Pas de temps à perdre pour Joris Thys, le DG du port autonome de Cotonou (PAC). Il y a un an et demi, Port of Antwerp International (PAI), filiale du port d’Anvers – deuxième port du Vieux-Continent après Rotterdam, première porte d’entrée européenne pour les marchandises africaines (cacao, café, coton…) et premier expéditeur de véhicules d’occasion vers l’Afrique –, prenait en main la gestion de l’autorité portuaire béninoise, qui représente 80 % des recettes de l’État.
Signe d’une certaine pression politique, c’est un mandat de trois ans, renouvelable deux fois, que les autorités béninoises confiaient à l’opérateur flamand, réputé intraitable dans ses négociations avec les armateurs. Les obligations de résultat semblent bien affirmées dans ce port dont la gestion a jusque-là été synonyme de gabegie et de mauvaise gouvernance. « Il s’agit d’améliorer l’efficacité de la gestion et des prestations de manière à accroître la rentabilité de cette société », rappelle Johannes Dagnon, conseiller de Patrice Talon et président du comité de suivi des réformes du PAC.
Un projet plus large que de l’expertise
Le belge a déjà réalisé un audit de l’activité du port, instauré une dématérialisation des procédures, envoyé des Béninois en formation à Anvers, fait venir des experts de la ville flamande pour un meilleur déchargement des navires de riz et intégré sept dirigeants venus d’outre-Quiévrain aux commandes.
« Tout le monde attend de voir ce que cela donnera. C’est un contrat de délégation assez unique d’une activité régalienne. Cela constitue un laboratoire d’une nouvelle organisation portuaire. Si cela réussit, ça pourrait faire école dans n’importe quel autre État », remarque l’expert en questions maritimes Yann Alix, qui parle même d’une « émergence de la marchandisation de l’autorité portuaire ».
Car à la manière des autres ports européens de Hambourg et de Rotterdam, qui s’inscrivent dans cette démarche à l’international, PAI n’est pas là que pour vendre de l’expertise, mais un contrat clés en main et des services rémunérateurs, qui promettent à Cotonou de devenir performant. À la faveur du redémarrage de l’économie du Nigeria – qui est, avec le Niger, l’autre marché majeur que dessert Cotonou –, du redécollage des exportations de coton et de noix de cajou et des importations d’engrais et de riz, le trafic s’est certes amélioré à Cotonou.
Alors que le premier terminal roulier d’occasion africain aurait vu depuis 2016 l’acheminement de véhicules divisé par deux, le trafic a ainsi atteint l’année dernière 10,2 millions de tonnes de marchandises traitées (24,1 millions de tonnes à Abidjan), du jamais-vu depuis 2014. Mais ce port plus petit que ceux de la région, qui a pris du retard par rapport aux nouvelles installations en eau profonde de Lomé, Abidjan et Tema, atteint ses limites. « Tous les postes sont occupés », fait-on valoir du côté de la direction. Si les porte-conteneurs restent au maximum une journée en rade, les navires vraquiers attendent encore une semaine.
Traiter 800 000 conteneurs équivalent vingt pieds d’ici à 2025
En août, commenceront huit semaines de travaux qui lui permettront d’accueillir dans ses bassins des bâtiments de 300 mètres d’ici à la fin de 2019. Mais le plus gros des travaux d’agrandissement démarrera en avril 2020, dans le cadre d’un plan de 300 milliards de F CFA (457 millions d’euros), sur une enveloppe globale de 591 milliards de F CFA impulsé par PAI, en cours de bouclage auprès de banques et de bailleurs de fonds internationaux. Objectif : atteindre d’ici à trois ans les 15 à 16 m de tirant d’eau partout dans la darse (de 10 à 13,5 m actuellement) et une surface de près de 270 hectares (soit 25 ha de plus).
Ce qui devrait lui permettre de voir accoster des bateaux plus longs, de 340 m (contre 275 m aujourd’hui), comme à Lomé, et de faire passer de 526 000 à 800 000 conteneurs équivalent vingt pieds (EVP) d’ici à 2025. Ce qui reste en deçà de ses voisins Lomé et Tema, qui dépassent le million d’EVP. Mais Cotonou, où le français Bolloré et le néerlandais APMT exploitent chacun un terminal, doit en passer par là pour éviter le déclassement. Économies d’échelle obligent, les armateurs ne s’arrêtent avec leurs plus gros navires que dans les plus grands ports.
Un terminal vraquier sera ajouté, ainsi qu’une zone logistique sous douane de 50 ha pour desservir l’hinterland. « Le centre de distribution de CFAO pour Toyota se trouve au Havre. Si l’on peut faire du préassemblage de véhicules, de la transformation sur place de bitume, ce sera un plus », explique-t-on en interne.
La manne du transbordement récoltée par Lomé lui donne les moyens d’approfondir son arrière-pays pour attirer les expéditeurs du sud du Burkina
Une façon aussi pour Anvers, affirme Yann Alix, de « s’installer sur le corridor Cotonou-Parakou-Niamey, de consolider les liens avec l’Afrique de l’Ouest, de structurer les réseaux commerciaux pour que les flux qui partent de Cotonou préfèrent Anvers à d’autres ports européens ». Mais Cotonou a à sa porte un concurrent qui pourrait compliquer ses projets. « La manne du transbordement récoltée par Lomé lui donne les moyens d’approfondir son arrière-pays pour attirer les expéditeurs du sud du Burkina et du sud-ouest du Niger », assure l’expert.
Le port sec de Parakou confié à Samuel Dossou
L’exploitation du port sec de Parakou (à 400 km de Cotonou) a été confiée fin mai à la société Pic Network Ltd, filiale du groupe Petrolin, de l’homme d’affaires béninois Samuel Dossou-Aworet, qui en a financé la construction. Alors que les marchandises transitent actuellement par camion jusqu’à Niamey, l’existence de ce port sec réanime, selon les observateurs, le projet de réhabilitation du chemin de fer vers Cotonou.