Shinzo Abe, le premier ministre Japonais, à l’ouverture de la Ticad V, en juin 2013 à Yokohama. © Itsuo Inouye/AP/SIPA

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Ticad VII : Japon-Afrique, une nouvelle dynamique ?

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Politique

Japon-Afrique – Shigeru Ushio : « L’implantation sur le continent est une question de vie ou de mort pour nos entreprises »

Shigeru Ushio est depuis 2018 le « Monsieur Afrique » du ministère japonais des Affaires étrangères (MOFA). À 56 ans, il a pris la direction générale des Affaires africaines avec pour objectif de leur apporter un nouvel élan. Interview.

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Mis à jour le 7 août 2019 à 13:09

Shigeru Ushio est depuis 2018 le « Monsieur Afrique » du ministère japonais des Affaires étrangères (MOFA). © DR

Entré dans la diplomatie nippone dès la fin de ses études de droit à l’Université de Tokyo, Shigeru Ushio a d’abord servi, en tant que conseiller, en Asie du Sud-Est puis en France, avant de rallier le continent. D’abord au sein de la direction des Affaires africaines à Tokyo, puis, en 2014, comme ambassadeur en RD Congo. Il rentre au pays trois ans plus tard pour travailler sur les questions de sécurité et de coopération internationale, avant d’occuper ses fonctions actuelles.

C’est donc en cumulant ses différentes expériences que Shigeru Ushio répond aux questions de Jeune Afrique, n’hésitant pas à appeler à un changement de mentalité des investisseurs japonais à l’égard d’un continent africain toujours aussi mal connu de ses compatriotes.

Jeune Afrique : Quels sont les enjeux de cette Ticad 7 ?

Shigeru Ushio : Cette édition reste placée sous le signe du business et de la promotion des investissements. C’est une occasion unique pour nous d’échanger directement avec des représentants africains. Comme nous avons pris du retard sur ce marché, il est crucial d’afficher clairement notre volonté d’y investir. Pour ce faire, nous voulons faire valoir nos expériences en Asie en contribuant à la croissance du continent par le développement des ressources humaines locales. On aimerait aussi parler du changement climatique et de la prévention des catastrophes naturelles. Le Japon a des savoir-faire très pointus dans ce dernier domaine, et cela peut constituer un avantage.

Nous avons créé cette année, en collaboration avec le secteur privé, un consortium des affaires en Afrique

Quel bilan a été tiré de la précédente édition ?

Disons qu’à l’époque, on semait des graines. On martèle l’importance d’investir en Afrique depuis la Ticad 5, en 2013, mais il faut admettre que nos entreprises n’y mettaient pas toutes leurs forces. Heureusement, cette situation a changé. Le marché asiatique est en saturation et tout le monde connaît le gros potentiel du continent. Afin d’y promouvoir les investissements, nous avons créé cette année, en collaboration avec le secteur privé, un consortium des affaires en Afrique.

Le Japon n’abandonne pas son ambition de devenir membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU. Comptez-vous toujours sur le soutien des pays africains ?

Sur ce sujet, il n’y a pas beaucoup de choses qui bougent en ce moment. Même entre les pays africains, il y a des divisions sur un éventuel candidat issu du continent. Mais si aucun consensus ne se dégage, l’Afrique ne réussira pas à faire entendre sa voix dans les débats engagés pour réformer le Conseil de sécurité. Ces discussions s’annoncent longues et difficiles, mais le Japon va poursuivre ses efforts pour faire avancer le dossier.

Les savoir-faire japonais peuvent constituer un véritable atout, comme les infrastructures ou encore la géothermie

Quelles sont les spécificités de votre partenariat avec l’Afrique ? Dans quels domaines le Japon peut-il faire une réelle différence en matière de développement ?

De fait, nous avons pris du retard, mais il y a déjà des domaines où les savoir-faire japonais peuvent constituer un véritable atout, comme les infrastructures ou encore la géothermie. Nous essayons également de soutenir des start-up pour qu’elles s’implantent en Afrique, là où les barrières réglementaires sont beaucoup moins élevées qu’au Japon, ce qui peut accélérer leur développement. Mais il faut reconnaître que la concurrence est aujourd’hui très rude.

Est-ce que Tokyo a les moyens financiers de ses ambitions en Afrique ? Est-ce que vous ne souffrez pas de la comparaison avec la Chine ?

Notre capacité financière ne constitue pas un frein. Ce qui pose problème, c’est l’endettement de certains pays africains à l’égard de Pékin. Les Chinois ne se préoccupent pas de la solvabilité des pays débiteurs, avec le risque de provoquer la faillite de beaucoup d’entre eux. Dans de telles situations, le Japon préfère ne pas prêter d’argent bien qu’il ne manque pas de moyens financiers. ​

Nous avons besoin de nouer des partenariats avec d’autres pays

Est-ce que des accords de partenariats tripartites (avec la France, le Royaume-Uni, etc.) intéressent le Japon ? Au point d’envisager de collaborer avec la Chine en Afrique ?

Les entreprises japonaises n’ayant pas de connaissances ni de ressources humaines spécialisées relatives à l’Afrique, nous avons besoin de nouer des partenariats avec d’autres pays. Par exemple, grâce à CFAO, Toyota Tsusho a désormais accès à des marchés que le groupe ne pouvait pas atteindre auparavant. Je n’exclus pas de collaboration avec la Chine, nous ne sommes pas en rivalité, mais il faut que certaines conditions soient réunies.

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Quels sont les principaux défis d’une collaboration avec l’Afrique ?

À l’heure où le marché japonais se rétrécit, l’implantation sur le continent est une question de vie ou de mort pour les firmes japonaises. Il reste encore à définir jusqu’à quel point l’État peut les accompagner. Il faudrait aussi que les entreprises changent en partie leur modèle et deviennent globales au sens propre du terme. Pour cela, il est nécessaire qu’elles emploient des étrangers pour s’appuyer sur leurs expertises. Dans les entreprises japonaises, un changement de culture s’impose, sans quoi elles ne pourront pas survivre.