Infrastructures portuaires à Djibouti : « Nous avons vingt ans d’avance sur nos concurrents »

Chargé des infrastructures portuaires et logistiques de Djibouti depuis 2001, Aboubaker Omar Hadi est le véritable architecte du virage économique pris par son pays il y a plus de vingt ans.

 © Abou Halloyta

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Publié le 26 juin 2019 Lecture : 4 minutes.

Le port autonome et la ville de Djibouti., en 2015 (illustration). © Vincent Fournier/JA
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Djibouti : la métamorphose d’un carrefour géostratégique

En vingt ans, Ismaïl Omar Guelleh a transformé son petit pays en un carrefour géostratégique ouvert aux vents de la mondialisation. Sans toutefois réussir à en résoudre tous les problèmes.

Sommaire

Pari réussi pour le président de la Djibouti Ports & Free Zones Authority (DPFZA) qui, à 62 ans, dirige une entité qui représente à elle seule près d’un tiers du PIB du pays. Sans compter que de nouvelles installations vont venir renforcer le rôle de hub que compte jouer la petite république dans la sous-région.

Jeune Afrique : Le 4 avril, la Cour d’arbitrage international de Londres a fixé à 385 millions de dollars l’indemnisation que devra verser l’État djiboutien à l’émirati DP World pour avoir rompu le contrat du Doraleh Container Terminal (DCT). Comptez-vous payer cette somme ?

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Aboubaker Omar Hadi : Absolument pas. Nous sommes prêts à ouvrir les négociations autour de trois options : soit DP World nous rachète les 67 % que nous possédons dans DCT, pour 1,8 milliard de dollars, selon leurs propres estimations, et abandonne ses revendications de monopole sur le littoral djiboutien ; soit l’opérateur sort du terminal et nous lui réglons les 33 % qu’il détient dans DCT, soit environ 800 millions de dollars. Ou nous retravaillons ensemble, à condition qu’ils oublient toute exclusivité sur nos côtes. Eux-mêmes avaient proposé cette solution quelques jours avant de saisir la Cour de Londres. Et depuis, nous ne nous parlons plus.

ils ne peuvent pas posséder nos côtes, c’est une question de sécurité nationale

Les Émiratis auraient demandé 3 milliards de dollars pour rendre son littoral à Djibouti…

Je n’en sais rien, mais ils doivent comprendre que cette crise s’arrêtera quand ils auront accepté qu’ils ne peuvent pas posséder nos côtes. C’est une question de sécurité nationale. Nous ne voulons spolier personne. Nous devons nous parler, même pour discuter d’indemnisations. Mais pour l’instant, les Émiratis veulent faire appliquer le contrat tel qu’il a été signé à l’époque. Ce qui est inacceptable !

Ne redoutez-vous pas des représailles de DP World, qui multiplie les projets portuaires dans la région, à Assab et à Berbera, et bientôt à Massawa ?

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La région manque d’infrastructures. Il n’y aura donc pas de guerre des ports, comme certains se plaisent à l’imaginer. Et même si cela arrivait, Djibouti a vingt ans d’avance sur ses éventuels concurrents, en matière d’équipement comme de ressources humaines. Le port de Djibouti est aujourd’hui un outil unique dans la Corne. Et pour longtemps encore.

Le Français CMA CGM a avoué avoir renoncé à investir dans le second terminal à conteneurs à la suite des menaces de poursuites judiciaires de DP World…

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Ils semblent s’être laissés intimider, mais nous sommes toujours en contact, ils viendront quand ils seront décidés. Cela ne nous a pas empêchés de confirmer la réalisation du terminal, pour un investissement de 660 millions de dollars, grâce au Fonds souverain d’Oman.

Notre objectif est de devenir un hub pétrochimique pour l’ensemble de la sous-région

Après un temps d’hésitation, le projet de Damerjog, au sud de Djibouti, semble également se confirmer. Pourquoi cette attente ?

Nous avons été obligés de redimensionner le projet pour répondre aux demandes importantes constatées en matière de trafic pétrolier et gazier, de bétail et de marchandises. Nous prévoyons donc de réaliser, sur plus de 3 000 hectares, un second complexe logistico-portuaire, après celui ouvert au nord de la ville en 2018. D’importantes installations de stockage pour les vracs liquides seront construites à proximité de deux quais pétroliers pour servir l’Éthiopie, mais aussi une grande partie de l’Afrique de l’Est. Notre objectif est de devenir un hub pétrochimique pour l’ensemble de la sous-région.

Ne craignez-vous pas de creuser encore l’endettement du pays avec ce projet ?

Tous ces équipements seront financés par les investissements directs étrangers réalisés par les opérateurs eux-mêmes. Et ils sont justifiés par les marchandises que ces infrastructures vont voir passer.

Pourtant, l’immense Djibouti International Free Trade Zone (DIFTZ), inaugurée en 2018, peine à démarrer. Pour quelles raisons ?

Ce n’est qu’une question de temps. Plus de 60 entreprises s’installent, et des sociétés indiennes et jordaniennes travaillant dans la logistique ou l’industrie légère nous demandent plusieurs centaines d’hectares pour s’implanter. Je suis convaincu que nous remplirons la DIFTZ en 2020.

Le rail restera public, mais le matériel roulant sera apporté par les compagnies privées

Le train entre Djibouti et Addis-Abeba a déraillé en avril à cause de fortes pluies. Cet accident ne vous inquiète-t-il pas ?

Le trafic est reparti à la normale après une semaine. Je ne suis pas inquiet, car c’est un accident isolé. Et je rappelle que c’est la seule liaison ferroviaire de la région. Quatre trains partent chaque jour, deux dans chaque sens, pour transporter un total de 420 conteneurs. C’est-à-dire que 20 % des volumes destinés à l’Éthiopie empruntent chaque jour la voie ferroviaire. C’est un résultat encourageant, et nous avons pour objectif de monter à dix trains par jour.

Et comment comptez-vous atteindre cette cadence ?

En privatisant les opérations. Les deux gouvernements viennent de se rencontrer à ce sujet pour une privatisation effective à partir de 2020. Le rail restera public, mais le matériel roulant sera apporté par les compagnies privées qui assureront le transport des marchandises. Les études de faisabilité viennent d’être lancées et nous espérons attirer trois opérateurs. Nous comptons démarrer le processus d’appel d’offres avant la fin de cette année. L’idée est d’éviter tout monopole et de donner le choix aux utilisateurs du train.

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