[Tribune] Tunisie : une Constitution inachevée

L’actuelle Constitution tunisienne, adoptée en 2014, peine à garantir effectivement la limitation des pouvoirs et la protection des droits fondamentaux, notamment en raison de l’absence de Cour constitutionnelle et de l’héritage d’une certaine pratique autoritaire.

Une copie de la nouvelle Constitution tunisienne, sur un des bureaux de l’Assemblée, le 27 janvier 2014. © Hassene Dridi/AP/SIPA

Une copie de la nouvelle Constitution tunisienne, sur un des bureaux de l’Assemblée, le 27 janvier 2014. © Hassene Dridi/AP/SIPA

nessim ben gharbia © DR

Publié le 15 août 2019 Lecture : 3 minutes.

Le 26 janvier 2014, à une majorité écrasante, les députés tunisiens ont adopté en première lecture une nouvelle Constitution. Fruit de trois années de négociations entre les différents partis politiques et les divers acteurs nationaux – syndicats, patronat et associations de la société civile – , le texte a pour finalité de « réaliser les objectifs de la révolution de la liberté et de la dignité, révolution du 17 décembre 2010 au 14 janvier 2011 », et ce en « rompant avec l’oppression, l’injustice et la corruption ».

Ayant vécu pendant plus de cinquante ans sous un régime présidentialiste, garantissant peu (ou pas) de libertés publiques à ses citoyens, la Tunisie a exprimé clairement, à travers la Constitution de janvier 2014, sa volonté de bâtir une république fondée sur la séparation des pouvoirs et la garantie des droits fondamentaux accordés à ses citoyens.

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Blocage de la Cour constitutionnelle

Pour ce faire, la nouvelle Constitution consacre une large place aux libertés fondamentales (vingt-huit articles au total) et déplace le cœur du pouvoir de la présidence vers le Parlement. L’idée étant d’éviter toute éventuelle dérive d’un pouvoir personnalisé et de garantir, dans une certaine mesure, une gestion collégiale des affaires de l’État.

Aussi, le constituant a pris le soin de mettre en place des garde-fous, créés sous le statut d’autorités indépendantes, pour veiller à la bonne application de la norme fondamentale.

En appliquant la Constitution, le juge procède à son interprétation et lui donne sens. Dans le cas tunisien, c’est la Cour constitutionnelle qui est exclusivement habilitée à interpréter le texte.

Dès lors, son rôle devient primordial pour assurer la garantie des droits fondamentaux et la consécration du principe de séparation des pouvoirs. En dépit de cette dimension essentielle, les parlementaires ne sont pas parvenus à un accord sur l’élection de quatre de ses membres, bloquant ainsi la création de cette justice constitutionnelle.

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Instrument de préservation du pouvoir exécutif

Privée de son authentique interprète, la Constitution peine à faire appliquer ses principes fondateurs. En effet, l’absence de haute juridiction permet entre autres au président de la République de se couvrir de tout risque de destitution, puisque l’article 88 conditionne cette procédure à la présence de juges constitutionnels.

De ce fait, la loi fondamentale devient un instrument de préservation du pouvoir pour l’exécutif, un texte souple interprétable au gré des intérêts conjoncturels. Une vision qui rappelle celle adoptée par l’empereur français Napoléon Bonaparte, qui considérait que la Constitution devait « être faite de manière à ne pas gêner l’action du gouvernement ».

Si cette conception a légitimé de longues périodes d’exercice de pouvoirs personnels et d’abus des droits fondamentaux, elle est aujourd’hui dépassée

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Si cette conception a prédominé pendant des décennies, légitimant de longues périodes d’exercice de pouvoirs personnels et d’abus des droits fondamentaux, elle est aujourd’hui dépassée et remplacée par une autre approche, plus en phase avec les aspirations démocratiques.

En effet, la doctrine du constitutionnalisme, née aux États-Unis, envisage la Loi fondamentale comme un outil de limitation du pouvoir politique et de garantie effective des droits et libertés. À ce sujet, Benjamin Constant considérait la Constitution comme « un acte de défiance envers les gouvernants », dans le sens où le texte encadre et limite leurs prérogatives.

Outil de limitation du pouvoir

Pour accomplir sa transition vers un État de droit, où règnent la séparation des pouvoirs et la garantie des droits, la Tunisie a tout intérêt à s’inspirer de cette doctrine. Suivant cette optique, le pouvoir exclusif d’interpréter la Constitution devrait au plus vite être attribué à une autorité impartiale (la Cour constitutionnelle), dont les membres ne seraient pas concernés par les luttes de pouvoir.

Aussi, ces membres devraient avoir à l’esprit que ce texte est un outil de limitation du pouvoir politique ainsi qu’un instrument de garantie réelle des droits et libertés. Ce n’est qu’à ce prix que la Tunisie réussira sa mutation constitutionnelle, et qu’elle honorera la mémoire de ses martyrs tombés pour la dignité et l’établissement d’un État de droit.

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