Culture

« L’amour suprême » : King Coltrane sous la plume de Franck Médioni

Le journaliste mélomane Franck Médioni publie une biographie du saxophoniste africain-américain qui ne fait pas l’impasse sur ses engagements politiques.

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Mis à jour le 21 juin 2019 à 13:11

Au Montfort Hall, en novembre 1961. © Bill Wagg/Redferns/getty images

Les premiers mots qui s’offrent au lecteur, fondu de jazz, amateur ou passant curieux, sont ceux d’Archie Shepp. C’est en effet à cette grande figure du jazz que Franck Médioni a confié le soin d’ouvrir sa biographie de John Coltrane. « Quand j’ai écouté John Coltrane la première fois, ce fut un choc, je n’avais jamais entendu quelqu’un sonner comme lui. » Et plus loin : « Depuis sa mort, voici plus de cinquante ans, je n’ai pas rencontré meilleur saxophoniste. »

Un son d’une puissance rare

Le titre du livre, L’Amour suprême, est bien entendu repris du disque majeur du saxophoniste, A Love Supreme. Sorti en 1965, l’album a été élu 47e parmi les cinq cents plus grands albums de tous les temps (classement du magazine Rolling Stone en 2002).

Cet art de l’improvisation, de la transe aussi, qui déboussole certains de ses contemporains, et ce son d’une puissance rare sur laquelle tous s’accordent

Journaliste, romancier, mélomane, Médioni retrace la courbe d’une vie de création. Il nous fait surtout le récit d’un parcours de douze années (1955-1967) – capitales dans l’histoire de l’après-Charlie Parker. Douze années autour de rencontres fondamentales avec Miles Davis, Thelonious Monk, qui viennent consolider ce dont le musicien est porteur et après lesquelles le natif de Hamlet (Caroline du Nord) réinvente son langage.

À savoir cet art de l’improvisation, de la transe aussi, qui déboussole certains de ses contemporains, et ce son d’une puissance rare sur laquelle tous s’accordent, trouvant sa place au sein de son quartette, « sorte de creuset dans lequel nous nous exprimions à quatre voix », dixit McCoy Tyner.

Cette passionnante biographie s’appuie sur de nombreux témoignages, nous entraînant dans l’enchaînement de concerts, d’enregistrements, au rythme haletant de l’emploi du temps de Coltrane.

Voilà une musique des tréfonds et des hautes sphères. On y entend tous les chants du monde. Elle plane au-dessus du temps et du bruit

Tout naturellement, on (re) découvre l’improvisateur virtuose, son œuvre foisonnante (122 compositions, 29 albums), qui a modifié en profondeur la musique africaine-américaine. « […] Puissamment lyrique, mélancolique, tragique, écrit Médioni. […] Voilà une musique des tréfonds et des hautes sphères. On y entend tous les chants du monde. Elle plane au-dessus du temps et du bruit. »


>>> À LIRE – L’album perdu de John Coltrane


Guernica musical

Il arrive aussi au saxophoniste de coller au réel, traversé par la réalité qu’endurent ses concitoyens africains-­américains. D’une manière différente de celle d’Archie Shepp ou d’autres musiciens américains de l’avant-garde free-jazz, qui militent pour les droits civiques.

« Alabama », enregistré en marge des autres titres de l’album Live at Birdland, est composé le 18 novembre 1963 à la mémoire de quatre jeunes filles noires, victimes d’une explosion survenue dans une église de Birmingham le 15 septembre de la même année. La ville était alors surnommée Bombingham, tant elle était souvent la cible d’attentats à la bombe.

Conçu à partir du discours de Martin Luther King et joué par le quartette que Coltrane a constitué avec McCoy Tyner au piano, Jimmy Garrison à la contrebasse, « sur les grondements de tambour d’Elvin Jones » (à la batterie), « Alabama » est « le Guernica de Coltrane ».

« Tout au long de cette mélodie déchirante, Trane distille un chant de profonde mélancolie, écrit Médioni. […] Pas de fioritures, quasiment pas d’improvisation. Lui qui est si prolixe, lui qui joue et joue à en perdre haleine, abrège le développement de son chorus comme s’il y avait de l’indécence à se laisser aller au plaisir de la musique. » « Alabama », méditative plus que protestataire, est une réponse d’amour face à la haine et à la colère.