La retraite, ils n’y ont jamais songé. Pas un seul instant ils n’ont rêvé à une vie paisible passée à savourer le temps qui s’étire. Les opposants mauritaniens Messaoud Ould Boulkheir et Ahmed Ould Daddah ont certes vieilli, mais ils ont la politique chevillée au corps. Après avoir contribué à écrire trente années de l’histoire de leur pays, ils ont vécu la limite d’âge de 75 ans comme une offense personnelle. Longtemps, ils ont été persuadés que cette disposition constitutionnelle serait amendée. À tort.
Le scrutin du 22 juin les a totalement marginalisés, eux et leur compagnon Mohamed Ould Maouloud, qui, pourtant allié à Ould Daddah, n’a récolté que 2,5 % des voix. Tandis que Biram Dah Abeid, 54 ans, est arrivé en deuxième position, s’imposant comme le nouveau visage de l’opposition.

Ahmed Ould Daddah. © Laurent PRIEUR pour JA
Messaoud Ould Boulkheir dupé ?
Avant que les rêves de la « vieille garde » se brisent, l’union sacrée avait déjà volé en éclats. Le Forum national pour la démocratie et l’unité (FNDU), principale coalition de l’opposition, n’a pas réussi à s’entendre sur une candidature commune. D’où un scrutin en rangs dispersés.
« Messaoud », lui, avait déjà pris le large. À 76 ans, ce héraut de la lutte contre l’esclavage, qui fut président de l’Assemblée nationale, avait annoncé le 2 juin son soutien au dauphin de Mohamed Ould Abdelaziz, Mohamed Ould Ghazouani, finalement sorti vainqueur des urnes. Une demi-surprise pour ses camarades, qui n’ont cessé de le pointer du doigt depuis 2009, le considérant comme un « vendu » après qu’il a négocié à plusieurs reprises avec l’ancien président lors de ses deux mandats successifs.
Messaoud ne pèse plus sur la réalité, mais sur l’Histoire, tranche Moussa Ould Hamed, ancien patron de l’Agence mauritanienne d’information
« Nous avons conditionné cette alliance [avec Ghazouani] à la reconduction de Messaoud à la présidence du Conseil économique et social et à une participation de notre parti au nouveau pouvoir », confie Baba Ould Jiddou, responsable au sein de l’Alliance populaire progressiste (APP). Le 8 juillet, l’ex-président de l’Assemblée nationale a été confirmé à la tête de l’institution qui lui a été confiée en 2014. Mais, selon nos informations, l’APP n’a pas encore été approchée par le pouvoir, qui ne négocie qu’avec Biram Dah Abeid.
« Messaoud ne pèse plus sur la réalité, mais sur l’Histoire », tranche Moussa Ould Hamed, ancien patron de l’Agence mauritanienne d’information. Premier Haratine (descendant d’esclaves) à avoir accédé aux plus hautes fonctions de l’État, Messaoud Ould Boulkheir est à l’origine de la criminalisation de l’esclavage, en 2007.
Ahmed Ould Daddah incapable de rassembler
Président de l’Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste (IRA), « Biram » a poursuivi le combat en attaquant le problème à la racine, dénonçant avec force les textes religieux qui légitiment, selon lui, cette pratique. « Les leaders historiques ont été totalement dépassés », poursuit Moussa Ould Hamed, qui déplore que ces derniers, « motivés par leur agenda personnel », n’aient jamais préparé la relève.
« Il est difficile pour l’APP de faire émerger d’autres personnalités, reconnaît l’un de ses membres. Cela dit, Biram n’est pas notre héritier ! Il est bien trop versatile et il ne partage pas les valeurs de Messaoud, qui, lui, porte un projet politique réel, pas un slogan. »
Éternel rival de Messaoud, Ahmed Ould Daddah, qui aura 77 ans le 7 août, a été durement confronté à la démobilisation des membres du Rassemblement des forces démocratiques (RFD), qu’il dirige depuis 1991. Le ralliement au pouvoir de son premier vice-président, Mohamed Mahmoud Ould Lematt, a été un coup dur. Voire une humiliation.
Retenu au chevet de son épouse, à Paris, lors de la campagne, le demi-frère de l’ex-chef de l’État Mokhtar Ould Daddah n’est pas parvenu à mobiliser ses troupes autour de la candidature du leader de l’Union des forces de progrès (UFP), Mohamed Ould Maouloud. Et ce malgré son poids sur l’échiquier tribal : si lui est originaire de Boutilimit, sa famille est bien implantée dans l’Est, considéré comme le fief de Mohamed Ould Ghazouani.

