Dans ce dossier
Djibouti : la métamorphose d’un carrefour géostratégique
Grâce à la simple magie de quelques chiffres, l’économie djiboutienne vient de retrouver un peu d’air frais. Montrée du doigt ces dernières années pour son taux d’endettement record, notamment vis-à-vis de la Chine, jugé dangereux pour sa bonne santé financière, la petite république a tenu à mettre les choses au point en rétablissant la réalité comptable. Non, Djibouti n’est pas endetté à hauteur de 104 % de son PIB, comme les experts de FMI l’ont affirmé après leur dernière visite dans le pays, en décembre.
« Les statistiques fournies par nos services étaient erronées puisqu’elles ne prenaient pas en compte l’ensemble de nos activités liées au port et aux zones franches », explique Mohamed Skier Kayak, conseiller économique à la présidence. Et c’est loin d’être un détail pour Djibouti, qui a entièrement adossé son développement économique aux infrastructures portuaires et logistiques depuis bientôt deux décennies.
Un endettement qui serait de 71 %
Résultat, la production de richesse du pays a bondi, d’un jour à l’autre, de 47 %, pour atteindre 491 milliards de francs djiboutiens (près de 2,5 milliards d’euros). « En conséquence de quoi l’endettement réel est aujourd’hui de 71 % », assure, avec satisfaction, Mohamed Skier Kayak. Bien moins, donc, que le plafond des 75 % « au-dessus desquels les bailleurs de fonds commencent à tirer la sonnette d’alarme », précise un économiste local.
Djibouti a donc profité de la réunion de printemps du FMI pour dépêcher à Washington, mi-avril, une délégation ministérielle chargée, chiffres à l’appui, de convaincre le Fonds d’organiser une nouvelle mission d’évaluation pour revoir ses calculs.
Autre bonne nouvelle pour la dette du pays, la Chine, qui détiendrait à elle seule plus de 60 % des créances extérieures djiboutiennes, semble prête à renégocier les conditions du prêt accordé pour la construction de la ligne ferroviaire entre Djibouti et Addis-Abeba, qualifié de « fardeau » par le président Ismaïl Omar Guelleh lors de l’entretien qu’il a eu à Pékin, le 27 avril, avec Xi Jinping. Les autorités djiboutiennes espèrent obtenir un taux d’emprunt concessionnel moins élevé que le taux commercial actuel, sur une durée de remboursement de vingt-cinq ans, contre quinze ans actuellement.
L’ami chinois
La petite république semble donc en passe d’éviter l’asphyxie financière que tout le monde lui promettait il y a encore peu de temps. D’autant qu’elle n’a pas baissé la garde et poursuit sa politique d’investissements pharaoniques, avec la construction programmée sur le site de Damerjog, au sud de la capitale, d’un second complexe industrialo-portuaire aux proportions identiques à celui qui a été inauguré au nord de la ville en 2018.
La majeure partie du projet est financée par les opérateurs, sous forme d’investissements directs étrangers
Bien sûr, le pays n’allait pas lui-même décaisser la somme – équivalente à une fois et demie son PIB – nécessaire pour réaliser ces nouvelles infrastructures. « La majeure partie du projet est financée par les opérateurs, sous forme d’investissements directs étrangers [IDE] », précise Mohamed Skier Kayak. Mais la baisse drastique de son niveau d’endettement va considérablement rassurer ses partenaires, publics comme privés.
À commencer par les Chinois, prêts à contribuer une nouvelle fois, à hauteur de plusieurs centaines de millions de dollars, à ces nouveaux équipements, vitaux pour le développement économique de Djibouti. « Nous n’avons rien à exporter. Les ports et les zones franches sont donc essentiels pour l’équilibre de notre balance commerciale », explique encore le conseiller à la présidence. D’où l’urgence pour le pays de régler une bonne fois pour toutes le différend qui l’oppose depuis plusieurs années à l’opérateur portuaire DP World avant qu’il ne porte vraiment préjudice à sa réputation de place maritime et financière fiable.
Les limites du modèle actuel
Ironie de l’histoire, au moment où il décide de chasser les Dubaïotes du terminal de Doraleh, le pays fait un bond sans précédent dans le classement « Doing Business » 2019 de la Banque mondiale, passant de la 154e à la 99e place, grâce notamment aux excellents résultats enregistrés en matière de… protection des investissements. Une bonne nouvelle supplémentaire pour Djibouti, qui, vu la taille de son économie, n’a pas d’autre choix dans l’immédiat que de compter sur les contributions extérieures pour financer son développement.
Reste que le modèle actuel, qui s’appuie sur les secteurs maritime et logistique, a déjà montré ses limites. « Malgré une croissance comprise entre 6 % et 8 % ces dernières années, le chômage reste toujours aussi élevé dans le pays », regrette Mohamed Skier Kayak. Plutôt que d’attendre de pouvoir mesurer l’impact réel, en matière d’emplois, de l’installation en cours de centaines d’entreprises dans les zones franches, le gouvernement a sonné l’heure de la diversification. Le pays a ciblé plusieurs secteurs, comme le tourisme ou les services numériques et financiers, qu’il entend développer selon la même logique de hub régional qui fait actuellement les beaux jours de ses ports.
Poids lourds de l’hôtellerie
La stabilité macroéconomique et monétaire, renforcée par la présence de bases militaires, semble donner confiance aux investisseurs. Quelques grands noms de l’hôtellerie internationale (Onomo, Radisson, Hilton…) répondent déjà présents, alors que les dix câbles sous-marins situés à proximité des côtes commencent à intéresser les opérateurs de data centers et autres plateformes d’appel.
Deux projets sont en discussion, avec chaque fois plusieurs centaines d’emplois à la clé. « Il est temps de mettre l’économie au service du social », insiste Mohamed Skier Kayak. Même si le chemin vers le plein-emploi s’annonce encore long, il est pavé de bonnes intentions.