrie russe, c’est bien sûr le nucléaire, grâce principalement au groupe Rosatom.

Malgré une grosse déconvenue en Afrique du Sud, il multiplie les initiatives sur le continent, propose de construire des centres de recherche ou de collaborer étroitement, avant de passer aux choses sérieuses : la construction de centrales. Un contrat a été signé avec l’Égypte, et des pourparlers sont en cours avec le Nigeria, l’Algérie, la Zambie, la Tanzanie, le Ghana, le Kenya, l’Ouganda, la Namibie, l’Angola et le Maroc.

Rosatom a même développé spécifiquement pour l’Afrique un concept de « minicentrale », parfaitement adapté aux besoins du continent. Partout, ses experts expliquent à leurs interlocuteurs qu’entrer dans le cercle fermé des « pays nucléaires » leur permettrait d’assurer leur sécurité énergétique, de développer leur économie et d’acquérir un nouveau statut sur la scène mondiale.

Pour vendre, les groupes russes peuvent s’appuyer sur une équipe de représentants de choc dirigée par Sergeï Lavrov, le ministre des Affaires étrangères, et Nikolaï Patrouchev, le patron des services de sécurité. L’un et l’autre sillonnent l’Afrique en tous sens en ne se limitant plus au Maghreb – ce qui témoigne d’une sensible évolution depuis l’ère soviétique. Le sommet Russie-Afrique de Sotchi, en octobre, sera l’occasion de parachever cette vaste entreprise de séduction.

* Arnaud Kalika, « Le “grand retour” de la Russie en Afrique ? » Russie.Nei.Visions, Ifri, avril 2019.

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