Mohamed Ould Maouloud. © AHMED HADJ/EPA/MaxPPP
Gare aux faux pas
Le 28 juillet, Ould Daddah a tendu la main au nouveau président en appelant à la tenue d’un dialogue national. Une initiative appuyée par son allié, l’UFP. L’ex-chef de file de l’opposition démocratique a toujours refusé de s’entretenir avec Mohamed Ould Abdelaziz. « Ahmed n’est pas intéressé par un poste, précise un de ses proches. Il cherche avant tout une belle sortie. Il est certes affaibli, mais pas mort. »
Ould Daddah paie aujourd’hui le prix d’une série d’erreurs tactiques : son refus de condamner immédiatement le putsch « d’Aziz » en juillet 2008, son boycott des législatives de 2013 et de la présidentielle de 2014, ou encore son obstination à penser que l’ex-président modifierait la Constitution pour briguer un troisième mandat.
Le paysage politique s’est reconfiguré autour de trois pôles, identitaire (coalitions IRA-Sawab et Vivre ensemble), unitaire (UFP-RFD) et islamiste (Tawassoul)
« Nous sommes à un tournant, le paysage politique s’est reconfiguré autour de trois pôles, identitaire (coalitions IRA-Sawab et Vivre ensemble), unitaire (UFP-RFD) et islamiste (Tawassoul), analyse Lo Gourmo, premier vice-président de l’UFP. L’ancien pouvoir a cherché à casser l’opposition, nous attendons de connaître le sort que nous réserve le nouveau. » « La classe politique vit une vraie révolution, ajoute un proche d’Aziz. On y verra plus clair dans un an, mais une chose est sûre, Ould Maouloud, Ould Boulkheir et Ould Daddah n’intéressent plus personne. »
Les islamistes « modérés » de Tawassoul, première force d’opposition, se font, eux, très discrets. Au point que tout le monde, ou presque, les a oubliés. Seuls soutiens du candidat Sidi Mohamed Ould Boubacar lors de la présidentielle, ils ont depuis pris leurs distances avec l’ex-Premier ministre, qui planche désormais sur la création de sa propre formation. Une partie de leur base a soutenu Ghazouani, au point que ce dernier a remporté Arafat, considérée comme acquise à leur cause. Aziz avait toujours échoué à conquérir cette commune. « Tawassoul connaîtra six mois difficiles, mais il se relèvera, prédit un ancien ministre. Au premier faux pas de leurs camarades de l’opposition, ses membres soutiendront une nouvelle personnalité. »
Biram, seul interlocuteur du pouvoir

Biram Ould Dah Abeid, à Dakar, le 2 juin 2016. © Sylvain Cherkaoui pour ja
Selon une source au palais présidentiel, le nouveau chef de l’État, Mohamed Ould Ghazouani, ne veut discuter qu’avec Biram Dah Abeid. En ce qui concerne les liens avec l’opposition, le nouveau président collabore avec son prédécesseur, Mohamed Ould Abdelaziz. Le président de l’IRA-Mauritanie, allié au parti nationaliste arabe Sawab, a rencontré à plusieurs reprises le ministre de la Fonction publique, Seyedna Ali Ould Mohamed Khouna.
Son entourage assure qu’il discute des conditions préalables à un dialogue entre les deux camps : arrêt des poursuites contre l’homme d’affaires Mohamed Ould Bouamatou, libération de ses militants, etc. Ses camarades de l’opposition le soupçonnent de jouer double jeu et de négocier l’obtention d’un poste, voire d’un ministère. « On ne peut pas lui faire confiance », lâche l’un d’eux. S’imposant comme le nouveau leader de l’opposition, il est à couteaux tirés avec Kane Hamidou Baba, président de la coalition Vivre ensemble (AJD/MR, MPR…), qui s’est récemment et très discrètement entretenu avec Mohamed Ould Abdelaziz.