Un vendredi soir à Alger. Quelques heures auparavant, une nouvelle marche a drainé des centaines de milliers de manifestants dans la rue. Abderrahmane Benkhelfa, 70 ans, ancien ministre des Finances, sirote un thé à la menthe à la terrasse d’un hôtel, face à la grande baie de la capitale. Comme bon nombre de ses compatriotes, il n’en revient pas de l’ampleur des incarcérations qui touchent chefs d’entreprise et anciens responsables politiques. « Vertigineux ! », s’exclame Benkhelfa. Penser que certaines des personnes qu’il a côtoyées au Conseil des ministres croupissent aujourd’hui dans la prison d’El-Harrach, c’est comme s’imaginer sauter à l’élastique d’un pont haut de cinq cents mètres.
Ses treize mois à la tête d’une des plus importantes administrations de la République ont été, selon ses termes, courts, intenses, éprouvants, passionnants et frustrants. L’homme regrette « de ne pas avoir entrepris les réformes financières qu’il voulait engager ». Depuis son départ du gouvernement d’Abdelmalek Sellal en juin 2016, l’expert financier a tourné la page. Aujourd’hui à la tête d’un cabinet de conseil, Benkhelfa prend le temps de vivre, manifeste chaque vendredi quand il est à Alger et voyage en Europe et au Moyen-Orient à l’occasion de conférences.
Mais comment devient-on ministre ? Ce jeudi 14 mai 2015, Benkhelfa anime un séminaire dans un institut algérois quand son téléphone sonne. Son interlocuteur : le Premier ministre, Abdelmalek Sellal. « Le président a décidé de vous confier le portefeuille des Finances. Félicitations et bon courage. »
Euphorie, fierté, appréhensions, pendant quelques instants, la tête tourne et le cœur bat la chamade. La messagerie du nouveau ministre est vite saturée. Ce jeudi-là, la nuit lui semble interminable. « On gamberge, on se demande par quel bout commencer, comment appréhender la mission. Je n’ai pas dormi. »
Intense et fugace
La vie d’un ministre des Finances est tout sauf un long fleuve tranquille dans cette Algérie qui vit une crise financière aiguë et dont les recettes en devises diminuent tandis que les économies cumulées du temps de l’embellie pétrolière fondent comme neige au soleil. Réveillé à 6 heures, couché après minuit. Chaque journée est un marathon. « Je rentrais à la maison avec une pile de parapheurs », raconte Benkhelfa.
‘Il y a un remaniement ministériel. Bonne route et bonne continuation.’ Sans explications. L’aventure s’arrête là
Parcours intense… et fugace. L’annonce de son départ du gouvernement est aussi rapide que celle de son arrivée. Un an plus tard, le 11 juin 2016, encore un coup de téléphone. C’est le même Premier ministre. Là encore, le propos est bref : « Il y a un remaniement ministériel. Bonne route et bonne continuation. » Sans explications. L’aventure s’arrête là.
« Il y a un temps pour encaisser la nouvelle, un autre pour se projeter dans l’après. J’ai connu des ministres qui se tenaient le ventre, d’autres qui avaient perdu le sommeil à force d’attendre un coup de fil pour leur confirmer leur maintien ou leur éviction. » Au bout d’une semaine, la parenthèse se referme. Le ministre est prié de libérer la villa mise à sa disposition au Club des pins, une résidence d’État où vit la nomenklatura. Sa garde rapprochée lui est retirée. « Il faut vite sortir de la peau du ministre et reprendre le cours de sa vie. »